L’organisation onusienne (OMS) a déclaré vendredi 5 mai la fin de ce niveau d’alerte maximal, tout en rappelant que le virus n’est ni éradiqué, ni devenu inoffensif.
C’est par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé, vendredi 5 mai dans l’après-midi, « la fin de l’état d’urgence de santé publique de portée internationale » lié au Covid-19. L’organisation onusienne lève ainsi le niveau maximal d’alerte mondiale face à une menace sanitaire, une annonce très attendue.
« C’est avec beaucoup d’espoir que je déclare que le Covid-19 n’est plus une urgence sanitaire de portée internationale », s’est réjoui le directeur de l’OMS. Même si, a-t-il tempéré, des millions de personnes continuent d’être infectées ou réinfectées par le SARS-CoV-2 et que des milliers de personnes en meurent encore chaque semaine. « Ce virus est là pour durer, il continue de tuer », a martelé Dr Tedros.
L’annonce intervient trois ans, treize semaines et quatre jours après ce jour du 30 janvier 2020 où le docteur Tedros, la voix blanche et le verbe trébuchant, décrétait un tel état d’urgence, face à un mystérieux virus surgi de Chine, se diffusant à vitesse prodigieuse et semant le chaos. Durant plus de trois ans, le virus balayera le monde d’une série de vagues meurtrières.
Si la levée de l’état d’urgence de l’OMS peut sembler décalée, tant « la vie d’avant » a repris ses droits, sa portée symbolique est immense. Le virus, en trois ans et demi, a infecté plus de 765 millions de personnes à travers le monde et en a tué environ 20 millions selon l’OMS (par comparaison, la grippe espagnole de 1918-19 aurait fait 20 à 50 millions de morts). A ce décompte, il faut ajouter les victimes indirectes du Covid-19, à la suite des pertes de chance découlant des annulations ou des retards de soins ou de la saturation des systèmes de santé.
Mais le virus a desserré son étau. Entre le 3 et le 30 avril 2023, près de 2,8 millions de nouveaux cas et plus de 17 000 décès ont été signalés dans le monde, « soit une diminution de 17 % et de 30 %, respectivement, par rapport aux 28 jours précédents », a relevé l’OMS dans son bulletin du 4 mai. Les niveaux de circulation du virus restent élevés, mais leur impact sur les hospitalisations et les décès a beaucoup baissé – tout en restant supérieur à celui de la grippe.
Au plus fort de la pandémie, vers le 21 janvier 2021, 14 500 personnes mouraient chaque jour du Covid-19 dans le monde ; on en recense actuellement 500 et 600. En France, au pic du nombre de décès, vers le 10 avril 2020, il y avait plus de 1 000 morts par jour. On en compte actuellement une trentaine.
Pourquoi cette levée de l’état d’urgence maintenant ?
Depuis plusieurs mois déjà, l’OMS distillait les déclarations suggérant la levée à venir de l’état d’urgence. « Nous n’y sommes pas encore, mais la fin de la pandémie est à portée de main », déclarait le docteur Tedros le 14 septembre 2022. « Il se peut qu’en 2023, nous voyions la fin de l’urgence sanitaire de portée internationale », renchérissait le 7 mars Maria Van Kerkhove, responsable technique de la gestion du Covid-19 pour l’OMS. « Il faut savoir dire “stop”, si l’on veut que les notions d’état d’urgence de portée internationale et de pandémie gardent leur force », estime Arnaud Fontanet, directeur du département santé globale de l’Institut Pasteur.
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Quelles seront les retombées de cette annonce ?
Sur le plan pratique, elles resteront limitées. « Depuis le début de l’année, presque tous les pays ont rétrogradé leur niveau de surveillance et de prise en charge du Covid-19 », rappelle Brigitte Autran, présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars). Le 1er août 2022, par exemple, la France a abrogé l’état d’urgence sanitaire, instauré au printemps 2020, et mis fin au régime de gestion de la crise sanitaire créé par la loi du 31 mai 2021. Ce qui, de facto, interdisait les mesures autorisées par ces régimes : confinement, couvre-feu, limitation des déplacements, obligation du port du masque, passe sanitaire…
Toujours en France, l’isolement systématique des personnes diagnostiquées positives a été levé le 1er février, et les cas contacts n’ont plus à faire de test. Et depuis le 1er mars, les tests PCR et antigéniques de détection du virus ne sont plus remboursés à 100 % par l’Assurance-maladie, sauf pour les plus fragiles.
