Le commissaire Honoré Kientéga, qui se présente comme le secrétaire général de l’Union police nationale (UNAPOL), a affirmé dans un entretien accordé à Wakat Séra, que si le gouvernement n’y prend garde, au regard de la crise qui secoue l’organisation syndicale des policiers, il pourrait se retrouver avec une vingtaine de syndicats du corps paramilitaire. A l’en croire, les policiers du Burkina Faso sont arrivés à « un certain niveau de mentalité et de liberté qu’ils ne peuvent plus revenir en arrière ». Il déplore également qu’à cause de la crise qui secoue leur syndicat, que le corps se retrouve diviser face à la situation sécuritaire.
Wakat Séra : Qu’est-ce qui n’a pas marché à votre congrès ?
Honoré Kientéga : A la date du 25 août, nous sentons la main du politique qui cherche à contrôler l’UNAPOL par l’entremise des policiers qui ne sont même pas membres de notre syndicat. A cette date on a essayé de faire un bureau consensuel en préparation du congrès. Il y a eu des élections préliminaires entre le commissaire Armiyaho Zongo et moi et je l’ai battu à plate couture. Ce qui veut dire que dans le bureau qui devait être présenté au congrès, j’étais le secrétaire général et lui l’adjoint, selon un consensus qui prévalait. On a dressé la liste unique qui devait aller au congrès mais depuis ce jour, je sentais que M. Zongo n’avait pas atteint son objectif qui est de pouvoir contrôler le syndicat. Ainsi s’en est suivi des soubresauts et à la date du 26 août on a commencé à voir dans les réseaux sociaux des jeunes assistants qui ont été instrumentalisés, qui passaient tout leur temps à m’injurier.
A la date du 1er septembre, date limite du dépôt des listes, puisque nous savions qu’il (Armiyaho Zongo) préparait une liste, donc nous avons réaménagé notre liste et à cette date, nous avons effectivement vu qu’il est venu déposer sa liste et nous aussi avions déposé la nôtre. Et donc, il fallait mettre les textes en branle puisqu’automatiquement on allait mettre en place un comité électoral qui n’était pas prévu si on avait une seule liste consensuelle. Le 5 septembre, on a tenté de mettre le comité électoral en place et il est venu avec certains policiers qui ne sont même pas membres de l’UNAPOL et une délégation de son bureau pour perturber la rencontre. A la limite, il voulait que les gens en arrivent à la main parce qu’il semble que l’objectif pour eux étaient, soit que le gouvernement ait une occasion pour suspendre le syndicat ou le dissoudre. C’est alors qu’ayant compris et ayant eu certaines informations avant qu’il n’arrive, étant maître des lieux puisse que c’est moi qui suis le secrétaire général par intérim, j’ai demandé à ce qu’on suspende.
Comment s’est invité l’ex-SG de l’UNAPOL dans cette crise ?
J’ai reçu un appel de l’ex-SG de l’UNAPOL sur le dernier développement que je venais de faire. Au téléphone le commissaire Wakilou Siénou m’a dit que vu la situation, à la demande de beaucoup de hauts gradés, il va intervenir pour la calmer. Donc il a pris la tête du comité électoral et m’a demandé de mon côté d’envoyer un proche mais qui ne figure pas dans la liste du bureau et réitéré la même chose à l’autre camp. Il nous a aussi demandé d’envoyer nos cartes d’appartenance au syndicat. Naturellement moi j’ai envoyé mes pièces et celles de mes membres. Mais par la suite, j’ai appris qu’il (Wakilou Siénou) aurait appelé le candidat Zongo en vain. Il (Zongo) aurait même refusé à la dernière minute d’envoyer un représentant auprès du comité électoral. De ce fait, il (Wakilou Siénou) a appelé le délégué régional des Hauts-Bassins et celui du Sahel pour former le comité électoral. Et donc naturellement la liste de M. Zongo a été invalidée.
