Ex-chef de la diplomatie du Burkina Faso, Djibril Bassolé est l’un des 84 inculpés dans l’affaire du putsch manqué de 2014. Dans cette interview, la première accordée à un média ivoirien, le général de gendarmerie lève le voile sur la procédure engagée contre lui, qu’il juge « arbitraire », et livre des secrets sur les présumées écoutes téléphoniques avec l’Ivoirien Guillaume Soro. Il se prononce également sur la loi électorale portant vote des Burkinabè de l’étranger et l’ordonnance d’amnistie du président ivoirien en faveur de prisonniers pro-Gbagbo.
Le procès dit du putsch manqué connaît une suspension de deux semaines. Quelle analyse faites-vous de la procédure jusqu’à cette étape ?
Ce procès se caractérise par une liberté d’expression dont on peut se réjouir ; car elle permettra aux accusés et à leurs conseils de s’expliquer devant le Tribunal et devant le peuple burkinabè en toute transparence. Il reste, bien entendu, à espérer que le Tribunal militaire recouvre son indépendance réelle vis-à-vis du pouvoir politique et garantisse un procès véritablement équitable.
Vous allez certainement mettre à profit la pause pour peaufiner votre stratégie de défense…
L’essentiel, en ce qui concerne ma défense, est connu et déjà mis au point par mes avocats. Ma prochaine comparution sera enfin l’occasion pour l’accusation de présenter au Tribunal les faits et les preuves qui justifient ma culpabilité dans cette affaire dite du putsch manqué et me valent bientôt trois années de détention préventive. C’est vraiment avec sérénité que je me présenterai devant le juge pour m’expliquer.
Quelques jours avant la suspension des interrogatoires, vous étiez interdit de jeu de pétanque. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ? Vous vous y attendiez ? Etiez-vous préparé à cette décision et comment la qualifiez-vous ?
Vous avez raison ! Cette malheureuse affaire d’interdiction de jouer à la pétanque ne fait que mettre en évidence le caractère arbitraire de ma détention, qui sort complètement du cadre judiciaire. Des droits aussi élémentaires que le droit de pratiquer le sport, surtout pour les besoins de santé, sont violés. Hélas ! Dans mon cas, la liste de ce genre de violations flagrantes ne fait que s’allonger. Il vous souviendra qu’au début de la procédure, et quelques semaines après mon arrestation, mes avocats de nationalité étrangère avaient été interdits de m’assister. Cette décision violait de manière ouverte les dispositions des conventions internationales et les règlements de l’Uemoa en matière de défense. C’est huit (08) mois plus tard que la Cour de justice de la Cedeao mettait fin à cette interdiction ahurissante dans un État moderne. En juin 2017, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a déclaré ma détention arbitraire. Au lieu de me faire libérer comme l’exigeait le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, le gouvernement du Burkina Faso s’opposera même à mon évacuation sanitaire malgré les recommandations des médecins traitants et, plus grave encore, nonobstant la décision du juge (de la Chambre de contrôle de l’instruction) de m’accorder une liberté provisoire afin de me permettre d’accéder à des soins de santé appropriés. Aujourd’hui, je suis privé de pratiquer le sport de mon choix, la pétanque, et avant cela, la marche à pied. C’est énorme et inexplicable, mais ce sont les tristes réalités de cette détention totalement arbitraire et qui n’est pas contrôlée, ni même voulue par la justice.
Dans un entretien accordé à des médias français, le président du parlement ivoirien est revenu sur l’affaire du mandat d’arrêt émis à son encontre avant d’être finalement levé. Mais il a été contredit par le ministre des Affaires étrangères, Alpha Barry. Qu’en dites-vous ?
J’ignore tout des concertations et des démarches qui ont prévalu à la recherche des solutions diplomatiques. Ce que l’on peut espérer dans tous les cas, c’est qu’une affaire de cette nature ne compromette durablement les excellentes relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Ces deux pays ont des intérêts communs à préserver, quoiqu’il advienne.
