A travers cet entretien qu’elle a accordé à notre confrère des Editions Sidwaya, Dr Elisabeth Kangambèga, enseignant-chercheur à l’Université Ouaga 2, spécialiste du droit pénal, donne sa lecture de la Haute Cour de justice et des enjeux du procès du dernier gouvernement de l’ancien président burkinabè Blaise Compaoré, qui s’ouvre en principe ce jeudi 27 avril 2017.
Sidwaya : La Haute Cour de justice sera bientôt sous les projecteurs, avec le procès sur l’insurrection populaire d’octobre 2014. Pouvez-vous nous éclairer sur la spécificité de cette Cour ?
Dr. Elisabeth Kangambèga (E.K.) : La Haute Cour de justice est une juridiction spécialisée. Elle est compétente pour juger deux catégories de personnes : le président du Faso et les membres du gouvernement. C’est une juridiction spéciale comme le tribunal militaire dont la compétence est fondée sur le statut de la personne. La Haute Cour est compétente pour juger le président du Faso quant aux actes commis dans l’exercice de ses fonctions, à condition que ces actes constituent, au moins, l’une des infractions suivantes : la haute trahison, l’attentat à la Constitution, le détournement de deniers publics. Elle est également compétente pour connaître des délits et des crimes commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. Pour les autres actes constitutifs d’infractions commis par les membres du gouvernement, ce sont les juridictions de droit commun et d’autres juridictions (dans certains cas), qui sont compétentes. La Haute Cour de justice est une juridiction dont les règles de compétence et de fonctionnement ont été inspirées de celles de l’ancienne Haute Cour de justice française. L’une des justifications de sa compétence est la suivante : permettre au président « démocratiquement” élu de pouvoir mener son mandat à terme. Concernant le président du Faso ou de la République, il convient de souligner que la« haute trahison » et l’attentat à la Constitution ne constituent pas des infractions en droit burkinabè car ils ne sont pas prévus par le code pénal ni définis par aucune autre loi. Cependant dans notre code pénal, ce qui est prévu et puni, c’est la trahison, le complot ou, d’une manière générale, les atteintes à la sûreté de l’Etat qui incluent ces deux infractions. Le problème qui se pose relativement à l’infraction de haute trahison c’est l’adjectif « haute ». On n’a pas la haute trahison dans nos textes. Pourtant, les textes relatifs à la Haute Cour de justice édictent que tout doit se dérouler conformément aux lois pénales en vigueur notamment au code pénal, au code de procédure pénale. Or, la loi pénale est d’interprétation stricte. Un magistrat s’était exprimé à ce sujet : il a affirmé qu’on ne peut pas poursuivre le Président Blaise Compaoré parce qu’il n’y a pas de texte définissant la haute trahison et l’attentat à la Constitution. En droit pénal, il y a un principe qui dit qu’on ne peut pas poursuivre une personne sans texte légal. Ainsi, si vous avez commis un acte hier et que c’est aujourd’hui qu’un texte l’érige en infraction, on ne peut pas vous poursuivre. Le problème qui se pose c’est cela, sauf s’il y a un texte spécial dont je n’ai pas eu connaissance. Nulle part, il n’est écrit ou défini légalement l’infraction de haute trahison et celle d’attentat à la Constitution. Notre problème, à ce sujet, c’est qu’on a copié directement les textes français régissant la Haute Cour de justice sans les « africaniser” ou les adapter à nos réalités.
Quelle est la composition actuelle de la Haute Cour de justice ?
E.K. : La Haute Cour est composée de neuf juges dont six députés élus pour la durée de la législature et trois magistrats de grade exceptionnel nommés par ordonnance du premier président de la Cour de cassation.
Est-ce que cette composition permet de garantir un procès équitable, étant donné que les députés sont des hommes politiques ?
E.K. : Ce n’est pas le fait qu’ils soient des hommes politiques qui constitue le véritable problème. Pour moi, c’est, d’abord, la procédure de mise en accusation qui pose question. Ensuite, c’est la composition de la Cour, d’un point de vue statistique. Pourquoi adjoindre plus de députés (6 députés) que de professionnels (3 magistrats) ? Certains peuvent voter par « affinités”. A l’Assemblée nationale, il est arrivé que des députés votent une loi, alors qu’ils étaient personnellement contre.
Est-ce à dire qu’un procès équitable n’est pas garanti ?
E.K. : Il faut respecter les textes en appliquant ce qui est prévu légalement. Le juge répressif n’a pas à inventer, il doit interpréter les textes et conduire le procès conformément aux lois y afférentes. C’est en respectant les textes qu’on pourra dire que la justice a été rendue équitablement. Néanmoins, j’estime que les textes doivent être revus car ils révèlent de sérieuses insuffisances.
Quelle est la procédure à suivre devant cette Cour pour un procès équitable ?