Après cela, nous sommes allés au congrès et il n’y a plus eu d’élection mais de présentation du nouveau bureau. Le 8 septembre, très tôt dans la matinée, j’ai reçu des appels m’informant que le candidat Zongo plus son groupe et des gens qui ne sont même pas du syndicat viendraient dans l’objectif de troubler le congrès. Ils étaient toujours dans leur dessein de créer la bagarre pour qu’on puisse suspendre le syndicat. Quel que soit ce qui devait se passer, l’objectif est de tout faire pour mettre le syndicat à mal. Ce jour lui-même commissaire principal a porté la main sur un assistant. Mais les camarades se sont retenus compte tenu de nos consignes et n’ont pas réagi. Ce qui nous a permis de dérouler le programme de notre congrès jusqu’à la fin.
C’est dans la même soirée que certains assistants de la police m’appellent pour dire qu’ils sont en train de mettre un comité de sages en place. Alors je demande c’est pour quel objectif ? Ils me font comprendre qu’il va falloir que nous allions au-delà des textes et revoir avec le groupe de M. Zongo pour trouver un bureau consensuel. Je leur ai dit que ce bureau rentre dans quel cadre légal de nos textes ? Ce comité de sages n’étant pas prévu par nos textes, j’ai décliné l’offre parce que cette liste sera illégale. Depuis ce jour on a regroupé les documents et déposé à la direction générale des libertés publiques le 25 septembre pour l’obtention du récépissé de renouvellement.
Comment avez-vous su quand le bureau de vos frondeurs a été reçu par les autorités de la sécurité ?
C’est dans les journaux, le 27 septembre, que nous avons vu qu’une quarantaine de policiers se sont retrouvés à l’école de police pour organiser un congrès extraordinaire et qu’ils auraient mis un bureau en place. C’est ainsi que nous nous sommes rendus compte que c’est le bureau invalidé qui faisait ses manœuvres. Or il aurait été plus facile pour eux d’aller créer un autre syndicat si vous pensez avoir des militants que d’usurper le nom d’un syndicat déjà existant. Donc l’un dans l’autre, l’objectif n’est pas la création d’un syndicat mais de détruire l’UNAPOL.
Vous avez dit que Wakilou Siénou à la demande de gradés s’est vu obligé d’intervenir, est-ce à dire que les gradés soutiennent-ils le combat que mène l’UNAPOL ?
Sur ce point je vous rassurerais que contrairement à certaines personnes qui font tout pour déstabiliser le syndicat, il y a quand même des gradés qui sont assez d’accord avec le travail qui est en train d’être mené parce que si on a un acquis c’est pour tous les policiers. Il y a des policiers qui ne sont pas gradés mais qui sont farouchement contre le syndicat. Mais est-ce que nous sommes comme en Suède où quand un syndicat à gain de cause on vous demande d’envoyer le nom e vos militants. Non ! Il y 6 000 militants de l’UNAPOL mais s’il y a un acquis c’est tous les policiers (plus de 15 000) qui en bénéficieront. Il y a des gradés qui sont contre parce que dans leur position cela ne les arrange pas car ils ne peuvent pas manœuvrer. La question actuellement que nous nous posons, c’est comment le ministre Clément Sawadogo (de la Sécurité intérieure), chevronné en matière de connaissance du monde syndicale, comment pourrait-il expliquer la mascarade qui est en train de se faire. Avec les bisbilles qu’il y a eu autour de cette affaire, la liste du groupe de Zongo a été invalidée, et c’est notre ministre de tutelle connaissant bien l’évolution du monde syndical qui les reçoit en tant que bureau national.
Justement comment expliquez-vous malgré tout ce que vous nous avez raconté, que vos frondeurs soient reçus par les autorités ?
Nous-mêmes nous nous posons la question. Nous nous demandons si ce n’est pas le groupe de la hiérarchie parce que l’information peut-être que vous n’avez pas, Zongo Armiyaho est le Chef de la division de la gestion du personnel du directeur général de la police. Si vous avez suivi la question des affectations qui ont créé des problèmes, la majorité, ce sont des militants de l’UNAPOL, les irréductibles qui ont été balancés et cela a créé des mouvements qui nous ont obligés à intervenir. Il est le centre axial des affections contestées. Comment se fait-il que quelqu’un qui occupe cette responsabilité, une telle position veuille occuper la tête d’un syndicat ? Il fait partie du patronat et gère le personnel. Vous avez déjà vu un directeur des Ressources humaines (DRH) être en même temps à la tête d’un syndicat de son personnel ? Si un policier aujourd’hui à un problème avec sa carrière, le syndicat devrait aller voir Armiyaho Zongo qui gère le personnel pour pouvoir régler le problème. Et c’est lui qui veut être à la tête du syndicat. Donc ça veut dire que c’est un montage clairement orchestré.
