Djibril Bassolé est serein malgré sa condamnation à dix ans de prison ferme. «C’est le terrain qui commandera la manœuvre comme disent les militaires !», nous lance-t-il à la question concernant ses ambitions politiques. Evacué en France le mercredi 29 janvier 2020 contre une caution conséquente de 30 millions de Franc CFA (46 000 euros), le général et ancien ministre Burkinabé des Affaires Étrangères livre ici sa toute première interview en terre française. Exclusif.
Tout d’abord, comment va votre état de santé ?
Par la grâce de Dieu, je me maintiens. Je suis surtout soulagé de pouvoir me faire soigner convenablement dans un hôpital spécialisé en France afin de me mettre à l’abri d’une évolution fatale de mon état de santé.
Bénéficiez-vous de soins de santé en prison ?
Il n’y avait pas de soins possibles en prison. De toute façon, il n’y a pas de soins palliatifs en ce qui concerne mon cas. Mes médecins-traitants au Burkina Faso ont fait tout ce qu’ils pouvaient faire avec les moyens techniques à leur disposition dans les hôpitaux de la place. Je leur témoigne au passage mon admiration et toute ma gratitude.
Finalement, qui devait prendre la décision de vous autoriser à sortir du Burkina Faso afin d’accéder à vos soins de santé et quels étaient les obstacles ?
Les arrangements pour ma sortie du territoire burkinabè pour des raisons de santé ont fini par aboutir. Dieu merci, c’est l’essentiel. Les obstacles sont désormais derrière nous. Je dois saluer la grande disponibilité de mes avocats qui ont poursuivi sans relâche les démarches auprès des autorités administratives et politiques. Les autorités judiciaires n’ont à aucun moment fait obstacle. Les différents juges en charge de mon dossier ont toujours répondu favorablement aux requêtes de mes avocats concernant mes soins de santé à l’extérieur du Burkina Faso. En dehors de la justice, de nombreuses bonnes volontés ont entrepris des démarches utiles. C’est l’occasion pour moi, d’exprimer ma profonde reconnaissance à toutes les personnes physiques et morales qui se sont mobilisées pour ma santé et qui ont intercédé en ma faveur. Grace à leurs actions multiformes, je peux enfin caresser l’espoir de guérir totalement avec l’aide du Très-Haut.
Vos avocats ont interjeté appel suite au verdict du Tribunal militaire qui vous condamne à dix ans d’emprisonnement ferme. Où en êtes-vous avec cette procédure ?
En effet, vous avez suivi le verdict du Tribunal militaire de Ouagadougou qui m’acquitte du chef d’accusation d’attentat à la sureté de l’Etat et autres meurtres, coup et blessures volontaires. Il me condamne pour la seule infraction de “trahison” sur la base d’un prétendu enregistrement téléphonique « SORO – BASSOLE » circulant sur internet et dont personne n’a pu établir son origine. Comme vous le disiez, mes avocats en accord avec moi, ont interjeté appel, car nous avons bon espoir que devant une juridiction de magistrats professionnels et indépendants, cette infraction de “trahison” qui n’est fondée sur rien de fiable et de concret sera examinée autrement.
Le Burkina Faso est soumis depuis bientôt cinq ans à une vague d’attaques terroristes sans précédent. Quelle est votre appréciation de la situation de l’insécurité, vous qui avez exercé de hautes responsabilités dans le domaine de la sécurité ?
Pour faire une analyse complète et précise, il me faudrait recueillir plus d’éléments d’appréciation. Néanmoins, selon les informations disponibles dans les médias, on peut constater qu’aux actions terroristes à vocation transfrontalière, se superposent des conflits armés entre différentes communautés, une grande criminalité organisée faite de trafic en tout genre, une émigration clandestine et des désordres sociaux multiformes accentués par la remise en cause de l’autorité de l’Etat (administration d’Etat, justice, ordre public, etc.).
De ce constat, on peut déduire que les causes profondes de l’extrémisme violent qui se propage au Burkina Faso sont aussi bien exogènes qu’endogènes. C’est probablement la combinaison de plusieurs facteurs qui explique les motivations des groupes terroristes et ceux qu’on peut considérer comme leurs alliés locaux.
