Qu’elles s’appellent Guinée Bissau ou Guinée Conakry, elles constituent aujourd’hui deux plaies qui s’infectent au jour le jour et confirment la mauvaise santé du continent africain. Le mal est si profond en Guinée Bissau que le pays peine à se trouver un chef de l’Etat, malgré la victoire annoncée au second tour, du candidat Umaro Sissoco Embalo, l’ex-Premier ministre du président sortant, José Mario Vaz (novembre 2016-janvier 2018). L’homme qui s’est fait investir déjà président de la République, le 27 février dernier, a été élu président de la Guinée Bissau avec 53,55% des suffrages exprimés contre 46,45% pour son concurrent Domingos Simoes Pereira, selon les résultats de la commission électorale bissau-guinéenne. Le nouveau président bissau-guinéen, transfuge du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), et âgé de 47 ans, était le champion du Mouvement pour l’Alternative Démocratique (MADEM), parti qu’il a créé. Mais, le candidat malheureux ne l’entend pas de cette oreille et de rebondissement en rebondissement, même le président de l’Assemblée nationale, Cipriano Cassama, désigné président de la république par intérim, ce vendredi 28 février par 52 députés essentiellement du PAIGC, et dont la résidence était érigée en forteresse gardée par les soldats de l’Ecomib, la force militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), vient de jeter l’éponge. Il a dit être menacé et entend éviter au pays un bain de sang. Toute chose qui complexifie davantage une crise post-électorale qui connaît beaucoup de ramifications extérieures dont l’immixtion de chefs de l’Etat de la sous-région. Ceci explique sans doute l’incapacité de la Cédéao à apporter une solution acceptée de tous les protagonistes, notamment, le vainqueur désigné par les urnes de la présidentielle de novembre 2019.
La deuxième plaie qui gangrène la démocratie africaine et pourrait ramener le continent loin après le fameux Sommet de La Baule du 20 juin 1990, porte le nom de Guinée. Mais elle se caractérise davantage par l’entêtement incompréhensible et suicidaire d’un seul homme à vouloir mettre le feu à un pays dont les populations croyaient avoir trouvé la paix et la stabilité qu’elles ont espérées des décennies durant. Alpha Condé, puisque c’est de lui qu’il s’agit s’est résolument engagé, certes dans la légalité, mais dans l’illégitimité totale, dans une révision de la Loi fondamentale de son pays et des élections législatives qui n’ont d’autre but que de lui ouvrir la voie du maudit troisième mandat et une présidence à vie si affinités. Le forfait devait être commis ce dimanche 1er mars, par des scrutins législatifs et référendaire couplés décriés par tous. Définitivement isolé par les siens, même ses pairs du syndicat des chefs de l’Etat qui, commencent visiblement à comprendre que la présidence à vie est plutôt une présidence à mort, l’ancien opposant historique a reporté son funeste projet à plus tard. Dans deux semaines plus précisément. C’est ce qu’on exprime, en français facile, par l’expression, «reculer pour mieux sauter». Mais le président octogénaire contre qui se sont dressés, comme un seul homme, ses opposants, sa société civile et le Front national de la défense de la Constitution (FNDC) disposera-t-il du temps nécessaire pour «mieux sauter» avec la pression du camp d’en face? A-t-il encore la force physique pour mener ce combat très épuisant contre le plus grand nombre, lui qui soufflera sa 82è pige ce mercredi 4 mars? Sera-t-il en mesure de remobiliser ses troupes, les rats étant en train de quitter le navire qui pourrait couler face aux vagues puissantes des soldats de l’alternance?
Tout milite en défaveur d’un Alpha Condé, que les images de la télévision nationale de son pays, ont montré affaibli, sans doute par ses nombreuses années de lutte dans l’opposition, ses 10 ans de règne présidentiel et son volte-face épuisant contre le changement démocratique qui a pourtant été à l’origine de son arrivée au pouvoir en 2010. Et si la sagesse poussait l’homme fort de Conakry à dire non aux mirages du troisième mandat? En plus, les Guinéens ont pleuré trop de morts dans ces manifestations contre le troisième mandat. Il est encore temps pour lui de ranger son projet de constitution au fond de la poche de l’un de ses jolis boubous blancs et organiser des élections transparentes et ouvertes qui lui donneront encore une dernière chance de laisser son nom, ne serait-ce qu’en petits caractères, dans le livre de l’histoire politique tumultueuse de la Guinée. Vivement que les deux Guinées, en transe retrouvent le calme nécessaire qui les remettra sur les rails de la démocratie et du développement que leurs populations appellent de tous leurs vœux.
Par Wakat Séra