L’avortement clandestin peut provoquer chez la femme «un traumatisme du vagin et même une perforation de l’utérus» dont «le traitement peut nécessiter une ablation totale de l’utérus», soutient le Dr François Xavier Kaboré, Gynécologue obstétricien à l’Hôpital Yalgado Ouédraogo à Ouagadougou, qui répondait aux questions de Wakat Séra sur l’avortement en général et ses conséquences. Selon les données, dans le monde, il y a au moins 527 millions de rapports sexuels par jour qui se solde par au moins 910 000 conceptions journalières. Et sur ces 910 000 conceptions on note 420 000 avortements dont 91 000 sont provoqués. Entre 2006-2007 on a enregistré 68 000 décès liés aux avortements provoqués.
Wakat Séra: Dr qu’est-ce que c’est qu’un avortement ?
Dr François Xavier Kaboré: La définition de l’avortement diffère selon les pays. Dans les pays en voie de développement, comme chez nous, l’avortement se définie comme étant l’expulsion ou l’extraction du produit de conception hors des voies génitales de la mère avant la 28è semaine d’aménorrhée. C’est-à-dire avant six mois (selon la Société Africaine de Gynécologue-Obstétriciens, SAGO).
Par contre, dans les pays développés, l’avortement se définit comme étant l’expulsion ou l’extraction du produit de conception avant 22 semaines d’aménorrhée (définition OMS).
Quels sont les différents types d’avortement que l’on peut rencontrer ?
Il y a deux grands groupes d’avortements que l’on peut schématiser. Il y a les avortements spontanés et les avortements provoqués.
Un avortement est dit spontané lorsqu’il survient de lui-même sans aucune intervention extérieure volontaire. Par contre l’avortement est dit provoqué lorsqu’il survient à la suite d’une manœuvre ou entreprise extérieure destinée à interrompre cette grossesse.
Si nous prenons le groupe des avortements spontanés, on peut avoir un avortement spontané isolé, c’est-à-dire, accidentel une fois et ça passe et des avortements spontanés à répétition, appelé autrefois la maladie abortive.
Pour ce qui est du groupe des avortements provoqués, on peut le schématiser en deux grands groupes. Il y a l’avortement provoqué légal et l’avortement provoqué clandestin.
Dans l’avortement provoqué légal, nous avons d’abord l’avortement médical qui se subdivise en deux groupes. Il y a l’avortement thérapeutique qui est réalisé pour soustraire la mère de la grossesse qui est censée être un danger pour lui faire courir un grand risque. Il y a l’avortement eugénique, dans la situation où l’enfant porte une tare génétique qui est jugée incompatible avec la vie. Ça c’est l’avortement médical.
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Il y a également dans certains pays, l’avortement volontaire (IVG, interruption volontaire de grossesse) où la loi autorise certaines personnes, pour une raison particulière, de demander d’elles-mêmes à faire l’avortement. Et ça c’est légal. Le Burkina Faso n’en fait pas partie.
A côté de ces avortements légaux nous avons des avortements provoqués clandestins. Ce sont ces avortements qui augmentent la mortalité maternelle, parce qu’elles sont faites dans des conditions où il n’y a pas un minimum de normes sanitaires requises.
Quelles peuvent être les causes d’un avortement spontané ?
L’avortement spontané, habituellement, s’il se fait tôt, c’est-à-dire l’avortement précoce avant les 12 semaines, la cause la plus fréquente c’est une anomalie chromosomique. C’est-à-dire que lors de la fécondation, soit vous avez une anomalie de l’ovule chez la mère soit vous avez une anomalie du spermatozoïde que le conjoint à donner. Dans 60%, ces avortements spontanés au premier trimestre précoce sont liés à ces anomalies chromosomiques.
Maintenant, les avortements spontanés à répétition, on peut schématiser leurs causes en trois grands groupes. Il y a d’abord ce qu’on va appeler les causes utérines, les causes infectieuses et les causes d’ordre général.