Que faire pour sortir de cette situation qui fragilise votre corps, la police ?
Nous nous suivons de bout en bout l’évolution des choses à la direction générale des Libertés publiques et des Affaires politiques (DGLPAP), là même où notre récépissé doit être traité et délivré. Mais nous sentons que le traitement du dossier semble avoir une influence politique pour le simple fait que le 2 octobre nous avons été reçus par le directeur général (Aristide Béré) lui-même qui nous appelait pour comprendre qu’est-ce qu’il en était parce qu’il aurait reçu un autre dossier venant de Zongo Armiyaho. Il cherchait à comprendre ce qui se passait et on lui a donné tous les éléments de preuve, toutes les explications possibles. Le procès-verbal qu’ils ont présenté au journal Le Pays et L’Observateur Paalga où ils ont cité un certain nombre de personnes de l’ancien bureau, c’est-à-dire le premier bureau de l’UNAPOL, les mêmes personnes disent ne pas se reconnaître dans leurs propos et ont fait des droits de réponse. On a fait des coupures de journaux des droits de réponse pour déposer auprès du DGLPAP. On leur a fait, entre autres, une copie du procès-verbal d’invalidation du comité électoral de la liste de Armiyaho Zongo déposé. Le point le plus saillant que nous avons évoqué, nous avons demandé que les membres de M. Zongo montrent leur appartenance à l’UNAPOL parce que pour être militant de notre syndicat, il faut être détenteur de la carte d’adhésion et être à jour de ses cotisations.
Donc nous attendons de voir comment le DGLPAP va traiter ce dossier et quel est le sort qu’il va réserver au dossier de Armiyaho Zongo. Ce qui sera grave, ahurissant, terrible pour ce pays, si avec les éléments que nous avons donnés, l’administration publique burkinabè, à travers DGLPAP foule du pied les textes de son propre pays et qu’il donne un récépissé à Zongo Armiyaho, que l’on ne nous demande pas de suivre aucun texte. On ne peut pas prendre des policiers qui ne sont pas des membres de l’UNAPOL venir occuper le bureau national. Ce n’est pas possible. C’est où nous posons la question de savoir, quelle est la portée politique de cette affaire ?
Pouvez-vous nous égrener les acquis de l’UNAPOL en deux ans d’existence ?
Peut-être c’est à cause de ces acquis engrangés en deux ans, qui sont assez fulgurants que l’on veut mettre la main sur l’UNAPOL. Au-delà de la loi des décrets d’applications dont on attend maintenant l’adoption, les policiers doivent se rendre compte que les décrets ne sont pas encore adoptés parce simplement les gens ont trouvé les voies et moyens pour semer une certaine crise au sein de l’UNAPOL. Et le gouvernement qui n’a plus la pression ne se presse plus. Sinon le ministre Clément Sawadogo nous avait promis au premier ou deuxième Conseil des ministres pour que les premiers décrets d’application passent. Au niveau de la direction générale de la Police nationale (DGPN) où c’était bloqué, on a pu débloquer, beaucoup d’infrastructures ont été construites sous notre pression, un certain nombre d’équipement aussi qui sous la pression que nous avons pu avoir même si c’est dérisoire et au-delà de tout ça, on a la liberté d’expression, une chose qui n’a pas de prix parce que nous avions une police à la limite qui était gérée comme une relation de maître à esclave. Avec l’UNAPOL les gens ont commencé à quitter leur silence et maintenant on se retrouve avec des policiers qui ont un minimum de fierté. Il y avait le projet de mise en place de la mutuelle qui est aussi en voie d’être une réalité. Imaginez-vous que depuis tout ce temps, la police avec son gros effectif n’a pas une mutuelle. Peut-être que l’un dans l’autre ce sont ces projets de jeunes qui érigent notre police à un certain niveau et qui ne devrait pas pouvoir la rendre contrôlable par des mains occultes politiques qui dérangent les gens.
Quels pourraient être les revers d’une probable dissolution de l’UNAPOL ?
