Covid-19, corps gouvernés
SAMANDOULGOU Wendlassida Serge Dénis
La maladie à coronavirus qui suscite incertitudes et angoisses partout dans le monde a renforcé l’emprise de l’État sur le citoyen. Les mesures restrictives de liberté occasionnées par la crise sanitaire donnent lieu à une sorte d’appropriation politique du corps. La crise n’appelle pas seulement des mesures humanitaires pour la protection du citoyen. En effet, elle marque aussi le renforcement d’un type particulier de pouvoir qui s’exerce sur la vie du sujet. Il s’agit du biopouvoir. Le biopouvoir, c’est la manipulation de la vie biologique des personnes. Perpétrée pour des impératifs politiques et économiques, elle se manifeste parfois sous des apparences humanitaires. Le contrôle de la santé des populations, de la sexualité, de l’immigration sont entre autres des formes de son déploiement. Les sociétés actuelles sont dites « disciplinaires », c’est à dire fondée sur des disciplines. Par disciplines, il faut entendre toute réglementation visant quadriller le corps social. Les institutions répressives comme l’asile, la prison, ne servent pas seulement à la mise à l’écart. Ils sont aussi des outils de surveillance et de transformation du sujet par la discipline. Le confinement à l’instar de la prison est un dispositif disciplinaire, qui au motif d’impératifs sanitaires, impose un style particulier de vie. Les mesures de confinement déployés un peu partout dans le monde sonnent avant tout comme un emprisonnement du biologique où le sujet ne peut plus disposer de son corps. Le covid-19 qui est une menace globale pour la santé, gouverner les corps apparait comme un impératif pour en extraire toujours le maximum de force de travail. En effet, depuis des siècles règne toute une politique du corps, « une économie politique du corps ». C’est d’ailleurs le sens que prend ici le concept de capital humain. Le sujet est une force de travail dont la préservation assure l’accroissement et maintien des richesses.
Tout comme l’internement des insensés à ses débuts n’est pas le résultat d’une quelconque sensibilité, mais plutôt dicté par l’impératif de travail, les mesures sociales qui accompagnent le confinement ne doivent pas être vues comme l’effet d’une sensibilité ressentie pour les personnes mais comme un moyen détourné pour l’État d’éviter des tensions sociales pouvant compliquer la gestion du pouvoir. Mais le gouvernement des corps ne se réduit pas à quadriller les vivants. Bien plus, il s’accompagne d’une politique de la mort qui place les personnes décédées dans une sorte de mise à l’écart, le but étant d’éviter la propagation de la maladie. Incinération, fosse commune, privation d’obsèques sont entre autres les pratiques mobilisées pour la gestion des corps sans vie. À l’instar de la quarantaine infligée aux lépreux au Moyen Age, condamnés à habiter la léproserie, les malades du Covid-19 vivent une quarantaine et condamnés à l’isolement et à l’oubli le plus total.
Il faut aussi remarquer que la crise du covid-19 est une occasion inespérée pour la plupart des États de renouer avec des disciplines austères. Avec les mesures de confinement, c’est le retour triomphal des disciplines, c’est la renaissance d’un pouvoir autrefois sacrifié sur l’autel des principes démocratiques. L’urgence sanitaire que commande le covid-19 ne saurait justifier cette prise d’otage perpétrée sur la personne du citoyen. Il y a donc dans le fait du confinement un jeu politique insoupçonné, une sécrétion de la peur qui renforce l’emprise de l’État sur le citoyen. Terreau d’enrichissement des laboratoires pharmaceutiques, la tourmente sanitaire actuelle fait le lit d’un business vil. La pandémie installe également une nouvelle cartographie des rapports de force entre les États qui rivalisent de diplomatie sanitaire à l’image par exemple de la Chine, la Russie et Cuba au point de nourrir des suspicions quant à la survie de l’Union Européenne où le risque de repli identitaire refait surface à la faveur de la pandémie. On voit dans cette diplomatie sanitaire que certains États autrefois décriés pour non-respect des droits de l’homme, se sont découverts en réalité du charme à revendre à la faveur. La Russie, la Chine, et Cuba peuvent aujourd’hui se targuer d’être les pompiers en chef dans le combat contre la pandémie. Comme on peut le voir, la vie du sujet est devenue l’arène du jeu politique contemporain, il y a une sorte d’étatisation du biologique. Le biopouvoir, cet autre nom du pouvoir q exercé sur la vie des personnes est bien présent dans la gestion du covid-19.
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