A mon humble avis, le phénomène de l’extrémisme violent tel qu’il se manifeste sur le terrain est bien plus complexe qu’on ne l’imagine. Il se greffe aux conflits, aux malaises et aux désordres déjà existants dans nos sociétés et les exacerbe. Ce faisant, le terrorisme pourrait s’enraciner durablement sous des formes variées et saper les fondements même de notre organisation sociale et politico administrative, si on ne s’attaque pas à ses causes profondes.
Dernièrement, les terroristes ont perpétré une attaque d’envergure contre les travailleurs de la mine d’or de Boungou. N’est-ce-pas là une manière de s’en prendre aux intérêts économiques du Burkina Faso ?
Si ce n’est l’objectif visé par les terroristes, en tout cas, les conséquences de cette attaque contre les personnels de la mine d’or de Boungou portent directement et indirectement un coup sévère aux intérêts économiques du Burkina Faso. Ce genre d’attaque d’envergure comme vous la qualifiez, prend des proportions d’une insurrection armée, une sorte de révolte sous tendue par des conflits d’intérêt réel ou supposé. Il est à craindre que la pauvreté et la précarité des conditions de vie aidant, les groupes terroristes et leurs alliés locaux remettent en cause le système de gouvernance, le mode d’exploitation et de répartition des richesses naturelles.
Ils chercheraient donc à imposer par la violence et la terreur, une forme d’organisation compatible avec les intérêts économiques des groupes mafieux plus ou moins bien organisés. L’objectif, pour eux, est d’obtenir un retrait voire une disparition pure et simple des structures de l’administration d’Etat, ce qui leur procurerait des espaces de non droit propices à toute forme d’activités illicites. Les intérêts économiques du pays ne peuvent qu’en pâtir.
S’il vous était donné de prodiguer des conseils aux Forces armées du Burkina Faso et aux dirigeants politiques en matière de lutte contre cet extrémisme violent, que leur diriez-vous ?
Pour les besoins de la lutte armée contre l’extrémisme violent, la protection des populations et la défense opérationnelle du territoire burkinabè, il faut impérativement que les militaires, les gendarmes, les policiers, les douaniers et les personnels des Eaux et forêts reçoivent une formation et des équipements spécifiques pour mener efficacement sur le terrain les opérations militaires.
De plus, leur organisation ainsi que la répartition de leur rôle dans le temps et dans l’espace doivent s’adapter à la nature de la menace actuelle. Dans ce sens, la conception et la réalisation de leurs infrastructures (casernes, brigade de gendarmerie, commissariats de police et autres postes permanents ou temporaires) doivent permettre aux personnels militaires et paramilitaires d’être moins vulnérables en cas d’attaque surprise, l’idéal pour eux étant de ne plus se laisser surprendre par ces attaques devenues récurrentes. C’est la précision du renseignement qui leur sera vitale pour anticiper, pour agir plutôt que d’être sur la défensive et éviter de subir des pertes lourdes à chaque action offensive armée des groupes hostiles. Et pour disposer de renseignement tactique fiable en temps réel, je préconiserais la mise en œuvre, entre autres, de la police de proximité qui aura le gros avantage d’établir un partenariat permanent et de bonne qualité entre les Forces de défense et de sécurité (FDS) et les populations de leurs localité respectives.
J’ai la conviction que par la mise en œuvre d’une police de proximité, les FDS pourront acquérir la confiance et la sympathie des populations, en vivant leurs difficultés quotidiennes. Bref, établir un partenariat dynamique et humain permettra aux FDS de bénéficier de renseignements fiables et en tout état de cause éviter que les populations (les jeunes en particulier) soient tentées de pactiser avec les groupes armés ennemis. En d’autres termes, il s’agira pour nos FDS de “vivre avec les masses et vaincre pour les masses” comme le disait si bien ce vieux slogan révolutionnaire.
Mais, il est évident que les mesures d’ordre sécuritaire à elles seules ne pourront venir à bout de l’extrémisme violent. Au-delà de la tactique militaire et de l’usage des armes pour combattre les groupes extrémistes ennemis, il y a lieu pour les gouvernants de promouvoir une gouvernance vertueuse et d’améliorer de manière significative l’environnement et les conditions de vie des populations des zones défavorisées. L’objectif stratégique en cela est de vaincre la pauvreté et la désespérance afin que l’extrémisme violent ne soit utilisé comme moyen de survie au sein même des populations, en particulier sa jeunesse.
