Accueil A la une Djihadisme et crise du pastoralisme au Sahel, que faire ?

Djihadisme et crise du pastoralisme au Sahel, que faire ?

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Ceci est un écrit de Mamadou Diallo, Ingénieur du Génie Rural, sur le Djihadismme et crise du pastoralisme dans le Sahel.

« J’appartiens par mon père à la communauté peulh, car ma mère est une princesse de la dynastie du Nabikienga de Silmiougou (7 km de Kaya) que j’ai personnellement connu à mon enfance dans les années 50/60 quand j’allais visiter mes oncles mossis. J’ai vu un prince mossi qui n’a pas pu accéder au trône dans toute sa splendeur !

Mon père lui a été garde de cercle et a rejoint son village à sa retraite en 1970 ; il a été intronisé Dioro des peulhs de Kanrgo à la mort de son cousin.  Il a régné une dizaine d’années.

Je parle le Fulfuldé et le Mooré ; et j’avoue mieux cette dernière langue.

Je suis naturellement conduit à me poser la question incontournable : Pourquoi les membres de la communauté peulh forment-ils le gros des troupes Djihadistes et animent-ils des Katiba au Burkina ? beaucoup de burkinabè se posent légitiment cette question loin de toute stigmatisation.

J’ai eu la chance d’échanger avec un frère de ma génération, issu lui, de la communauté peulh de Barkoundouba ; il m’a posé cette question : Pourquoi les élites peulh ne s’investissent-elles pas de manière significative et efficace dans la recherche d’une sortie de crise auprès de leurs communautés et pourquoi les autres ne font-ils pas autant ?

Dans mes réflexions et recherches je suis tombé sur un entretien de monsieur Mathieu Pellerin que je voudrais partager avec vos lecteurs ; l’entretien souligne de manière stimulante pour la recherche de solution, la relation Djihadisme et crise pastorale ; j’espère que l’élite organique, celle qui s’investit sur le chantier de la Renaissance Africaine saura accompagner nos sociétés villageoises contemporaines dans les besoins de mutations profondes du foncier rural autrement que par les modalités actuelles de liquidation  du droit foncier coutumier, de marchandisation, d’expropriations pour cause d’utilité publique ou d’étatisation promues par l’Etat post-colonial. Ces dynamiques jointes à la dynamique démographique sont à la base de la crise foncière qui ne cesse de se complexifier et de s’aggraver annonçant l’extension des conflits communautaires violents et au sein des familles autour de la gestion et de l’occupation de l’espace en milieu rural.

Telle est la réponse que je suggère à l’interpellation de notre compatriote de Barkoundouba.  Alors peut-être s’ouvrira, une porte d’espérance pour une sortie de crise autrement que par le décompte chaque jour de nos morts et des ‘’neutralisations’’.

Bonne lecture !

Face à la crise du pastoralisme, aggravée par l’insécurité au Sahel, des responsables d’éleveurs se sont mobilisés et ont lancé un appel d’urgence à Niamey, entendu par le président du Niger, qui est devenu leur ambassadeur. En avant-première sur le rapport « Pastoralisme et insécurité », entretien avec Mathieu Pellerin, son principal auteur.

Mathieu Pellerin est un chercheur sur le Sahel qui intervient pour l’Institut français des relations internationales (Ifri) et pour l’International Crisis Group (ICG). Il est l’auteur principal du rapport « Pastoralisme et insécurité », à paraître fin juin.

RFI : Mathieu Pellerin, expliquez-nous ce qu’est cet appel de Niamey, qui a été lancé par des représentants des éleveurs le 29 mai dernier ?

Mathieu Pellerin : Cet appel est celui de plus de 80 responsables d’associations d’éleveurs du Sahel, leaders coutumiers, élus locaux des pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest. Ils appellent à une prise de conscience sur l’urgence de remédier à la crise du pastoralisme qui, aujourd’hui, accentue l’insécurité. Ce constat résulte d’une étude qui a été menée par le Réseau Billital Maroobé (RBM) sur les impacts réciproques entre crise du pastoralisme et crise sécuritaire. Cette étude a recueilli la perception de 2 000 personnes dont 1 700 éleveurs dans 23 régions administratives les plus touchées par l’insécurité actuelle dans sept pays du Sahel central et d’Afrique de l’Ouest. Elle livre un diagnostic très clair dans lequel les auteurs de l’appel de Niamey se reconnaissent. Cet appel a été entendu par le président du Niger, Mohamed Bazoum, qui a accepté d’endosser le rôle d’ambassadeur des organisations pastorales pour résoudre cette double crise, pastorale et sécuritaire.