E.K. : Pour un procès équitable, je viens de vous annoncer un principe auquel on ne peut pas déroger en matière pénale. La légalité des infractions, des sanctions pénales et des procédures. Il faut se conformer à ce qui est prévu dans les textes pénaux en vigueur. Quoique pour moi, il faut revoir les textes de fonctionnement, les sanctions et la procédure. Si je m’en tiens à ce qui est dit dans la presse, Blaise Compaoré et les ministres de son dernier gouvernement sont poursuivis pour «complicité d’homicide volontaire » et « coups et blessures volontaires ».
A quoi renvoie la notion d’homicide volontaire ?
Dans l’homicide volontaire, vous avez le meurtre et l’assassinat. L’assassinat, c’est ce qui a été préparé, planifié à l’avance. Le meurtre est spontané, non préparé (meurtre commis sous un coup de colère par exemple).
Quelles peuvent être les peines encourues par les inculpés dans cette affaire, s’ils sont reconnus coupables des faits à eux reprochés ?
E.K. : En cas de meurtre (simple) le coupable est passible de la peine d’emprisonnement à vie. C’est la peine de mort (qui est toujours en vigueur mais, dans la pratique, les condamnés à mort ne sont plus exécutés) en cas d’assassinat. La complicité est, en principe, punie de la même peine que celle prévue à l’égard de l’auteur principal. S’il est établi qu’ils sont auteurs ou complices des chefs d’inculpation de coups et blessures volontaires tels que parus dans les journaux, le code pénal prévoit des peines d’emprisonnement allant de deux mois à cinq ans d’emprisonnement, en fonction de l’état de santé de la victime ou de la durée totale d’incapacité de travail occasionnée. Toujours, dans l’hypothèse des coups et blessures volontaires, des peines d’emprisonnement allant de dix à vingt ans voire l’emprisonnement à vie peuvent être prononcées, suivant les circonstances (s’il y a eu préméditation, si les actes ont entraîné la mort, des mutilations, amputations ou privations de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un œil ou autres infirmités permanentes). Il faut signaler qu’il est aussi prévu des peines d’amende.
L’accusation semble être basée, en partie, sur la réquisition complémentaire spéciale signée par le Premier ministre d’alors, Luc Adolphe Tiao. Ce décret est-il légal ?
E.K. : Il ne s’agit pas de discuter de la légalité du texte puisqu’en tant que membre de l’exécutif, il a le droit de « légiférer” (au sens large) par décret et autres. S’il estime que c’est nécessaire, il peut prendre des mesures par voie de décret. Quant à la légalité de ce décret, c’est le tribunal administratif qui peut nous situer. Le problème est que le décret a déjà été exécuté. Est-ce qu’il est nécessaire de parler, à présent, de sa légalité ? Peut-être que l’avocat de Luc Adolphe Tiao aura intérêt à en parler. Cependant, cette question n’est pas de la compétence de la Haute cour de justice. Néanmoins, au titre de la complicité, le décret ne peut-il pas être interprété comme un moyen fourni pour permettre la commission des infractions visées dans l’acte d’accusation? C’est là une autre question !
Est-ce que tous les membres du gouvernement devaient être poursuivis pour avoir participé au dernier Conseil des ministres?
E.K. : Personnellement, je pense que oui, parce que cela permettra à certains d’être « blanchis”. En outre, si d’autres arrivent à démontrer que le président du Faso et le Premier ministre ont fait pression sur eux, de telle sorte que leur vie en dépendait, ils peuvent s’en sortir. C’est toujours mieux de viser tous ceux qui sont concernés par la présomption de culpabilité afin que les innocents aient l’occasion de prouver publiquement leur innocence.
En dehors des membres du gouvernement, d’autres Burkinabè doivent-ils être poursuivis dans le cadre du procès de l’insurrection populaire?
E.K. : Bien sûr que d’autres personnes doivent être poursuivies mais devant les juridictions de droit commun et dans ce cas, même les présumés auteurs principaux d’homicides et de coups et blessures volontaires pourront être jugés. Des gens ont proféré des menaces graves (menaces de mort notamment) à l’égard d’autres personnes, sur des plateaux de radios et d’autres voies de communication. Certains ont même commis des actes de violence. Ces personnes doivent faire l’objet de poursuites devant les juridictions de droit commun. Mais, il convient de procéder à des enquêtes sérieuses pour éviter d’aboutir à des règlements de comptes.
Un procès de ce genre peut durer combien de temps ?
E.K. : Il n’y a que les juges qui peuvent nous le dire. S’ils ont suffisamment d’éléments de preuve, le procès peut être bouclé dans des délais raisonnables. Cela peut se faire au bout d’une semaine, de deux semaines ; ceci dépend du degré de complexité du dossier.
Relativement à ce procès, je dis qu’il faut appliquer les textes en vigueur. Il ne faudrait pas qu’il y ait des pressions ni des interférences. Qu’on laisse les juges faire leur travail. Les députés jurés doivent laisser les sentiments de côté pour assurer honnêtement et correctement leur mission de juge.
Mahamadi TIEGNA (Sidwaya)