Les Etats-Unis, de leur côté, ont annoncé qu’ils mettront fin le 11 mai à l’état d’urgence sanitaire lié au Covid-19. En conséquence, les fonds considérables alloués depuis 2020 à la fourniture de tests de dépistage ou de vaccins gratuits ne seront plus disponibles, et l’obligation de vaccination pour les voyageurs étrangers sera levée.
« Cette levée de l’état d’urgence peut faire craindre l’accentuation de la démobilisation », alerte Mahmoud Zureik, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université de Versailles- Saint-Quentin-en-Yvelines.
Pourquoi faut-il rester vigilant ?
« Le danger serait de croire que le virus a disparu », met en garde l’immunologiste Brigitte Autran. Le SARS-CoV-2 va continuer de circuler et de provoquer des vagues de contaminations. La population mondiale a certes acquis une immunité collective contre lui, à la suite des campagnes de vaccination et des infections passées, mais les personnes âgées, fragiles, immunodéprimées restent menacées. « Les pays doivent rester vigilants, alerte l’OMS. Avec la poursuite d’une circulation intense du virus dans le monde entier, de nouveaux variants pourraient émerger n’importe où. » Le variant XBB et ses sous-variants sont désormais dominants au niveau planétaire, indiquait le 26 avril Maria Van Kerkhove. Pour autant, un très grand nombre de variants continuent de circuler, mais « on ne voit pas poindre de variant inquiétant », relève Brigitte Autran.
« Le monde entre dans une autre phase du combat », analyse Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales-maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). « C’est un défi au moins aussi important que la gestion de l’état d’urgence, renchérit Antoine Flahault, avec moins de financements et moins de motivation pour gérer la prévention. »
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Quels sont désormais les enjeux de la gestion du Covid-19 ?
Le premier défi est de maintenir un niveau de couverture vaccinale suffisant. Au 5 avril 2023, à l’échelle du globe, 89 % des professionnels de santé, 82 % des personnes âgées et 66 % de la population générale avaient reçu une primo-vaccination complète contre le Covid-19, indique l’OMS. Dans les pays à faibles revenus, cependant, ce taux n’est plus que de 52 % chez les professionnels de santé et de 35 % dans les populations plus âgées. Autre écueil : alors que l’immunité anti-Covid baisse assez vite au fil du temps, la proportion de la population mondiale ayant reçu des doses de rappel reste « très faible », regrette l’OMS.
En France, à l’automne, une nouvelle campagne vaccinale anti-Covid-19, couplée à celle de la grippe, s’ouvrira aux plus de 65 ans, aux personnes à risque de moins de 65 ans et leur entourage, et aux personnels de santé. « Comme la grippe, le Covid-19 devient une maladie infectieuse qu’il convient de prévenir. La différence avec la grippe, c’est qu’il n’est pas encore complètement devenu saisonnier », analyse Brigitte Autran.
Autre enjeu : le maintien des systèmes de surveillance du virus, pour détecter un foyer émergent. « Alors que la pandémie de Covid-19 entre dans sa quatrième année, la surveillance a considérablement diminué », note l’OMS, qui préconise de multiplier les approches et d’intégrer aussi les tests de dépistage du SARS-CoV-2 dans les systèmes de surveillance des maladies respiratoires comme la grippe, avec un partage en temps réel des données.
Si les moyens de surveillance ont été réduits, les équipements de séquençage, eux, restent en place. En France comme dans la plupart des pays, le diagnostic et le séquençage génomique du virus seront « privilégiés chez les patients hospitalisés avec des symptômes de Covid-19 et avec un risque de formes graves », précise Brigitte Autran. Les outils numériques développés avec la crise, comme l’application TousAntiCovid sont « une avancée majeure », estime Yazdan Yazdanpanah : selon lui, ils pourraient être mis à profit pour informer et responsabiliser la population dans la surveillance du virus.