Les causes utérines sont dominées par les malformations utérines. Il y a des femmes qui sont nées avec leurs utérus qui ont des problèmes. On peut citer par exemple l’utérus hypoplasique (des petits utérus) et des utérus didelphes qui peuvent être à l’origine de ces avortements à répétition. A côté de ces malformations, nous avons la béance cervicoisthmique qui entraine des avortements tardifs. Si l’utérus porte un fibrome cela aussi peut provoquer des avortements. Il y a également le cas de la synéchie utérine, c’est-à-dire que quand il y a un accolement des parois utérines, ça peut favoriser également des avortements.
Et les causes infectieuses peuvent être d’origine parasitaire virale et aussi bactérienne. Les plus fréquentes sont la toxoplasmose, la syphilis, la rubéole, les herpès simplex virus, le cytomégalovirus et le plus couramment les infections urinaires.
En plus de ces infections, nous avons des maladies d’ordre général et en premier lieu les syndromes vasculorenaux, le diabète, les déficits en hormones, en particulier l’hypothyroïdie (quand vous avez cette pathologie, vous pouvez faire facilement des avortements à répétition).
Mais est-ce que ce genre d’avortement à des conséquences sur la vie de la femme ?
Tout avortement peut conduire au décès de la femme, parce qu’il y a des complications qui peuvent être immédiates, secondaires ou tardives. Mais les avortements qui sont plus redoutables, ce sont les avortements provoqués clandestins parce qu’ils se font dans un milieu où il n’y a pas un minimum de sécurité. Et l’une des complications majeures de tout avortement c’est l’hémorragie. La femme va commencer à saigner et si on n’arrive pas à évacuer rapidement le contenu utérin, elle va vider son sang et ça va aboutir à un choc qui conduira inéluctablement au décès.
Pour les avortements provoqués, à côté du saignement, on peut avoir un traumatisme du col ou du vagin voire même une perforation de l’utérus. Dans ce cas le traitement peut nécessiter une ablation totale de l’utérus. Ce sont là, les complications dites immédiates surviennent après l’acte.
Il y a des complications secondaires qui peuvent survenir et qui sont surtout d’ordre infectieux. Elles sont dominées par une infection de l’utérus qu’on appelle endométrite. On peut avoir également une infection des trompes qu’on va appeler des salpingites qui peut se compliquer par une collection du pus appelée le pyosalpinx. Il peut y avoir aussi une infection de toute la cavité pelvienne qu’on va appeler les pelvipéritonites.
L’infection peut envahir toute la cavité abdominale, ce qu’on appelle péritonite généralisée. Comme également, l’infection peut quitter le site pelvien et se diffuser à l’intérieur de tout l’organisme qu’on va appeler des septicémies.
Sur le plan tardif, ça peut aboutir à une stérilité, donc la femme ne pourra plus concevoir. Il y a le risque de faire des salpingites chroniques, des douleurs pelviennes chroniques qui ne finissent pas.
Il y a le risque grossesse extra-utérine, de rupture utérine, placenta prævia. Toutes ces pathologies sont mortelles si elles ne sont pas prises en charge rapidement.
Il y a aussi des séquelles psychologiques qui ne sont pas négligeables. Parmi lesquelles le regret qui peut la suivre durant toute sa vie, la dépression mentale et un sentiment de culpabilité.
Mais est-ce qu’il y a des moyens pour éviter ces conséquences ?
Le meilleur moyen c’est de faire l’avortement médicalisé. Un avortement médicalisé, c’est un avortement qui se fait par un personnel qualifié dans de bonnes conditions de sécurité. Si les avortements deviennent médicalisés en suivant bien sûr un cadre légal. Beaucoup de gens font des avortements provoqués clandestins parce qu’elles ignorent les textes réglementaires en vigueur. Certains cas sont éligibles à un avortement médicalisé au Burkina Faso. Dans le cas d’un viol ou d’un inceste, la loi autorise à ce qu’on fasse un avortement sur cette personne. Si elle n’est pas informée, elle va aller tenter d’avorter dans des conditions où il n’y a pas de minimum de sécurité, en exposant sa vie.
