« La prise en compte du paramètre migrations dans la planification du développement territorial dans les communes à forte mobilité ». C’est l’analyse que fait Dr Irissa Zidnaba, attaché de recherche, à l’Institut des sciences des sociétés (INSS) et au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST), dans cet article.
Introduction
Cette analyse est basée sur les résultats de travaux sur les migrations des Bissa en Italie dans leur localité d’origine. Le focus est essentiellement axé sur deux aspects : l’impact des activités transnationales des migrants bissa pour le développement local et la place de la migration dans la planification du développement territorial.
- Les pratiques transnationales des migrants : un tremplin pour le développement local
Pour illustrer cette question, un regard est porté sur Béguédo et les flux migratoires organisés vers l’Italie. Les migrations internationales des Bissa à destination de l’Italie se sont développées au cours des années 1980 à partir de la Côte d’Ivoire et surtout depuis le Burkina Faso. Ce sont essentiellement des migrations de travail. Elles s’appuient sur des solidarités familiales ou communautaires. En l’espace de trois décennies, la communauté burkinabè d’Italie a construit l’une des plus importantes communautés hors d’Afrique.
Parmi les migrants burkinabè, ceux qui sont originaires de la région du Centre-Est sont majoritaires. Les ressortissants de la commune de Béguédo sont particulièrement représentés en raison des logiques communautaires de solidarité relatives à la migration (culture de mobilité, décision et financement familial du voyage, mise en place des agences d’emploi dans les entreprises).
L’intégration socio-économique des migrants bissa dans la société italienne n’a pas été un facteur d’érosion des relations sociales avec le pays d’origine. Près de la moitié des migrants enquêtés reviennent régulièrement tous les deux ans. Ils ont également développé des pratiques socioculturelles, économiques et politiques transnationales entre les communes ou les régions de résidence en Italie et leur commune d’origine au Burkina Faso. Ces pratiques se concrétisent par des transferts de fonds, des investissements économiques, un entrepreneuriat transnational, le jumelage des communes, le financement des infrastructures sociocommunautaires, etc.
Ils ont collectivement monté des projets de développement de leur localité et ont cherché des partenaires d’accompagnement. A titre d’exemple, l’Association des Ressortissants de Béguédo en Italie (ARBI) a réalisé de nombreuses infrastructures communautaires (écoles, centre culturel, aménagement des voiries). Parmi ces réalisations, en 2012, le CMA du Béguédo constitue l’un des plus importants investissements, d’un montant de 131 millions de F CFA. La structure a également noué une coopération avec l’hôpital de Gavardo, en Italie. Il est formalisé par des échanges de personnels et l’octroi de matériels pour l’équipement du centre médical (Cf. photos ci-après).
La construction de ces infrastructures et leurs équipements contribuent à l’amélioration de la santé de la population et surtout l’accès aux services et soins de santé de base. Plus de 2/3 des ménages enquêtés estiment que leurs conditions sont améliorées par le biais de la migration. En outre, le montant total des fonds reçus par les ménages enquêtés entre 2012 et 2013 est estimé à 100,9 millions de F CFA, soit en moyenne 800 000 F CFA par émigré.
Ces retombées cachent cependant des effets préjudiciables au développement local en raison de l’émigration massive des jeunes.
- Les migrations, un paramètre clé à prendre en compte dans la planification du développement territorial
La prise en compte du paramètre migrations dans la planification du développement territorial dans les communes à forte mobilité, comme Garango, Béguédo, Niaogho, s’impose. Celle-ci concerne aussi bien les facteurs qui poussent les jeunes à émigrer comme les retombées socio-économiques des migrants. En effet, la régulation du phénomène migratoire constitue un enjeu majeur à l’échelle locale en raison de la pénurie de main-d’œuvre pour l’agriculture, base de l’économie locale.
Au cours des prochaines années, les effets de la variabilité climatique pourraient accroître les facteurs locaux de répulsion : baisse de productivité, problème foncier. La capitalisation de la rente migratoire se pose aussi avec acuité car les transferts de fonds pourraient connaître une baisse liée à la crise économique et surtout à l’intensification de la lutte contre les migrations irrégulières vers l’Union Européenne. En effet, plus de la moitié des migrants (61,5%) à Béguédo n’a pas investi dans l’agriculture. Seulement 12,6% des migrants enquêtés ont investi dans l’exploitation agricole.
Conclusion
Cet article interpelle sur les enjeux de développement local masqué par les retombées économiques issues de la filière migratoire dans la région de Béguédo. Les transferts de fonds des migrants ont contribué à faire sortir ou maintenir plusieurs ménages hors de la pauvreté et à dynamiser l’économie locale. Mais le délaissement de l’agriculture observé depuis quelques années est également préjudiciable au développement local. Une politique migratoire assistée au niveau local s’impose donc et de façon rapide.
Irissa Zidnaba,
attaché de recherche, à l’Institut des sciences des sociétés (INSS) et au
Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)
BIBLIOGRAPHIE
Zidnaba, I. (2016). Migrations internationales et développement : l’impact socio-économique des pratiques transnationales des émigrés de Béguédo résidant en Italie. Thèse de doctorat unique de Géographie, Université de Ouaga I Professeur KI-ZERBO, Ouagadougou, Burkina Faso, 282 p.
Zidnaba, I. & Drabo, B. (2016). La gestion des migrants burkinabè de retour de l’Afrique centrale : de la compassion aux défis de la réinsertion socioprofessionnelle. Présenté à Dynamiques migratoires en Afrique de l’Ouest : Histoire, flux et enjeux actuels, Agadez, Niger. 23 p.