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Quelles leçons tirer de la pandémie ?
Il y a eu, d’abord, une prise de conscience. « Nous savons désormais que les menaces liées aux virus émergents peuvent se concrétiser en pandémies dévastatrices, note Arnaud Fontanet. Le monde a compris que ce n’est pas de la science-fiction. » Une des clés de l’efficacité des réponses, face à cette pandémie, a été « la précocité des interventions », relève l’épidémiologiste. En Europe, le pays qui a le mieux géré la crise est le Danemark, qui a su mettre en place des mesures fortes très anticipées.
Autre enseignement : le repositionnement de médicaments existants n’a globalement pas fonctionné – un seul a montré une efficacité très modeste, le remdesivir. Il faut donc développer des traitements spécifiques pour chaque virus.
Face aux offensives du virus, les pays ont déployé une large gamme de ripostes : fermetures d’écoles ou de lieux publics, télétravail généralisé quand cela était possible, interdiction de rassemblements, confinements, couvre-feux… Il faudra analyser en détail l’impact de ces mesures, et comparer les résultats.
La pandémie a aussi mis en lumière le rôle déterminant de la science, qui a permis d’obtenir des vaccins en moins d’un an, et des traitements comme les anticorps monoclonaux ou le Paxlovid. Les travaux de modélisation, par ailleurs, ont contribué à guider les actions publiques. « Plus de 350 000 études scientifiques ont été publiées sur le Covid-19, avec une multitude d’approches, indique Mahmoud Zureik. La plupart des revues les ont rendues accessibles aux chercheurs, c’est une initiative à saluer. » Malheureusement, « l’image de la science a été brouillée car la communauté scientifique a paru divisée, regrette Arnaud Fontanet. C’est dommage car à l’avenir, la confiance en la science sera précieuse, notamment face aux grands défis climatiques. »
Face à une nouvelle pandémie, le monde serait-il mieux préparé ?
La pandémie de Covid-19 a mis en évidence l’enjeu de l’approche « One Health » (« Une seule santé ») qui vise, entre autres, à mieux traquer les microbes hébergés par la faune sauvage ou les animaux domestiques pour prévenir leur transmission aux humains. La capacité de cette approche à endiguer une pandémie, cependant, reste à prouver.
Dans la réponse à cette crise sanitaire, par ailleurs, la coordination internationale est loin d’avoir été optimale. « Elle a joué un rôle assez limité dans la gestion du Covid-19 », constate Mahmoud Zureik. Elle a aussi révélé les limites du règlement sanitaire international (RSI), institué en 2005 – un accord juridiquement contraignant, qui engage les 194 Etats signataires à développer leurs capacités à détecter et éviter les menaces sanitaires, et à signaler ces événements à l’OMS. Le RSI précise, par exemple, que les mesures sanitaires prises par les Etats doivent éviter toute interférence inutile avec le trafic et le commerce internationaux. Mais quand il a fallu restreindre les déplacements internationaux pour enrayer la circulation du virus, début 2020, cette disposition a semé la confusion. L’OMS travaille aujourd’hui à amender le RSI.
Autre initiative : les Etats membres peaufinent un nouvel instrument juridique (convention, accord ou traité) « visant à renforcer la prévention, la préparation et l’intervention en cas de pandémie », explique l’OMS, et qui pourrait être adopté en mai 2024. Mécanique d’alerte facilitée, accès équitable aux vaccins et autres moyens de lutte contre les pandémies… pourraient en être des objectifs.
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Aujourd’hui, « toutes les conditions sont réunies pour qu’une autre pandémie survienne », estime Arnaud Fontanet. Principaux candidats : les virus respiratoires (grippe, coronavirus…) et les arbovirus, transmis à notre espèce par des arthropodes à partir d’un réservoir animal ou d’une personne infectée. La liste est longue : fièvre jaune, dengue, Zika, virus du Nil occidental, encéphalite à tique, chikungunya… « Quelle que soit la nature d’une future pandémie, il faudra un système de santé solide pour y faire face, conclut Mahmoud Zureik. En prévision des difficultés de notre système dans les prochaines années, on peut ne pas être très optimiste. »