Sur cette question, je ne sais pas si ceux qui sont à la manœuvre ont fait une très bonne analyse de la situation. L’UNAPOL est présentement dérangeant pour le politique c’est vrai, par ses acquis qu’elle arrive à engranger. Mais à la date d’aujourd’hui, une chose est sûre, déstabiliser l’UNAPOL, on va se retrouver avec 1 000% d’inconvénient que 10% davantage. Les policiers sont arrivés à un certain niveau de mentalité et de liberté qu’ils ne peuvent plus revenir en arrière. La loi 027 a permis à la police d’avoir un certain acquis en matière de liberté et de droit syndical. Nous pensons qu’à la date d’aujourd’hui, quelle que soit l’issue de la situation, si le gouvernement force et déroge aux règles dans cette affaire et donner un récépissé au commissaire Zongo, il ne pourra rien contrôler dans cette police. Donc quand on aura une situation de revendication, il ne sera pas l’interlocuteur et les hommes le savent parce qu’ils le connaissent. A l’allure où vont les choses on risque de se retrouver avec une pullulation de structures syndicales. Et cela peut nous amener à avoir des structures syndicales par service. Imaginez-vous seulement à Ouagadougou si on a un syndicat au camp de Compagnie républicaine de sécurité (CRS), à l’Unité d’intervention polyvalente de la police nationale (UIP/PN), au commissariat central, à la DGPN, à l’Office national d’identification (ONI), à la Brigade anti-criminalité (BAC), est-ce que ces acteurs politiques qui sont derrière ces manœuvres ont mesuré la portée de leur acte.
De nos jours, on n’a pas d’autres syndicats parce que les dirigeants actuels de l’UNAPOL sont crédibles et la base croit en eux. Les éléments ne voient pas l’intérêt d’aller se recroqueviller dans un syndicat plus singulier. Si l’UNAPOL est déstabilisée, on pourrait se retrouver avec une vingtaine de syndicats et surtout des syndicats de la base. Moi je suis commissaire de police, je me bats dans ce syndicat mais je suis souvent moins frustré que le corps des sous-officiers, corps sur lequel des gens marchent dessus. Ils ont la possibilité de se syndiquer. Nous sommes dans la maison et nous savons comment certains gradés se comportent avec leurs éléments dans les services, comment le gouvernement pourrait gérer cette police si on se retrouve avec 15 ou 20 syndicats. C’est en cela que je demanderais à tous ceux qui ont leur main politique dans cette histoire de déstabilisation de l’UNAPOL de revenir dans le bon sens. Ca risque de se retourner contre eux. Il risque d’avoir un effet boomerang, une situation incontrôlable pour eux. J’en appellerai aussi aux policiers d’ouvrir l’œil, surtout le bon pour ne pas que la caporalisation de l’UNAPOL se fasse. C’est leur seul moyen de liberté, de dire à certaines personnes que nous ne sommes pas d’accord avec ceci ou cela. Qu’ils ne laissent pas le gouvernement mettre la main sur l’UNAPOL car c’est l’espoir de toute l’institution.
Actuellement le pays est attaqué fréquemment par des assaillants, qu’avez-vous à dire ?
C’est vraiment déplorable que le Burkina se retrouve dans cette situation. Qu’est-ce que je peux dire si ce n’est que de demander au Forces de défense et de sécurité (FDS) d’avoir beaucoup de courage et de ne pas céder quelle que soit la situation. Il est temps à la date d’aujourd’hui que les manœuvres qui sont en train de se faire au sein de la police pour déstabiliser l’UNAPOL cessent parce qu’il va nous falloir des corporations assez solides, unis, stables, pour que l’on puisse combattre ces individus malveillants. Avec ce qu’on a présentement au sein de l’UNAPOL, on s’est retrouvé avec une police divisée. Comment vous voulez que pendant cette crise-là on puisse être à même de mener cette guerre que nous sommes en train de mener. J’en appelle au bon sens de certaines personnes qu’ils arrêtent ces manœuvres pour que nous puissions avoir une certaine stabilité pour pouvoir faire face à nos agresseurs. Je lance aussi l’appel au gouvernement pour qu’il donne encore plus de moyens parce que les gens sont prêts pour aller au charbon mais il faut les moyens qu’il faut à la hauteur de la menace.
Entretien réalisé par Bernard BOUGOUM