Tous les analystes et les observateurs avertis s’accordent sur le fait que la résolution des conflits armés liés à l’extrémisme violent est forcément multidimensionnelle. Elle allie la riposte militaire à la création d’un environnement de progrès et de cohésion sociale.
Que pensez-vous de l’appel à la mobilisation des volontaires lancé par le Président du Faso en novembre 2019 et la loi y relative qui vient d’être votée par l’Assemblée Nationale du Burkina Faso pour renforcer les capacités du pays à lutter contre le terrorisme ?
L’idée en elle-même de mobiliser les populations en vue de soutenir les actions de combat des entités militaires est bonne, mais je doute que la formule utilisée puisse être efficace. Au contraire, je pense même que la formalisation, la création légale d’un cadre de volontaires risque d’exposer davantage les populations de nos villages et secteurs à la vindicte des assaillants terroristes sans compter que, la naissance même de ces groupes de volontaires, ne manquera pas d’exacerber des contradictions locales, des tensions et des conflits déjà existant au sein des communautés villageoises et urbaines.
J’espère que la vigilance et le pragmatisme des officiers et des haut-gradés des Forces de Défense et de Sécurité du Burkina Faso permettront de réduire les inconvénients au moment de l’élaboration des textes règlementaires d’application de cette loi ainsi que la mise en œuvre de ses dispositions sur le terrain.
Le 26 novembre dernier, vous avez adressé une lettre au Président du Faso, en réaction aux accusations récurrentes quant à votre supposée implication dans les attaques terroristes contre le Burkina Faso. Quelle a été la suite donnée à vos suggestions par le Président Kaboré ?
A ce jour, aucune suite ne m’a été notifiée mais l’essentiel pour moi, était de pouvoir lui exprimer mon appréciation sur l’impact négatif de ce genre d’accusations qui nous divise d’avantage au moment où le Burkina Faso a besoin de rassembler toutes ses ressources et de concentrer tous ses efforts pour contrer efficacement la grande menace terroriste du moment.
Est-ce qu’une négociation peut empêcherer le phénomène de l’extrémisme violent de se propager ?
Encore faut-il savoir quoi négocier et avec qui ! L’urgence à mon humble avis, c’est de riposter d’abord avec efficacité sur les plans militaire et sécuritaire. Par la suite, promouvoir le dialogue qui pourrait inclure des négociations s’il y a lieu. Je crois aux vertus du dialogue local inclusif pour faire un diagnostic sans complaisance des maux qui minent la société (la mal gouvernance, la mauvaise répartition des richesses naturelles, la corruption, la précarité de l’environnement et des conditions de vie, etc.). Par le dialogue, on peut réduire les tensions et les frustrations en donnant la possibilité à toutes les composantes de la société, en particulier, les jeunes de prendre une part contributive à la gestion de la chose publique et à leur mieux-être. Le but ultime de ce dialogue est d’éliminer autant que possible les facteurs qui prédisposent ou qui poussent à l’extrémisme violent utilisé par des jeunes burkinabè comme un moyen de lutte pour leur survie et leur épanouissement.
En tous les cas, le dialogue ou même éventuellement les négociations n’excluent pas d’accroitre nos capacités militaires et opérationnelles. Au contraire, il nous faut disposer d’une supériorité militaire car, il est bien connu « on négocie mieux en position de force ».
Quelle appréciation faites-vous de l’évolution de la Force conjointe G5 Sahel aussi bien que du rôle joué par la MINUSMA au Mali dans la lutte contre le terrorisme ?
Je ne crois pas en l’avenir ni même en l’efficacité de la Force conjointe G5 Sahel à enrayer le terrorisme tel qu’il se manifeste en ce moment. Je vous avais un jour signifié que tant qu’on voudra faire la guerre avec l’argent des autres, on a peu de chance de l’emporter. On ne gagne pas la guerre avec autant d’aléas et d’incertitudes liés à la disponibilité même “du nerf de la guerre”. Vivement que l’expérience acquise et les différentes concertations avec d’autres entités régionales, nous amène à trouver des formules originales et adaptées à nos moyens.