Cette « crise du pastoralisme » n’est pourtant pas nouvelle. Vous expliquez, dans cette étude, qu’elle est une source de décapitalisation et d’injustices pour les éleveurs. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

Effectivement, certains spécialistes parlaient déjà de crise du pastoralisme il y a 40 ans et l’une de ses principales caractéristiques, à savoir le grignotage des terres pastorales, était déjà souligné. La récurrence des sécheresses, et celles des années 1970-1980, de même que certaines tendances lourdes comme la croissance démographique aggravent sérieusement cette crise. D’autres dynamiques plus récentes s’y greffent, qu’il s’agisse des cultures de rente, de l’exploitation agricole des bas-fonds, du ranching, de l’exploitation des ressources minières, de la « rurbanisation » ou encore de l’agrobusiness. Cela favorise la décapitalisation des éleveurs, mais de manière presque invisible. Ils sont sous-représentés politiquement et institutionnellement, leur voix n’est pas ou peu audible, ce qui empêche de prendre la pleine mesure de la crise que le pastoralisme traverse.

Dans la bande soudano-sahélienne, l’économie politique du foncier est très défavorable aux éleveurs et les sources d’injustice qui en découlent sont nombreuses. Les formes de rançonnement auxquels les éleveurs sont exposés ne se limitent pas au racket de la part des forces de sécurité ; elles sont souvent bien plus insidieuses, à travers des processus de dédommagement des dégâts champêtres inéquitables ou des mises en fourrière illégales, par exemple. Tout ceci concourt à réduire continuellement le foncier pastoral et à décapitaliser les éleveurs, contraints de vendre leurs animaux, toujours plus, année après année. Cette crise est devenue si ancienne et structurelle qu’on considère que les conflits d’accès aux ressources, les différentes formes d’injustice mentionnées relèvent de la normalité : « Ça a toujours existé, c’est comme ça ». C’est tout le problème, aujourd’hui certains de ces acteurs en viennent à prendre les armes pour s’opposer à ce système.

Vous dites que les groupes armés ont exploité cette crise du pastoralisme…

Indéniablement. Ils exploitent toutes les frustrations nées des crises des zones rurales, dont le pastoralisme est l’une des composantes. À l’est du Burkina Faso, par exemple, tous les usagers sont « victimes » de la création des aires protégées et des zones de chasse, les privant d’accès à ce qui étaient auparavant leurs ressources : éleveurs, agriculteurs, pêcheurs, chasseurs. Certains sont prêts à se faire justice par les armes. Toutes les zones dites insurrectionnelles où les groupes jihadistes opèrent ont été couvertes par l’étude, et il ressort très clairement que ces groupes ambitionnent de remplacer progressivement les États dans leurs fonctions premières. Dans ces zones, ce sont aujourd’hui largement ces groupes qui protègent, qui jugent et qui gouvernent les espaces ruraux. Depuis que les terrains de recherche ont été conduits en septembre 2020, cela s’est même aggravé et on voit ces mêmes fonctions exercées dans la Boucle du Mouhoun, par exemple. Il est à noter, toutefois, que des différences très nettes existent entre les zones sous contrôle du JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) et de l’EIGS (l’État islamique dans le Grand Sahara). L’EIGS est accusé de ne pas respecter la licéité islamique du prélèvement de la zakat ou de s’adonner au vol d’animaux sans aucune justification combattante.

La manière dont la lutte anti-terroriste a été conduite par les États sahéliens peut-elle aussi expliquer l’aggravation de la situation ?

