Élections 2020 au Burkina: « Votons pour la réduction des inégalités » (ONG)
Ceci est une lettre ouverte des plusieurs organisations adressée aux électrices et aux électeurs. Elles demandent à ceux-ci de voter « pour la réduction des inégalités, pour que nul ne soit laissé sur le bord du chemin ! »
« Les inégalités au Burkina Faso, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques, demeurent encore une réalité, malgré l’apport des politiques nationales, des projets, des programmes et mis en œuvre pour en venir à bout. Leur persistance se manifeste à travers différents domaines de la vie et coexistent avec de nombreuses autres crises dans le pays : déplacements forcés, crises climatique, alimentaire, sécuritaire et humanitaire.
Chères électrices, chers électeurs, nous devons choisir le 22 novembre prochain la femme ou l’homme capable de présider aux destinées radieuses du Burkina Faso. A cet effet, ma voix et ta voix, la voix du riche et celle du moins riche, la voix de la femme et celle de l’homme, la voix du jeune en âge de voter et celle de la personne âgée, la voix du citadin et celle du rural… se valent. En matière de choix de nos dirigeant (e) s, il n’y a pas d’inégalité, nous sommes comme tous égaux devant les urnes. Mais pourquoi autant de disparités dans la gestion de notre quotidien par ces mêmes dirigeant (e) s ? C’est la question légitime que nous devrons nous poser, nous électrices et électeurs de toutes les contrées du Burkina Faso, à l’orée de ces élections. Nous devons surtout nous rappeler que nous avons le pouvoir de changer les choses en votant utile, c’est-à-dire en votant pour la réduction des inégalités, pour que nul ne soit laissé sur le bord du chemin du progrès et du bien-être.
Le pays des hommes intègres a connu, ces dix (10) dernières années, un recul notable de la pauvreté, mais cela ne s’est pas fait pour tout le monde. Au niveau national, la proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté a baissé, passant de 48,6 % à 40,1 % entre 2003 et 2014. Au même moment, dans les zones rurales, 47,5 % de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté, contre seulement 13,7 % en milieu urbain, selon le tableau de Bord Social (TBS) du Burkina Faso 2017 de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD).
Ces inégalités économiques sont le fait de différences criantes de niveaux de revenus, elles-mêmes nourries par un accès très inégal à des emplois de qualité, en particulier pour les femmes et les jeunes, dans un pays où près de 70 % du travail est informel. Selon l’AFD, le revenu annuel moyen des hommes ayant un emploi est près de 3 fois plus élevé que celui des femmes.
Par ailleurs, l’accès équitable aux ressources naturelles telles que la terre reste un défi pour les femmes, alors même qu’elles constituent près de 52% de la population et 55 % de la force de travail agricole. Selon les dernières données disponibles, 31,5 % des agriculteurs masculins détiennent leurs propres terres alors que seulement 7,4 % des agricultrices sont propriétaires des leurs.
L’eau et la santé, encore un luxe
A côté des inégalités économiques, il y a aussi que l’accès aux services sociaux de base, un maillon essentiel de la lutte contre les inégalités, n’est pas garanti pour tous les Burkinabè. L’accessibilité à l’eau potable, à l’énergie, à l’alimentation et aux points médicaux reste un luxe pour un pan important de la population.
En effet, l’accès à l’eau est encore très inégal. En 2019, seulement 68 % des habitant-e-s des zones rurales avaient accès à des sources d’eau potable, contre 96 % des citadin-e-s, selon le rapport annuel de performance 2019 du ministère de l’eau et de l’assainissement.
En dépit des progrès, les conflits sont venus accentuer dramatiquement le déficit préexistant et inégalités d’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement (EHA) dans les zones affectées. Le taux d’accès à l’eau dans les vingt communes recevant le plus de déplacés est passé de 64 % avant les déplacements à 44 %. Il en est de même pour l’accès à l’assainissement qui est passé de 23 % à 14 % dans ces 20 communes.
L’école, un ascenseur social en panne pour les femmes et les enfants des régions les plus reculées
Dans le domaine de l’éducation, la localisation spatiale et la classe sociale continuent d’être des facteurs déterminants de l’inégale scolarisation des enfants. Alors que les régions comme le Nord, le Plateau-Central et les Hauts-Bassins enregistraient des taux bruts de scolarisation primaire de plus de 100 % sur la période 2018-2019, seulement 82,3% des enfants dans la région du Sud-Ouest, 61,9 % dans la région Est et 28,2 % dans la région Sahel étaient scolarisés au primaire (Annuaire statistiques MENAPLN, 2018-2019). On constate que l’espérance de vie scolaire change radicalement selon l’endroit de naissance de l’enfant : en milieu urbain, un enfant burkinabè qui entre à l’école peut espérer y rester plus de 11 ans, alors qu’en milieu rural il y passera moins de 4 ans.
Les inégalités en matière d’accès à l’école jouent en défaveur des enfants provenant des foyers à faibles revenus. Inversement, ce sont les enfants dont les parents sont des cadres moyens ou supérieurs de l’administration publique ou privée qui accèdent majoritairement à l’école primaire et secondaire. Or, il est admis qu’une éducation de bonne qualité peut permettre, à l’échelle de la société, d’estomper les inégalités.