La MINUSMA quant à elle n’a pas vocation à lutter contre le terrorisme je présume. La MINUSMA est une mission de maintien de la paix instituée par les Nations unies en vertu et pour la mise en œuvre d’un accord de paix conclu entre deux parties en conflit (en l’occurrence le Gouvernement du Mali et la Coordination des Mouvements Armés). A mon humble avis, il vaut mieux que cette mission s’en tienne à son rôle initial (cessez le feu, cessation des hostilités, cantonnement, désarmement, redéploiement de l’administration et de l’armée malienne sur toute l’étendue du territoire nationale, réconciliation, suivi de la mise en œuvre de l’accord d’Alger, etc.) afin d’éviter les amalgames. Rien n’empêche que les parties signataires de l’accord d’Alger, en concertation avec les pays du G5 Sahel ou de la CEDEAO, demandent aux partenaires de la Communauté internationale une intervention spécifique pour les assister dans la guerre contre le terrorisme. Cela nécessitera d’autres moyens humains, matériels et juridiques et un autre concept d’intervention.
Je pense enfin que les pays du G5 Sahel gagneraient à s’inspirer et à bénéficier de l’expérience de l’Algérie qui est désormais un acteur incontournable dans la sécurisation de la bande sahélo-sahélienne. Ce pays pourrait bien aider les pays du Sahel à trouver des solutions adaptées à leurs moyens pour lutter convenablement contre le terrorisme et restaurer un climat de stabilité et de sécurité propice à l’élaboration et à l’exécution des projets de développement.
La France assiste les Forces armées des pays du Sahel dans leur guerre contre les groupes terroristes à travers l’opération Barkhane mais, des voix s’élèvent de plus en plus pour critiquer la présence des Forces françaises en particulier au Mali et au Burkina Faso. Quelle analyse faites-vous de cette coopération ?
Mon expérience personnelle due aux fonctions que j’ai occupées aux plans national et international me permet d’attester que la coopération et la collaboration de ces deux pays (Mali et Burkina Faso) avec la France ont toujours été exemplaires non seulement en matière de défense et de sécurité, mais aussi et surtout en matière de résolution des conflits dans lesquels j’ai pu jouer un rôle.
Il nous faut à tout prix préserver et promouvoir cette coopération (G5 Sahel – France) qui fait partie intégrante de la coopération internationale dont le Sahel a tant besoin pour lutter efficacement contre le terrorisme. La présence physique des Forces armées françaises est une modalité de collaboration qui peut être intelligemment revue pour tenir compte de l’état d’esprit de nos populations, de l’évolution de nos opinions respectives bien souvent manipulées par des courants politico-idéologiques. Malheureusement, il y a des critiques malveillantes et des accusations fantaisistes à l’encontre des Forces françaises qui ne nous avancent en rien, même si je suis d‘avis qu’à terme, nos Armées devront apprendre à se passer de la présence des Forces étrangères.
En tout état de cause, les dirigeants politiques et les chefs militaires doivent faire une évaluation objective de la présence des Forces françaises et opérer des choix responsables qui garantissent l’efficacité, la sécurité, la paix et le développement durable au Sahel.
Avez-vous foi que les filles et fils du Burkina Faso reparleront de la même voix, au nom de la réconciliation et de la cohésion nationale ?
Les filles et fils du Burkina Faso manifestent depuis des générations un vouloir vivre ensemble qui a bien transcendé les clivages ethniques ou religieux et consolidé la cohésion nationale. Ce sont les acteurs de la classe politique qui peuvent ramer à contre-courant en pratiquant l’exclusion, l’apartheid politique, le clientélisme et le mépris de l’autre. L’intérêt de la survie collective imposera la réconciliation et consolidera la cohésion nationale. J’en ai la conviction.
Qu’en est-il de votre carrière et de vos ambitions politiques ?
C’est le terrain qui commandera la manœuvre comme disent les militaires ! Pour l’heure, je voudrais profiter de mon séjour en France pour refaire ma santé. En outre, je prépare le procès en appel sur cette affaire de coup d’Etat dont on m’accable injustement pour des raisons évidentes de calculs politiciens. J’ai bon espoir que je recouvrerai la santé ici et que le juge burkinabè dira enfin le droit à l’occasion de la reprise du procès. Je me mettrai alors résolument à la disposition de mon pays et du Sahel pour la recherche de la paix.
Source: www.financialafrik.com