En effet, l’idée s’est progressivement imposée que le jihadisme était le fait « des Peuls et des Touaregs », et cela a profondément vicié la manière dont la lutte anti-terroriste a été conduite. Ceci est largement documenté désormais tant au Mali qu’au Burkina Faso. Les FDS (les forces de défense et de sécurité) ont commis de nombreuses exactions contre ces populations, tandis que les groupes d’autodéfense ont souvent sombré dans des règlements de compte à base communautaire dans lesquels le contrôle des terres ou le vol d’animaux apparaissent comme des enjeux cachés mais pour autant déterminants. En 2018, ces violences ont pris une tout autre ampleur qui a poussé des villages entiers – par exemple, au centre-nord du Burkina Faso – à rejoindre ces groupes jihadistes pour se protéger, et parfois aussi pour se venger. Ces « nouvelles recrues » ne sont plus seulement des victimes de la crise rurale, mais aussi des individus éduqués, évoluant parfois en milieu urbain, qui ont rejoint après que leurs proches aient disparu. Il y a une communautarisation des violences qui est très inquiétante. L’étude illustre cela à partir de cas très précis…

Pouvez-vous donner quelques-uns de ces cas précis illustrant cette spirale de violences qui impliquent les groupes d’autodéfense ?

Dans la zone exondée du centre du Mali, par exemple, l’exécution par les jihadistes d’un pisteur dogon utilisé par l’armée malienne en 2016 a accentué les tensions déjà croissantes entre Dogons et Peuls, accusés d’être derrière sa mort. C’est sur ces braises que Dana Ambassagou a été constitué, appuyé par l’État malien avec pour mandat spécifique de protéger la communauté dogon, poussant naturellement la communauté peule à rechercher la protection du côté de la katibat Macina. Les premiers massacres de civils sont survenus, enclenchant une dynamique de représailles en chaîne.

Au Burkina Faso, le cas de Tanwalbougou (région de l’Est) est aussi emblématique d’une telle spirale. Dans un contexte de tensions latentes entre Mossis et Peuls, en particulier autour de l’accès à la terre, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ont été mis en place à Tanwalbougou en 2020 sans que les Peuls n’en soient membres. Le cheikh (peul) de Tanwalbougou, soucieux de maintenir sa communauté dans une position de neutralité, avait dissuadé les membres de sa communauté de rejoindre les jihadistes autant que les VDP. Les Peuls n’étant pas membres des VDP, ils n’ont de facto pas été visés par les jihadistes, ce qui a exposé cette communauté à des accusations de collusion avec les jihadistes. C’est dans ce contexte que le massacre de Tanwalboguou a été perpétré au printemps 2020. Comme au centre du Mali, cela a poussé les communautés peules à déserter la zone et à se réfugier dans des zones sous contrôle jihadiste où ils se sentent paradoxalement moins menacés.

À ce sujet, il faut mentionner que la très grande majorité des éleveurs enquêtés ne considèrent pas que les groupes jihadistes soient une solution, mais ils craignent moins leur violence que celle des VDP et des FDS. Ils sont en recherche d’une neutralité, à l’image du cheikh de Tanwalbougou, mais ils se retrouvent « entre le marteau et l’enclume ». Cette neutralité est difficile à conserver, parce qu’ils sont toujours accusés de parti pris par l’un des acteurs en armes.

Vous dites que les conséquences de la crise sécuritaire sur la crise du pastoralisme sont « invisibles » mais bien réelles. Cette crise s’aggrave, donc ?

L’opinion générale est qu’ils sont complices de cette insécurité alors qu’ils en sont, au contraire, les premières victimes. Les éleveurs sont aujourd’hui les plus visés, que ce soit par les jihadistes, les FDS, les groupes d’autodéfense. Chaque arrestation ou exécution d’éleveur entraîne derrière la précarisation de toute sa famille. Le nombre de familles monoparentales ou d’orphelins a explosé. L’activité d’élevage est lourdement affectée par la situation actuelle. La mobilité est largement entravée à l’intérieur des pays ou à l’échelle régionale, puisque le Togo et le Bénin bloquent la transhumance transfrontalière en réaction au risque de contagion sécuritaire. La concentration d’animaux dans certains espaces accentue la pression sur la biomasse fourragère et sur l’accès aux ressources avec d’autres usagers. Les marchés tournent au ralenti, du fait de leur inaccessibilité, les ventes baissent et donc les prix des animaux chutent, alors que le coût du transport et de l’aliment du bétail augmente dans le même temps. La résilience pastorale est très clairement menacée.

