Le colonel-major Naba Théodore Palé, ex-Chef d’Etat-major général des Armées (CEMGA) adjoint, au moment du coup d’Etat manqué de mi-septembre 2015, a déclaré ce mercredi 13 février 2019, à la barre du tribunal militaire qui juge l’affaire, qu’il a « pensé à la dernière réunion du président (Thomas) Sankara », le père de la Révolution d’août 1983, assassiné le 15 octobre 1987. Ce témoin pour qui, l’ex-unité, le « Régiment de sécurité présidentielle (RSP) était une force à part », la hiérarchie militaire a tenu compte de ce fait pour négocier avec les putschistes pour éviter une « guerre civile ». Il a, ainsi, nié toute implication du commandement au putsch et rejeté que les négociations avec les putschistes soient interprétées comme une forme « d’allégeance ou de soutien » au général de brigade, Gilbert Diendéré, considéré comme le présumé cerveau de cette affaire.
Le procès du putsch manqué qui a débuté le 27 février 2018, s’est poursuivi ce jour avec l’audition des trois témoins, tous des officiers supérieurs de l’Armée. Appelé à la barre, l’ex-CEMGAA, Naba Palé, a laissé entendre que c’est par un coup de fil, le 16 septembre 2015, de son supérieur hiérarchique direct, le général Pingrenoma Zagré, CEMGA, qu’il a appris que le Conseil des ministres a été interrompu et que les autorités de la Transition ont été mises aux arrêts. L’ordre leur a été donné de rester sur place parce que le général Gilbert Diendéré, ex-chef d’état-major particulier de la présidence, voulait rencontrer le commandement au ministère de la Défense nationale et de Anciens combattants (MDNAC) à 16H. Le CEMGA, selon ses dires « a eu l’inspiration de convoquer des sages en l’occurrence Monseigneur Paul Ouédraogo et l’ex-chef de l’Etat, le médecin-colonel Jean-Baptiste Ouédraogo pour être témoins de cette rencontre » qui intervient après cette situation.
L’officier a affirmé qu’après avoir été invité à se rendre au MDNAC, il « a personnellement pensé à la dernière réunion du président Sakara. Il est passé dans la tête de tout un chacun que ça pouvait être la fin », a-t-il relaté avant de signifier que de façon « ferme », le commandement militaire a tenté en vain de dissuader les putschistes parce qu’un coup d’Etat à cette période était « impensable ». Mais, quand le général Diendéré a « persisté, on lui a dit de s’assumer », a-t-il ajouté.
Au cours de ladite réunion qui s’est tenue vers 17H, le général Diendéré, aurait expliqué les « raisons » de l’arrestation des autorités de la Transition et fait le point de la situation qui prévalait après un mouvement d’humeur des éléments du RSP. Dès ces moments, selon l’officier qui se dit formel, Gilbert Diendéré aurait « demandé à l’Armée d’endosser le coup de force ». Les négociations commenceront à cette heure pour se poursuivre par plusieurs épisodes, de telle sorte que c’est aux environs de 4H du matin du 17 septembre, que les participants à ses différentes rencontres ont pu regagner leur domicile. Le 17 septembre, le colonel-major Palé a pris aussi part à une réunion d’information que le général Diendéré a ténu, toujours au ministère de la Défense, avec tout le commandement militaire et certains membres de la Commission de réflexion d’aide à la décision (CRAD). A cette rencontre également, selon le témoin, il s’est agi de faire un debriefing des rencontres menées dans la nuit du 16 pour mettre tout le monde sur le même niveau d’information, et faire un point de la situation qui prévalait.
En résumé, le colonel-major Naba Théodore Palé, ex-chef d’état-major de l’Armée de l’Air, a indiqué que le souci du général Pingrenoma Zagré était d’« éviter une effusion de sang, une guerre civile, un affrontement entre les hommes (militaires) » et que cela ne doit pas être assimilé à un acte « d’allégeance ou de soutien » aux putschistes comme le général Diendéré l’a, à plusieurs reprises, réitéré à la barre du tribunal militaire. Sur l’insistance de Me Prosper Farama, Conseil des victimes du coup de force, l’ex-deuxième responsable de l’Armée, a indiqué qu’il y avait au Burkina « une force extra (RSP) qui était commandée par le général deux étoiles, Gilbert Diendéré. Dans une armée normale, vous n’allez jamais voir ça », s’est indigné le témoin qui a demandé à l’homme à la robe noire de « prendre beaucoup en compte cet élément ». Pour lui, il y a plusieurs façons de dire non. Si la hiérarchie militaire « avait dit oui, (au putsch), on (les responsables) allait se partager les postes ministériels actuellement », a-t-il dit de façon agacée.
« Beaucoup de régiments n’avaient pas d’armes en ce moment. A tel point que certains régiments n’avaient que 35 Kalachnikovs. Dans l’histoire du RSP, il y a beaucoup de mythes, de mystères et d’inconnus. Le RSP était une force à part, une force qui échappait totalement à l’Armée au point qu’on ne voulait pas chercher à savoir ce qui se passait là-bas », a soutenu le colonel-major, notant que l’ordre de faire venir les troupes de l’intérieur pour contrecarrer le putsch n’a pas été donné par le commandement militaire.
Appelé à la barre, le général Gilbert Diendéré, considéré comme « le père spirituel » de l’ex-RSP ayant fait le coup de force, dira qu’« il y a beaucoup de points sur lesquels je ne suis pas d’accord » après la déposition du colonel-major qu’il a respectueusement salué à la barre. Le point que le général a relevé est relatif à celui qui faisait cas de ce qu’il se serait, avec le colonel-major Boureima Kiéré, chef d’état-major particulier de la présidence au moment des faits, rendu au camp Naaba Koom II pour négocier avec les personnels du RSP. L’accusé soutient qu’il est allé préparer une rencontre qu’une délégation composée de quatre personnes (le général Pingrenoma Zagré, le colonel-major Alassane Moné, Monseigneur Paul Ouédraogo et l’ex-président Jean-Baptiste Ouédraogo) devait avoir avec les éléments de l’ex-garde qui doutaient sur sa « crédibilité » après que les propositions qu’il avait faites pour calmer les crises internes au régiment n’avaient pas été prises en compte par la hiérarchie militaire.
A la question du parquet de savoir celui qui aurait demandé au RSP d’assumer le coup d’Etat après l’échec des différentes tractations et négociations, le général Diendéré a laissé entendre que c’est Monseigneur Paul Ouédraogo ou de Jean-Baptiste Ouédraogo qui ont « constaté la vacance du pouvoir » et demandé que les protagonistes s’assument. Le général Gilbert Diendéré, ex-président du Conseil national pour la démocratie (CND), le régime des putschistes, a, sur ce sujet, avancé que l’ex-CEMGA, le général de brigade Oumarou Sadou qui était son voisin à cette rencontre du 16 septembre dans la nuit, « a demandé au RSP de s’assumer ».
Le procès a été suspendu vers 17H et reprendra le vendredi à partir de 9H avec toujours à la barre, le colonel-major Naba Palé. Ce passage sera suivi par celui des témoins constituant la quatrième liste que sont :
-le colonel-major Raboyinga Kaboré
-le colonel-major Léonard Gando
-le colonel-major Mamadou Traoré
-le colonel-major Alassane Moné
-le général Oumarou Sadou
-le général Pingrenoma Zagré
-le général Honoré Nabéré Traoré
-Monseigneur Paul Ouédraogo
-l’ex-président Jean-Baptiste Ouédraogo
Par Bernard BOUGOUM