On le sait, vous avez été inculpé sur la base de présumées écoutes téléphoniques. Beaucoup a été dit de cette affaire. Que répondez-vous aux accusations portées contre vous relativement à l’affaire des écoutes ?
Vous êtes déjà en plein dans les sujets du débat qui se déroulera bientôt devant le Tribunal. Je préfère lui en donner la primeur. Mais votre journal sera largement informé en temps opportun et vous vous ferez votre propre opinion, en particulier en ce qui concerne les nombreuses anomalies et les manipulations qui ont jalonné la procédure, d’une manière générale. La seule chose que je puisse dire, c’est que les écoutes téléphoniques sont une arme de destruction politique contre Guillaume Soro et moi. Souffrez que je n’en dise pas plus pour le moment.
La situation socio-politique au Burkina Faso est très animée par le débat sur le vote du nouveau code électoral. Des voix dans le parti au pouvoir remettent en cause la fiabilité de la carte consulaire, finalement exclue des documents de votation pour la diaspora. Vous qui avez été ministre des Affaires étrangères et avez géré ce dossier, pouvons-nous avoir votre avis sur la question ?
Le débat extrêmement passionné qui se tient en ce moment est tout à fait compréhensible compte tenu des enjeux liés aux élections à venir et au vote de l’importante et de l’indispensable communauté burkinabè vivant en Côte d’Ivoire. Mais, au-delà des considérations partisanes, ce sont les intérêts d’État qu’il faut préserver et consolider. Je voudrais préciser qu’en réalité, c’est lorsque j’étais le ministre en charge de la sécurité du Burkina Faso que l’idée d’instaurer une carte consulaire sécurisée a vu le jour, en même temps que nous instituions la nouvelle carte d’identité biométrique au Burkina. La Canadian Bank Note (Cbn) et la société Graphi-Service du Burkina pourront l’attester. C’est la crise ivoirienne qui a freiné le projet à l’époque. C’est plus tard, lorsque j’occupais les fonctions de ministre des Affaires étrangères, comme vous le mentionnez, que la convention Ppp entre l’État du Burkina Faso et la société ivoirienne Snedai pour la production de cartes consulaires sécurisées pour les ressortissants du Burkina Faso résidant en Côte d’Ivoire a été adoptée. À cette époque, le gouvernement burkinabè visait trois objectifs majeurs à travers la carte consulaire biométrique . A savoir : recenser rigoureusement les citoyens burkinabè résidant en Côte d’Ivoire, à travers l’établissement d’une base de données consulaires fiables afin de mieux administrer et protéger les Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire, surtout après tous les désordres de l’époque liés à la crise survenue dans ce pays d’accueil ; collecter de manière plus rationnelle et transparente la contribution financière de la communauté burkinabè pour la construction de la Maison du Burkina Faso à Abidjan sur le terrain attribué par le gouvernement de Côte d’Ivoire depuis plus de vingt (20) ans. J’ai pu lancer avec notre ambassadeur en Côte d’Ivoire, les travaux de démarrage de la construction de cet imposant immeuble au Plateau en 2013. Enfin, permettre aux ressortissants burkinabè vivant en Côte d’Ivoire de prendre part aux élections à partir de 2015 et, comme le prévoyait la loi, munis d’une carte consulaire fiable ayant les mêmes caractéristiques techniques que la nouvelle carte nationale d’identité burkinabè.
Comment expliquez-vous qu’une carte consulaire délivrée à 7000 f.cfa, contre 2500 f.cfa pour la Cnib, soit remise en cause ? Le choix de l’opérateur, à savoir Snedai, de votre ami Adama Bictogo, à qui vous auriez accordé de grosses faveurs pour l’obtention du contrat de production des cartes consulaires en Côte d’Ivoire, y est-il pour quelque chose ?
