Ceci est une tribune du Collectif des chefs et acteurs africains des métiers de bouche qui oeuvrent pour la promotion des cuisines africaines.
« Nous avons la noble mission de promouvoir les cuisines africaines
«C’est peut-être l’un des plats les plus audacieux qu’on n’ait jamais eu». Tel est l’aveu ô combien élogieux du chef Paul Pairet devant le plat du candidat Elis Bond, qui a évolué dans la brigade de Glenn Viel dans Top Chef saison 13. Le mercredi 16 février 2022, Top Chef, l’émission de cuisine à large audience, faisait son grand retour sur la chaîne M6. Pour le premier numéro de cette nouvelle édition, les téléspectateurs ont eu droit, comme à l’accoutumée, à de riches moments d’émotions gustatives. Si la recette du Guyanais Elis Bond a pu conquérir les jurés, c’est en partie grâce au Mintoumba et au Mbongoo, deux spécialités culinaires du Cameroun. Cet épisode sur des mets africains, aussi anecdotique soit-il, est la preuve, si l’on en doutait encore, que l’Afrique regorge de nombreux trésors culinaires qui n’attendent qu’à être connus des amateurs de bonne chère.
L’intérêt que l’on accorde aux cuisines africaines est de plus en plus grandissant depuis une dizaine d’années à la faveur des échanges culturels et commerciaux qui connaissent un nouveau paradigme, dont la critique décoloniale n’est pas étrangère. Si l’on est encore relativement loin du compte, les avancées obtenues jusqu’ici ne sont pas moins élogieuses. Très encourageantes en effet, celles-ci sont le fruit acharné de diverses contributions institutionnelles, associatives, communautaires et individuelles. Les chefs et les acteurs africains des métiers de bouche issus de la diaspora ou non sont d’un apport considérable dans cette dynamique de la valorisation des cuisines africaines aux quatre coins du globe. Malgré tous ces efforts consentis, les cuisines d’Afrique, surtout celles au sud du Sahara, tardent cependant à se hisser au niveau des standards internationaux. Elles doivent encore faire face à d’énormes difficultés structurelles. C’est dire si les défis à relever sont également énormes. Il nous faut donc procéder à un aggiornamento.
La formation professionnelle constitue, de nos jours, le soubassement dans la transmission de tout art qui se veut parfaitement maîtrisé. S’inscrit dans cette logique, en premier lieu, la création des écoles de cuisine sur le continent et pour le continent. Encore faudrait-il que celles-ci tiennent littéralement compte des réalités locales. En d’autres termes, les contenus théoriques et pratiques, ainsi que probablement son modèle d’appréhension, doivent être en adéquation avec les habitudes et pratiques alimentaires des pays. Les savoirs et les savoir-faire locaux doivent, de fait, occuper une place de choix dans les curricula afin de garantir une inclusion culturelle. Une telle approche pédagogique implique qu’il soit plus que jamais pris en considération les travaux scientifiques axés sur les cuisines nationales, ce qui signifie in fine la mise sur pied des parcours académiques y relatifs dans les universités. Cela est d’autant plus recommandable que la patrimonialisation est au cœur des enjeux culturels mondiaux. En témoigne la très convoitée liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. À ce jour, trois spécialités africaines ont le privilège d’y figurer, à savoir : le Nsima du Malawi en 2017, le couscous conjointement du Maroc, de la Tunisie, de l’Algérie et de la Mauritanie en 2020 et, plus récemment, le Ceebu jën du Sénégal en 2021. Les États africains gagneraient à sauvegarder encore plus de spécialités auprès de l’Unesco, car cette initiative géopolitique participe, selon les analystes, au rayonnement international.
Au même titre que la patrimonialisation, la labellisation est une vitrine exceptionnelle pour les produits continentaux puisque leur garantie est désormais institutionnalisée ; cette reconnaissance est, à divers points, source de plus-value. Comme on le sait, la qualité d’un produit, d’un ingrédient peut considérablement et avantageusement influer sur la qualité, la succulence d’un plat. À cet égard, les produits labellisés, au rang desquels les Indications Géographiques Protégées (IGP) comme le poivre de Penja qui été certifié par l’Union européenne le 10 mars 2022, méritent une attention particulière aussi bien pour des raisons gastronomiques, économiques que stratégiques. À côté de ces produits nobles, plusieurs centaines d’autres produits, en raison de leur capacité à sublimer les assiettes, devraient bénéficier d’une plus grande visibilité. On pense alors aux farines sans gluten, aux céréales anciennes, aux aromates ethniques ou encore aux fruits et légumes exotiques. Leur utilisation, des recettes traditionnelles et créatives, doit être expressément envisagée. D’autant plus que la qualité d’un plat réside dans les ingrédients utilisés, ou plutôt dans la nature, le statut de ceux-ci. À partir de cet instant, connaître, mais alors bien connaître de tels produits relève avant tout d’une volonté réelle de vulgariser pédagogiquement les cuisines continentales avec comme objectif de toucher une plus grande cible.