Le premier élément c’est surtout faire la formation de nous les agents de santé et sensibiliser la population sur l’existence d’un cadre règlementaire et légal bien définit sur l’avortement.
Au niveau de l’avortement spontané, là ça n’arrive pas par la volonté de la femme. Qu’est-ce qu’elle peut faire pour éviter que l’avortement ne survienne ?
Ce que la femme peut faire c’est de consulter, d’aller dans un centre de santé. Avec le personnel qualifié qui est là, qui a reçu une formation de qualité, il pourra faire des avortements sécurisés respectant le cadre légal du pays. C’est le seul moyen efficace pour lutter contre les complications et les conséquences graves de ces avortements.
Qui peut bénéficier d’un avortement médicalisé ?
Tout avortement est une menace vitale qui peut conduire à un décès maternel s’il n’est bien pris en charge.
Tout avortement spontané doit bénéficier d’une prise en charge médicale. La loi est bien définie. Ces femmes doivent bénéficier d’un avortement sécurisé. A côté de ces avortements spontanés, il y a également certaines conditions où la loi autorise qu’on fasse l’avortement. Il y a le cas de viol et l’inceste qui sont des raisons sociales valables pour réaliser un avortement. Il y a également des situations où vous avez une grossesse qui peut faire courir un danger à la vie de la femme. La loi nous autorise également à faire l’avortement sur cette patiente. Si également le fœtus porte une tare génétique qu’on juge qu’elle est incompatible avec la vie, la femme doit bénéficier d’un avortement sécurisé en milieu médical.
Y a-t-il des documents qu’il faut présenter pour bénéficier d’un avortement dans un centre de santé ?
Tout cela dépend du stade clinique qu’on reçoit la patiente. Si c’est une situation d’urgence la primauté du droit à la vie emportant sur le droit de l’avortement, nous avons une obligation de prendre en charge tout cas d’avortement menaçant le pronostic vital quel que le mécanisme de l’avortement.
En dehors de l’urgence il y a des critères d’éligibilité à remplir selon les indications suivantes :
Il y a des indications qu’on va appeler indications médicales et des indications sociales. L’indication médicale, il revient à l’entière responsabilité médicale de poser l’indication et réaliser l’avortement sans passer par un avis juridique quelconque. Par contre, s’il s’agit d’une raison sociale, c’est au juge de nous donner l’autorisation de pouvoir le faire. Il ne nous appartient pas d’établir un cas de viol ou d’un inceste. C’est au juge d’établir ça et nous donner une réquisition qui nous donne le quitus de réaliser cet avortement.
Celles qui bénéficient de l’avortement médicalisé sont infimes. Comme l’avortement n’est pas totalement légalisé, et qu’il y a des règles à suivre, il y a beaucoup qui préfèrent se retrancher et venir avec des complications pour que nous puissions prendre en charge. Tout cas que nous recevons, nous en tant que médecin nous ne sommes pas là pour juger qui que ce soit. Nous sommes là pour sauver des vies. Nous faisons notre prise en charge et la suite juridique ne nous appartient pas.
Un appel à lancer à l’endroit des femmes qui aimeraient bénéficier de l’avortement médicalisé.
Celles qui sont éligibles à l’avortement sécurisé, il faut leur dire que la loi les protège, et une fois qu’elles respectent les règles prévues par la loi, elles doivent venir à l’hôpital pour que le personnel qualifié le fasse dans de bonnes conditions. Même si quelqu’un se dit qu’il est qualifié et qu’il veut faire un avortement dans un milieu où les normes sanitaires ne sont pas requises, ça ne sera pas un avortement sécurisé et on met en danger la vie de la femme. La meilleure manière de lutter contre la mortalité maternelle c’est inciter les femmes à aller dans un centre de santé, en cas de suspicion, quel que soit le motif possible. L’urgence pour nous est de sauver des vies.
Par Daouda ZONGO