Dans ce contexte, quel est l’avenir pour le pastoralisme au Sahel ?

Il est sérieusement questionné par beaucoup d’éleveurs qui voient désormais le pastoralisme comme une source de problèmes. Il n’y a pas un mais des avenirs pour l’élevage. Certains se résignent à imaginer des formes d’élevage plus intensives, non sans crainte et réserves, d’autres restent résolument attachés à l’élevage transhumant, que ce soit pour des raisons culturelles ou économiques… D’autres, enfin, cherchent à diversifier leurs activités, voire cherchent à sortir de l’élevage pour d’autres horizons, comme le commerce ou l’orpaillage.

C’est parmi les jeunes que cette sortie de l’élevage est la plus fréquente. Malgré tout, contrairement à une idée souvent avancée, la « rupture intergénérationnelle » n’est pas si évidente. La jeunesse s’émancipe socialement et économiquement – y compris parfois par les armes –, créant des tensions au sein des familles, mais dans beaucoup de cas, les enfants ne rompent pas avec leur terroir d’attache.

Les politiques publiques doivent refléter ces aspirations multiples et éviter d’avoir une approche exclusive en matière d’élevage, tendanciellement tournée vers la sédentarisation à marche forcée. La transhumance n’est pas qu’un mode de vie à protéger, c’est une mode de production essentiel à l’économie sous-régionale et à la préservation des ressources. Un élevage uniquement intensif serait intenable au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

Comment sortir de cette double crise, à la fois pastorale et sécuritaire ?

Remédier à la crise sécuritaire nécessite tout d’abord de restaurer un climat de cohésion sociale. Dans beaucoup de conflits perçus comme « communautaires », le fond du problème est l’accès à la terre et à l’eau. Les organisations paysannes, pastorales et agricoles, ont ici un rôle plus important à jouer. Cette crise sécuritaire a profondément dégradé la relation des éleveurs aux États : il est urgent que ces acteurs se parlent pour mieux se comprendre, sans que la collaboration soit un objectif attendu. Les éleveurs ne peuvent tenir qu’en étant neutres.

Les États doivent montrer que les éleveurs sont des citoyens à part entière. Les FDS pourraient, par exemple, protéger les éleveurs dans leur mobilité, notamment en sécurisant la transhumance comme ce fut observé dans certaines régions au Niger. Ces forces ne doivent plus être complices des abus perpétrés contre les éleveurs, mais au contraire des recours face à des abus, par exemple en matière de vol de bétail. Cela passera indéniablement par une meilleure représentation des communautés nomades dans ces forces, comme le Niger le fait déjà.

Plus fondamentalement, pour enrayer la crise du pastoralisme, il est indispensable de repenser la sécurisation du foncier pastoral : les éleveurs doivent être au cœur des processus de concertation locaux qui conduisent à déterminer les conditions d’accès et d’usage partagés aux ressources locales avec les autres usagers. Ici, la manière de faire est plus importante que ce qui est fait. Concrètement, il est moins urgent de baliser un couloir de passage que de faire en sorte que le processus ayant conduit au balisage ait permis d’obtenir l’accord (et l’engagement) de tous les acteurs. Il faut modifier l’économie politique du foncier dont j’ai dit qu’elle était défavorable aux éleveurs. Sans cela, les textes – aussi bons soient-ils – ne seront pas appliqués. Cela passe, à moyen, long terme, par une meilleure représentation coutumière, élective et institutionnelle des communautés pastorales, afin qu’elles soient au cœur des processus de décision locaux et nationaux. Dans l’immédiat, il faut renforcer l’accès des éleveurs à la justice, que ce soit par le biais de la justice formelle ou par une mobilisation des organisations pastorales ou d’organisations de parajuristes pour offrir un recours de proximité aux éleveurs. L’étude mentionne nombre de bonnes pratiques existantes. »