Invités à la table universelle du donner et du recevoir, nous, chefs et acteurs africains des métiers de bouche, nous sommes tenus de questionner, plus que par le passé, notre rapport à la mondialisation des cuisines afin que nos contributions, quelles qu’en soient la nature, fassent tache d’huile dans l’histoire de l’humanité. Se doter d’instruments stratégiques de valorisation et de vulgarisation à la suite, bien entendu, de ce qui a déjà été fait jusqu’ici, apparaît non seulement comme une nécessité, mais encore davantage comme un défi. Pour suffisamment mettre en lumière les richesses alimentaires du continent, nous nous devons de construire et de proposer au monde une alternative sensorielle. Avec comme mot d’ordre : influencer. C’est à ce prix, seulement, que les cuisines africaines, ainsi que toutes ses différentes parties prenantes, peuvent réellement acquérir une plus grande visibilité dans les médias, les restaurants, les épiceries, les évènements, les écoles, les diplomaties, les musées et les foyers. »
LISTE DES SIGNATAIRES
Cheffe Clarence Kopogo
Co-fondatrice de l’Institut Gastronomique Panafricain
Centrafrique
Cheffe Victoire Gouloubi
Teacher & Consultant, President of the jury of association Chefs artists inside italy
Congo
Cheffe Nathalie Brigaud Ngoum
Auteur et consultante, www.envoleesgourmandes.com
Cameroun
Ndèye Aïssatou Mbaye
Auteur et consultante, www.aistoucuisine.com
Sénégal
Kevin Ngano
Co-fondateur Agence Penja et Institut Gastronomique Panafricain
Cameroun
Joséphine Kodiani
Initiatrice du collectif Guro www.guro.fr / (Concept culinaire Afro Nomade)
Côte d’Ivoire
Cheffe Allison Aïdam
Consultante gastronomique
Côte d’Ivoire
Cheffe Aïna Ramadison
Ambassadrice experte de Madagascar à l’Organisation Mondiale de la Gastronomie
Madagascar
Orphée ABALO
Créateur d’expériences culinaires
Bénin
Blériot TCHEEKO
Fondateur d’APERAF (La cuisine africaine à travers le digital, la tech et l’évènementiel)
Cameroun
Sandrine Vasselin Kabonga
Fondatrice et gérante de Misao Kivu, poivres rares et épices fines d’Afrique
République démocratique du Congo
Chef Tamsir Ndir
Coach, consultant et chercheur culinaire
Sénégal
Étienne Biloa
Fondateur Untold Stories et co-fondateur Agence Penja
Cameroun
Francis Boussougouth
Fondateur de Oodge, blog.oodge.com
Côte d’Ivoire
Mariane SAÏZONOU
Restauratrice et fondatrice du Foodseum
Bénin
Ndeye Fatou NDOYE
Consultante et formatrice en industrie alimentaire et restauration
Sénégal
Sonia Marty
Experte et consultante en art culinaire africain, Black Culinaria
Côte d’Ivoire/France
Chef Rudy LAINE
Entrepreneur culinaire, New Soul Food, Restaurant Le Maquis
Cameroun/France
Gloria KOESSI-GOVOR
Journaliste culinaire et directrice du Festival Gastronomique Zâ
Bénin
Marthe-Esther ZOGBELEMOU
Fondatrice de Kulabox et formatrice en ateliers de démystification des cuisines africaines
République de Guinée
Katia et Noëlla
Co-fondatrices de Fresh Afrika
République démocratique du Congo et Cameroun
BINALI AHAMADA
Fondateur de Maison Massiwani
Comores
Cheffe Agness Colley dixit Aguyness
Cheffe privée
Togo
Cheffe Eliza Brun
Fondatrice de L’africaine de puisaye
Gabon
TÉGUIA BOGNI
Gastrostratège, consultant et sensibility reader en cuisines africaines
Cameroun