Je dois dire, concernant le coût de la carte consulaire burkinabè, qui est fixé à 7000f Cfa, qu’il y a eu des contestations compréhensibles de la part des bénéficiaires, en majorité les jeunes burkinabè vivant à Abidjan. C’était la galère. Mais la structure du coût avait tenu compte des objectifs dont je viens de vous parler. De mémoire, je crois que sur les 7000f Cfa, 1500f étaient destinés à la construction de la Maison du Burkina Faso, 1000f revenaient au Trésor public burkinabè, 400f aux consulats en Côte d’Ivoire pour gérer l’opération de renouvellement des cartes consulaires. Les 4100f restants revenaient à l’opérateur Snedai qui, après la confection de trois millions (3.000.000) de cartes consulaires, devait tout remettre à l’État burkinabè selon la convention. C’est-à-dire que tout le matériel deviendrait propriété exclusive du Burkina Faso, qui pourrait fixer de nouveaux prix, le contrat avec Snedai prenant fin. En ce qui concerne la procédure d’entente directe avec la société ivoirienne Snedai, je ne renierai pas mon amitié avec son Pdg, Adama Bictogo. À l’époque, son offre technique et financière était la plus rassurante dans ce partenariat public-privé. Je précise que l’État burkinabè n’a rien déboursé et que c’est la société ivoirienne qui a préfinancé toute l’opération sur toute l’étendue du territoire ivoirien. De plus, la grande connaissance de l’administration ivoirienne et des réalités du terrain ont imposé Snedai comme le partenaire idéal pour cette opération de délivrance des cartes consulaires sécurisées aux Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire. Naturellement, les choses ne se sont pas déroulées sans difficultés. Notre ambassadeur, en liaison avec l’opérateur et les autorités ivoiriennes, trouvait les solutions idoines.
Dans ce nouveau code électoral, les lieux de vote sont circonscrits uniquement aux enclaves diplomatiques (ambassades et consulats). Pour les opposants dans votre pays, il ne s’agit que d’une manœuvre pour empêcher le vote d’un grand nombre de Burkinabè résidant surtout en Côte d’Ivoire. Ces mécontents évoquent que la diaspora en terre ivoirienne est importante pour être réduite à seulement 4 bureaux de vote, dont l’ambassade et les 3 consulats (Abidjan, Bouaké et Soubré). Est-ce votre avis ?
La suppression de la disposition légale qui permettait à la Ceni d’ouvrir des bureaux de vote pour le vote de la diaspora en dehors des enclaves diplomatiques est un recul. Numériquement, pour le cas d’un pays d’accueil comme la Côte d’Ivoire, il est impossible pour la communauté burkinabè de ne voter qu’à l’ambassade et dans les 3 consulats qui sont, en outre, très éloignés géographiquement des électeurs. Le problème avait été déjà réglé par la loi votée pour les élections de 2015, et nous aurions discuté les modalités pratiques avec le gouvernement de Côte d’Ivoire dans le cadre du conseil des ministres conjoint du Traité d’amitié et de coopération (Tac). Selon nos estimations, à l’époque, il fallait environ 3.000 bureaux de vote pour permettre à la diaspora burkinabè de voter convenablement en 2015 sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Le gouvernement de Côte d’Ivoire avait marqué son accord de principe pour faciliter l’opération.
Vous suivez probablement les tensions politiques en Côte d’Ivoire. Vous qui connaissez la plupart des acteurs et avez joué un rôle très important dans la résolution de la crise ivoirienne, quelle appréciation faites-vous de l’ordonnance d’amnistie prise par le président ivoirien ?
La signature de l’ordonnance présidentielle portant amnistie est à saluer à sa juste valeur. La Côte d’Ivoire revient de très loin. À mon humble avis, la libération de madame Simone Gbagbo, de Souleymane Kamaraté dit « Soul to soul », pour ne citer que ceux-là, s’avère être plus utile aujourd’hui pour la Côte d’Ivoire que leur maintien en prison. Il est heureux que le président Ouattara ait bien apprécié la portée de cette mesure de clémence et d’opportunité politique qui consolidera, sans nul doute, la cohésion et la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire.
Réalisée par TRAORE TIE, Envoyé spécial à Ouagadougou
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