Ceci est une tribune de Diallo Mamadou sur la problématique djihadisme et communauté peulh au Burkina Faso.
En abordant cette problématique, je suis bien conscient qu’il s’agit d’une question délicate des plus sensibles pour notre vivre-ensemble. Sans doute aussi, tout déni à son égard n’est ni honnête ni réaliste et nous éloigne assurément de la recherche de solutions viables de sortie de la crise sécuritaire.
En ce qui me concerne je voudrais préciser: J’appartiens par mon père à la communauté peulh, car ma mère est une princesse de la dynastie du Nabikienga de Silmiougou (7 km de Kaya) que j’ai personnellement connu à mon enfance quand j’allais visiter mes oncles mossis. J’ai vu un prince mossi qui n’a pas pu accéder au trône dans toute sa splendeur !
Mon père lui a été garde de cercle et a rejoint son village à sa retraite en 1970 ; il a été intronisé Dioro des peulhs de Kanrgo à la mort de son cousin. Il a régné une dizaine d’années.
Je parle le Fulfuldé, le Dioula et le Mooré ; et j’avoue mieux cette dernière langue.
Mon village a été la cible d’attaques djihadistes à partir du 30 septembre 2019 ; et depuis le 24 décembre 2021 plus personne n’y vit ; j’ai perdu des proches des suites d’attaques djihadistes et d’exécutions extrajudiciaires ; pour ces dernières le CISC vient d’en faire l’écho par son communiqué relatif à la situation de Toessin-Foulbé (Gnimirè pour les Peulh).
Afin d’évacuer autant que faire se peut l’aspect subjectif voir émotionnel en ce qui me concerne mais aussi à l’égard de tous ceux qui prendront le temps de la lecture de ma tribune, le temps d’une réflexion apaisée et de l’action utile, je voudrais proposer quatre axes d’effort de la réflexion stratégique :
- Pourquoi les membres de la communauté peulh forment-ils le gros des troupes Djihadistes et animent-ils des Katiba au Burkina ? beaucoup de burkinabè se posent légitiment cette question loin de toute stigmatisation.
- Pourquoi les groupes djihadistes ont-ils réussi à s’assurer semble-t-il un ancrage local, rural et une extension nationale significatifs ; au point qu’ils animent une gouvernance indirecte des populations qui étend progressivement ses tentacules ?
- Pourquoi les groupes djihadistes malgré les pertes significatives subies, disposent-ils comme le phénix qui renaît de ses cendres, de capacités d’action significatives, au point d’imposer des blocus de nombre de villes moyennes, de nous laisser sans voix et tétanisés devant nos pertes militaires ?
- Existe-t-il une stratégie politique alternative au regard de l’expérience de nos réponses de ces huit années de résistance ?
Ces questionnements me suggèrent différents écueils à considérer :
- L’approche communautariste et la stigmatisation.
- Les dérives de violence systémique et illégale d’Etat sur fond de stigmatisation.
- Le déni au plus haut niveau de notre fragilité militaire, politique, économique et institutionnelle.
- La fuite en avant populiste, démagogique et politicienne.
- L’approche de Refondation par le haut et élitiste : celle qui oublie les populations rurales et les PDI qui souffrent le plus de cette situation.
Afin de soutenir la réflexion stratégique je voudrais souligner différentes évidences structurantes :
- Il est structurellement impossible de mettre nos sociétés villageoises en minorité démographique, économique, culturelle, sociale et institutionnelle comme le postule l’approche développementaliste dont beaucoup d’entre nous rêvons.
- Il est impossible de faire œuvre utile sans elles, contre elles et à leur place. Ce fut en Afrique le projet de la mission civilisatrice portée par la Colonisation et aujourd’hui par l’Etat-Nation post-colonial.
- La plus grande réalisation civilisationnelle de nos population rurales à l’époque contemporaine est sans doute le façonnage de nos sociétés villageoises actuelles dont l’originalité politique et institutionnelle peut être ainsi résumée: nos sociétés villageoises contemporaines sont multinationales : ethnies, lignages, clans, tribus y co-existent et organisent leur vivre-ensemble sur la base de leurs propres règles et institutions, à l’écart du système politique et institutionnel officiels ; on y naît, on y vit, on y quitte le monde de manière endogène pour tout dire, en dépit des emprunts et d’un certain syncrétisme religieux.
- Les conflits n’y manquent pas et les morts d’hommes aussi ; leur acuité tient bien souvent à leur instrumentalisation politique et affairiste par des agents de l’administration, aux politiques publiques en matière foncière, forestière, minière, de développement agricole et pastorale, aux politiques de décentralisation bureaucratique affairiste et corrompue.
- On observera tout autant, l’existence de mécanismes endogènes efficaces de gestion et de résolution des conflits ainsi qu’une grande capacité d’accueil et d’intégration de nouveaux arrivants et de nouvelles croyances.
- Ce sont là sans aucun doute, les prémisses puissantes et crédibles d’un Etat Multinational Délibératif et Participatif qui nous permettrait de dépasser l’Etat-Nation postcolonial dont l’échec à porter notre vivre-ensemble de manière crédible et viable est à présent sans équivoque.
- Il importe alors de prendre en compte, de donner droit et de réarmer la dynamique anthropologique et sociale de nos sociétés villageoises ; autrement dit, il nous faut faire intellectuellement attention à elles, les observer et essayer de comprendre pourquoi elles sont comme elles sont, mais pas ce que l’on voudrait qu’elles soient.
Alors que faire et comment le faire ?
Le « Tout militaire » manifestement ne prend pas suffisamment en compte les questionnements et les pistes de la réflexion stratégique ; il nous entraine inexorablement dans les écueils qui nous éloignent de la Paix.
J’en arrive pour ma part, au paradigme suivant : nos sociétés villageoises contemporaines sont la solution de notre Refondation (même si elles n’ont pas solution à tout). Alors, comment pouvons-nous aller de l’avant en confrontant ce paradigme à notre situation actuelle pour faire cessez la guerre, gagner la paix et refonder notre vivre-ensemble et l’Etat au Burkina.
La ligne de force d’une stratégie politique soutenable à mettre en chantier et à faire prospérer c’est, me semble-t-il, de redonner l’initiative politique aux sociétés villageoises contemporaines (i) pour engager un dialogue sans tabou avec les groupes djihadistes actifs au Burkina et affiliés au JNIM (ii) et pour ce faire obtenir avec eux un cessez-le feux de 6 mois renouvelable.
C’est ce à quoi s’attèle un Groupe d’Initiative pour le Dialogue (GID) dont les réflexions et initiatives peuvent être examinées, commentées et améliorées par tous grâce aux liens :
Mouvement 2 Millions de Signatures
Bon courage à tous !
Diallo Mamadou