Dans cette allocution prononcée lors de la rentrée judiciaire 2018-2019 de la Cour de justice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Bâtonnier du Burkina Faso, Maître Paulin M. Salembéré, tout en félicitant la présidente de cette institution pour les acquis engrangés, a néanmoins soumis à réflexion la préoccupation importante qu’est le recours préjudiciel. «Les avocats constatent que nos juridictions nationales ne font pas leurs ces dispositions pertinentes supranationales qui s’imposent aux juridictions de tous les Etats parties», a affirmé le Bâtonnier du Burkina.
Excellence, Monsieur le Président du Faso, Président du Conseil des Ministres
Permettez-moi par souci de gestion du temps, de déroger à la litanie protocolaire en utilisant la formule générale, distingués invités en vos titres, grades et rangs respectifs, pour saluer les prestigieux invités de la Cour de Justice de l’UEMOA.
Mes Chers Confrères Bâtonniers
Tout protocole réservé.
Madame la Présidente de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)
Des confidences qui m’ont été faites par mon prédécesseur, Monsieur le Bâtonnier Mamadou SAVADOGO, votre institution et le Barreau du Burkina entretiennent de très bonnes relations, et c’est sous votre magistère qu’elles ont acquis leurs lettres de noblesse.
Vous comprenez alors que je ne pouvais décliner ce privilège que vous faites au Barreau du Burkina par cette tribune d’expression gracieusement offerte.
C’est donc avec un réel plaisir, que je prends la parole devant cette auguste assemblée, la toute première fois après mon installation officielle comme Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Burkina 2018-2021, pour vous transmettre les amitiés de mon Barreau.
Sachez Madame la Présidente, que le Barreau du Burkina est honoré et se réjouit d’être associé à cette cérémonie d’importance pour la communauté de l’espace UEMOA, et vous en remercie par ma voix.
Je sais que sous votre impulsion, la Cour a toujours été à l’écoute constante de notre Barreau, et je formule le vœu que cette collaboration se poursuive et soit fructueuse pour nos deux institutions, mais surtout dans l’intérêt de la communauté de l’espace.
Vous avez décidé de placer la présente rentrée judiciaire sous le thème “la Cour de justice dans l’espace UEMOA“.
Qui mieux que les acteurs de cette Cour pouvaient nous entretenir sur ce thème, sinon les Hauts Magistrats qui l’animent.
Aux termes de la présentation du rapport par l’honorable juge rapporteur et des conclusions (du Premier Avocat Général) de l’Avocat Général, je puis vous assurer que j’ai été bien édifié sur la place de la Cour dans notre espace.
Je serai donc mal inspiré de vouloir y ajouter autre chose après cette brillante présentation.
Toutefois, l’occasion étant belle pour ne pas la saisir, j’entends m’appesantir sur une des préoccupations des avocats de l’espace.
Il s’agit du recours préjudiciel ouvert lorsqu’un problème d’interprétation des actes pris par les organes de l’Union se pose, comme en l’occurrence le Règlement N°05/CM/UEMOA du 25 septembre 2014, relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA, que les avocats de l’espace ont accueilli avec beaucoup d’enthousiasme.
Aux termes des dispositions de l’article 12 du Protocole Additionnel N°1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA et de l’article 15- 6) du Règlement N°01/96/CM portant règlement de procédures de la Cour de Justice de l’UEMOA, s’agissant de l’interprétation des actes des organes de l’Union,
“Les juridictions nationales statuant en dernier ressort sont tenues de saisir la Cour de Justice. La saisine de la Cour de Justice par les autres juridictions nationales ou les autorités à fonction juridictionnelle est facultative.“
Les avocats constatent que nos juridictions nationales ne font pas leurs ces dispositions pertinentes supranationales qui s’imposent aux juridictions de tous les Etats parties.
En effet, dans une récente affaire impliquant un avocat dans laquelle l’interprétation des dispositions de l’article 6 du Règlement N°05/CM/UEMOA ci-dessus cité était sujet à débat, la Haute Juridiction statuant en dernier ressort a malheureusement pour le Droit, royalement ignoré sa demande de renvoi de cette question préjudicielle à l’interprétation de la Cour de Justice de l’UEMOA.
Que peut alors faire la Cour face à une telle défiance des normes communautaires?
Que peut faire la Cour pour contraindre nos juridictions nationales à l’application des normes communautaires?
De quel recours le justiciable dispose-t-il pour ne pas voir ses droits bafoués?
Pourquoi ne pas ouvrir la saisine de la Cour de Justice de l’UEMOA au justiciable en matière de recours préjudiciel, à l’image de ce qui est fait au niveau de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO?
Voici un certain nombre de questions que se posent les avocats face au refus d’application des normes communautaires par les juridictions nationales, qui méritent réflexion.
Madame la Présidente de la Cour de Justice de l’UEMOA,
Après une vingtaine d’années (âge de la majorité) de fonctionnement effectif, le droit et la justice communautaires semblent ne pas être connus et ancrés dans les pratiques de nos juridictions nationales.
C’est la raison pour laquelle, cette tribune est idéale, vu la présence de certaines Hautes autorités des pays de l’espace UEMOA, et surtout de celle de la plupart des Hauts Magistrats des Hautes Juridictions, pour les interpeller et les sensibiliser sur leur rôle dans la mise en œuvre des lois communautaires.
Les juridictions de nos Etats doivent comprendre que la mise en œuvre des lois de l’Union n’a aucunement pour objectif de porter atteinte à leur indépendance ou souveraineté, ce d’autant plus que le Traité de l’Union, ainsi que les actes subséquents, relèvent de la volonté de nos Etats qui ont accepté renoncer en partie à leur souveraineté au profit de la Communauté.
Nos juridictions nationales doivent savoir qu’elles jouent un rôle majeur dans l’harmonisation des dispositions communautaires, facteur d’intégration des peuples, et la Cour doit leur rappeler qu’elle est la seule compétente pour l’interprétation des actes de l’Union.
Madame la Présidente de la Cour de Justice de l’UEMOA,
Je vous encourage et vous félicite pour les initiatives prises dans le sens de la vulgarisation et de la sensibilisation sur le droit et la justice communautaires UEMOA, et vous assure du soutien et de la disponibilité du Barreau du Burkina à vous accompagner.
Tout en souhaitant à vous et à tous les membres de la Cour une bonne année judiciaire 2018-2019, je vous prie de me croire.
Je vous remercie.
Bâtonnier Paulin M. SALEMBERE