Accueil Opinion Délégation de l’UE chez l’opposant burkinabè Diabré: constats et déductions

Délégation de l’UE chez l’opposant burkinabè Diabré: constats et déductions

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Le juriste burkinabè, Amadou Traoré

Le jeudi 1er juin 2017, une délégation de l’Union européenne (UE) conduite par l’ambassadeur Jean Lamy, a été reçue en audience par le Chef de file de l’opposition politique (CFOP) burkinabè, Zéphirin Diabré. Voici les constats et déductions qu’en fait Amadou Touré, juriste de son état.

«Du rendu des échanges par la presse, l’ambassadeur (Jean Lamy, ambassadeur de la Délégation de l’Union Européenne au Burkina Faso, NDLR) Lamy aurait déclaré en substance que l’article 8 de la Convention de Cotonou prévoit que dans tous les pays où il y a une aide de l’UE, la représentation organise «un dialogue politique sur les conditions de la démocratie, de l’Etat de droit, le respect des droits de l’homme…». Sa visite s’inscrivait dans ce sens.

Cela m’a exhorté à prendre connaissance du contenu de ladite Convention de Cotonou. Il s’agit en réalité de l’Accord de Cotonou, partenariat signé le 23 juin 2000 entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres d’autre part, révisé à Luxembourg le 25 juin 2005 et à Ouagadougou le 22 juin 2010 avec les derniers amendements adoptés en juin 2013.

A travers cet accord, la Communauté et les États ACP conviennent de promouvoir et d’accélérer le développement économique, culturel et social des États ACP, de contribuer à la paix et à la sécurité et de promouvoir un environnement politique stable et démocratique.

Le TITRE II de l’Accord intitulé LA DIMENSION POLITIQUE, est assorti d’une ANNEXE VII relatif au dialogue politique sur les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’Etat de droit. Leurs dispositions méritent que l’on s’y arrête.

 

CONSTATATIONS ET DEDUCTIONS

Des 6 articles qui composent le Titre II de l’Accord de Cotonou, deux m’ont intéressé : il s’agit des articles 8 et 9.

L’article 8 de l’accord de Cotonou est effectivement relatif à l’organisation d’un dialogue politique global, équilibré et approfondi conduisant à des engagements mutuels que les parties doivent mener de façon régulière. Ce dialogue politique « englobe également une évaluation régulière des évolutions au regard du respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit, ainsi que de la bonne gestion des affaires publiques. »

Mais c’est l’article 9 qui est le plus indicatif. Intitulé « Éléments essentiels concernant les droits de l’homme, les principes démocratiques et l’État de droit, et élément fondamental concernant la bonne gestion des affaires publiques », il constitue un vrai bréviaire des droits de l’homme pour les signataires de l’Accord de Cotonou.

Ainsi, le point 1 dispose que : « La coopération vise un développement durable centré sur la personne humaine, qui en est l’acteur et le bénéficiaire principal, et postule le respect et la promotion de l’ensemble des droits de l’homme.

Le respect de tous les droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris le respect des droits sociaux fondamentaux, la démocratie basée sur l’État de droit, et une gestion transparente et responsable des affaires publiques font partie intégrante du développement durable…. »

Le point 2 dispose que : « Les parties se réfèrent à leurs obligations et à leurs engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme. Elles réitèrent leur profond attachement à la dignité et aux droits de l’homme qui constituent des aspirations légitimes des individus et des peuples. Les droits de l’homme sont universels, indivisibles et interdépendants. Les parties s’engagent à promouvoir et protéger toutes les libertés fondamentales et tous les droits de l’homme, qu’il s’agisse des droits civils et politiques, ou économiques, sociaux et culturels. ……

L’État de droit inspire la structure de l’État et les compétences des divers pouvoirs, impliquant en particulier des moyens effectifs et accessibles de recours légal, un système judiciaire indépendant garantissant l’égalité devant la loi et un exécutif qui est pleinement soumis au respect de la loi..  »

Le point 3 dispose que : « …la bonne gestion des affaires publiques se définit comme la gestion transparente et responsable des ressources humaines, naturelles, économiques et financières en vue du développement équitable et durable. Elle implique des procédures de prise de décision claires au niveau des pouvoirs publics, des institutions transparentes et soumises à l’obligation de rendre compte, la primauté du droit dans la gestion et la répartition des ressources, et le renforcement des capacités pour l’élaboration et la mise en œuvre de mesures visant en particulier la prévention et la lutte contre la corruption.…… »

Le point 4 dispose que : « Le partenariat soutient activement la promotion des droits de l’homme, les processus de démocratisation, la consolidation de l’État de droit et la bonne gestion des affaires publiques.

Ces domaines constituent un élément important du dialogue politique.… »

Il m’a paru nécessaire de reproduire ces larges extraits de l’article 9 pour non seulement montrer la place des droits de l’homme dans les Accords de Cotonou, mais aussi pour souligner les manquements de l’Union européenne quant à l’organisation de ce dialogue entre les composantes politiques de la Transition en 2014, ou entre le pouvoir et l’opposition politique depuis décembre 2015. C’était une obligation à sa charge.

On le sait, les fins anormales des régimes politiques sont l’occasion de violations massives des droits de l’homme que seuls les partenaires extérieurs peuvent dénoncer et infléchir.