Mille et une raisons de lutter contre les inégalités
Ces inégalités, non exhaustives, sont en passe de s’amplifier avec la crise économique consécutive à la pandémie de Covid-19. Et dans ce contexte de ralentissement économique, les personnes en bas de l’échelle des revenus sont le plus durement touchées. Les inégalités menacent la cohésion sociale du pays, ainsi que les efforts déployés pour lutter contre la pauvreté et pour atteindre les ODD.
Les inégalités créent un sentiment de frustration qui alimente les tensions au sein de la société, explique l’économiste Anda David, spécialiste des questions d’inégalités à l’Agence française de développement (AFD) : « Les individus qui en souffrent ont tendance à moins coopérer entre eux, ce qui augmente le risque d’apparition de conflits sociaux, de crises politiques et de conflits armés. ». En outre, les inégalités impactent négativement la croissance et plombe le bien-être des habitants d’un pays. D’où l’urgence à agir efficacement contre les inégalités, par la mise en place de politiques qui remédient expressément aux disparités et fournissent aux classes défavorisées les moyens de sortir de leur condition.
Fort heureusement, ces inégalités ne sont pas une fatalité, et peuvent être réduites drastiquement, pourvu que des actions concrètes de lutte puissent être posées par les gouvernants et la société dans son ensemble. C’est tout le sens du combat engagé par une coalition d’Organisations de la Société civile, à la faveur de l’élection présidentielle du 22 novembre prochain, pour encourager les candidats à intégrer en lettre d’or l’éradication des inégalités dans leurs programmes respectifs. La coalition, comprenant le Balai Citoyen, l’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso, le Secrétariat Permanent des ONG, la Confédération Paysanne du Faso, l’Association Songui Manégré / Aide au Développement Endogène (ASMADE), Le Mouvement de solidarité pour le Droit au logement (MS DROL) et Oxfam au Burkina Faso, a rencontré une dizaine de candidats ou leurs représentants, qui se sont engagés à s’approprier ce combat, une fois au pouvoir. Neuf d’entre eux ou leurs représentants ont apposé leur signature sur le document à eux soumis par les OSC, marquant leur pleine adhésion à la lutte contre les inégalités dans le pays. Il s’agit des candidats Yéli Monique Kam, Roch Marc Christian Kaboré, Tahirou Barry, Zéphirin Diabré, Eddie Komboïgo, Abdoulaye Soma, Kadré Désiré Ouédraogo, Gilbert Noël Ouédraogo et Ambroise Farama.
Les électeurs et électrices doivent se rassurer que les programmes proposés par le-s candidat-s contiennent des stratégies ambitieuses mais réalistes de réduction des inégalités. La coalition d’OSC prépare un document analytique qu’elle va publier dans ce sens, mais il n’empêche que chaque électeur peut faire sa propre religion, en parcourant lui-même les programmes politiques.
Une combinaison de 10 remèdes
Au-delà des élections, un travail de veille doit se poursuivre, en vue de s’assurer que ces engagements du candidat-président ne restent pas de vaines promesses. Déjà, la coalition d’OSC a sorti de ses laboratoires une combinaison de dix remèdes contre les inégalités, qui peut inspirer le futur président du Faso :
-une éducation publique universelle, gratuite, de qualité et accessible pour toutes et pour tous, avec un accent sur l’éducation préscolaire, l’accès des filles et femmes à l’éducation secondaire et supérieur, l’enseignement et la formation technique professionnelle ;
– un système de santé et de protection sociale qui réduit l’écart entre les plus riches et les plus démunis ;
– des politiques fiscales plus progressives, selon les capacités contributives de chacune et chacun ;
-un renforcement de la protection des droits du travail et des politiques favorisant un marché du travail inclusif qui assure un travail digne et de qualité, en particulier aux femmes et à la jeunesse ;
-un soutien plus accru et plus adapté aux politiques agro-sylvo-pastorales, fauniques et halieutiques avec un souci de justice et d’équité afin de mieux accompagner les producteurs et productrices familiaux ;
– des politiques d’adaptation efficaces face au changement climatique, qui renforcent les capacités de prévention et de résilience des populations les plus directement touchées ;
-la promotion de l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes et des jeunes filles dans tous les domaines de la vie ;
– une gouvernance inclusive à tous les niveaux de décision et une protection et une extension de l’espace civique ;
– une réponse humanitaire qui répond de façon adéquate, suffisante et redevable aux besoins des plus vulnérables y compris les femmes et des jeunes ;
– une production de statistiques et de données fiables, détaillées et fréquentes sur les inégalités de tous types.
Chères électrices, chers électeurs…chers candidats et candidates, la lutte contre les inégalités n’est pas seulement une priorité : c’est une nécessité urgente. Et cela est bien possible. Réduire les inégalités constitue un défi permanent et demande que les parties prenantes notamment l’État s’investissent dans des réformes des politiques publiques ambitieuses pour aboutir à des changements positifs et durables en matière de fiscalité, de dépense sociale, de travail digne, de bonne gouvernance, d’adaptation au changement climatique… qui bénéficient aux populations.
Pour de plus amples informations, visitez le site : https://agircontrelesinegalites.com »
OUAGA le 13 novembre 2020
SPONG
Balai Citoyen
Association des Femmes Juristes du Burkina Faso
Confédération Paysanne du Faso
ASMADE
MS-DROL
Oxfam