L’un des déterminants de la politique publique du Burkina Faso post-insurrectionnel, comme on aime à le dire, est le non-respect des engagements de l’Etat.

Cela s’est traduit entre autres par les exclusions politiques massives en 2015 au mépris des dispositions du traité de la CEDEAO, sans autre base légale que la volonté de ceux qui se considèrent comme les vainqueurs d’un jour. Et on y est toujours.

Les violations des dispositions constitutionnelles et des engagements internationaux, les atteintes répétées aux droits de l’homme, les arrestations, détentions abusives et harcèlement des opposants et non affiliés au parti au pouvoir, les exactions des milices Koglwéogo sont monnaies courantes au Faso d’aujourd’hui, au point que le Comité des droits de l’homme des Nations-unies a tiré la sonnette d’alarme et adopté des observations très critiques à l’égard du Burkina Faso le 11 juillet 2016 lors de sa session annuelle.

Le Comité des droits de l’Homme des Nations-unies est une référence et un symbole.

Ce comité est l’organe exécutif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques conclu à New York le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 23 mars 1976. En fin de 2001, 147 Etats l’avaient ratifié dont le Burkina Faso.

La démarche de la délégation de l’Union européenne du 1er juin 2017 en direction du Chef de file de l’opposition politique, pour rappeler la nécessité d’instaurer un dialogue politique au Burkina Faso exprime peut-être les inquiétudes de ses membres face à la décadence annoncée de l’Etat burkinabè, mais étonne par son caractère anachronique. En effet, le blocage politique au Burkina Faso est la conséquence de la mauvaise gouvernance du parti au pouvoir aujourd’hui décriée par ses amis et soutiens d’hier. L’Union européenne aurait fait œuvre utile en se saisissant bien plus tôt des questions de violations des droits de l’homme qui sont déterminantes sur le fonctionnement de tout Etat. Malheureusement, tant que le parti au pouvoir avait le dessus, elle ne s’en est pas préoccupée outre mesure.

Demander maintenant l’instauration d’un dialogue politique au Burkina Faso pour donner un bol d’air au parti au pouvoir (c’est comme cela que la démarche est perçue) alors que les préalables de gestion apaisée et de respect de l’intégrité physique des personnes pressenties pour participer au dialogue ne sont pas assurés est une chimère.

Ce n’est pas pour rien que le PNDS est plombé, parce que les partenaires privés nationaux comme étrangers, regardent à deux fois avant de mettre leurs deniers dans l’économie d’un pays où la chasse aux sorcières, érigée en politique publique, constitue un frein à la cohésion sociale, à la sérénité du climat des affaires et au fonctionnement régulier des services publics. La chasse aux sorcières est précisément dirigée contre ceux qui ont les capacités de financement de l’économie ou les compétences techniques et intellectuelles nécessaires au fonctionnement des services publics. En les écartant pour des raisons autres que celles de la compétence, un vide se créée que les nominations de copinage ne peuvent pas combler. Cela n’est rien d’autre que se tirer une balle dans ses pieds, un choix certainement assumé par le pouvoir mais dont les séquelles sont déjà visibles.

 

 

CONCLUSION

Le point 8 de l’article 8 de l’Accord de Cotonou rappelle que « le dialogue portant sur les éléments essentiels doit être systématique et formalisé conformément aux modalités définies à l’annexe VII. » C’est dire que l’on n’avait pas besoin d’attendre que la situation socio-politique se crispe pour organiser le dialogue : il devait être instauré systématiquement pour mettre chaque partie devant ses responsabilités.

En outre, le préambule de l’Accord de Cotonou reconnait explicitement « qu’un environnement politique garantissant la paix, la sécurité et la stabilité, le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit et la bonne gestion des affaires publiques fait partie intégrante du développement à long terme; reconnaissant que la responsabilité première de la mise en place d’un tel environnement relève des pays concernés. »

L’article 9 de l’Accord de Cotonou rappelle à son entame que : « 1. La coopération vise un développement durable centré sur la personne humaine, qui en est l’acteur et le bénéficiaire principal, et postule le respect et la promotion de l’ensemble des droits de l’homme. » On ne peut être plus explicite sur l’importance des droits de l’homme considéré comme partie intégrante du développement durable par l’Accord.

L’engagement ferme du pouvoir avec un début d’application de cet article 9 de l’Accord de Cotonou me parait être le préalable à tout dialogue politique au Burkina Faso. La délégation de l’Union européenne doit interpeler les parties prenantes sur leurs engagements réciproques.

Quant au parti au pouvoir, il est de son intérêt d’inspirer confiance aux acteurs de développement. Le respect des règles de l’Etat de droit en est la condition essentielle. Ce n’est pas une faveur qu’il ferait ainsi à l’opposition politique et au peuple : c’est une obligation attachée à la charge de la gouvernance qu’il assure.

Les ambassadeurs des Etats-Unis et du Canada qui ont rendu visite au CFOP respectivement le 8 mai et le 17 mai 2017, tout comme le Premier conseiller de l’ambassade de Grande-Bretagne qui y était le 28 avril 2017 doivent adopter cette attitude de sincérité et de leur attachement aux principes fondamentaux de l’Etat de droit et de la coopération entre Etats.

Le respect par chacun des règles du jeu politique et de ses engagements est la seule condition pour sauver ce qui se peut encore au Faso ; et il y a urgence.»

Amadou TRAORE

Juriste