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Elections au Burkina: il faut vivre pour voter!

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L'Afrique et ses élections qui font peur (Ph. Illustration)

Il faut tenir les élections à date fixe. C’est le vœu de tous les Burkinabè et de leurs partenaires techniques et financiers qui soutiennent les processus démocratiques africains encore balbutiants. Le Burkina Faso se prépare donc pour les élections présidentielle et législatives couplées, prévues pour le mois de novembre 2020. Comme à l’accoutumée, les opérations d’enrôlement sont en cours. Elles se déroulent bien dans certaines localités, moins bien dans d’autres, et très mal dans les zones où les attaques armées endeuillent au quotidien les Forces de défense et de sécurité et les populations civiles. La persistance de ces assauts meurtriers dans plusieurs régions, notamment celles de la Boucle du Mouhoun, du Centre-Nord, de l’Est, du Nord et du Sahel est plus qu’inquiétante et la comptabilité macabre ne fait que monter.

Entre 2016 et 2020, ce sont 1229 civils qui sont restés sur le carreau et 436 éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) qui sont tombés, les armes à la main. Rien que pour la seule année 2020, soit à la date du 31 mai, le compteur des civils tués était à 436 et celui des FDS à163. On ne saurait oublier les assassinats du maire de Barsalogho et de celui, plus récent, du maire et chef coutumier de Pensa. A cela s’ajoutent les embuscades meurtrières du 6 juillet dernier qui ont envoyé, ad patres, six vaillants soldats et trois Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Last but not least, la crise humanitaire qui plante sa tente au Burkina, si elle n’est pas alarmante, n’en n’ai pas moins préoccupante. Les Burkinabè pris dans les tenailles des attaques terroristes sont contraints de fuir leurs villages, abandonnant derrière eux, cases et champs.

Plus de 800 000 Burkinabè déplacés et faible taux d’enrôlement

A en croire les services du ministère en charge de l’Action sociale, ce sont plus de 800 000 Burkinabè qui ont déserté leurs villages pour trouver refuge dans des camps de fortune. Et dans certaines zones reculées, l’administration et bien des symboles de l’Etat n’existent plus que de nom, pour ne pas dire qu’ils ont disparu. En tout cas, dans ces cinq régions les plus affectées par l’insécurité, 159 communes sur les 351 et 4000 villages, soit le 1/3 des bureaux de vote attendus, ne seront pas en mesure de pourvoir les 52 sièges de députés à l’Assemblée nationale. Ces potentiels élus et électeurs seront doublement pénalisés d’être la cible des terroristes et de ne pas pouvoir jouir de leur droit de citoyens devant participer aux élections. Et ils ne s’en sentiront que davantage frustrés et ostracisés.

S’il fallait prendre davantage le pouls de ces élections qui s’annoncent, il faut scruter de près les obstacles qui se dressent sur le chemin des intrépides agents enrôleurs de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) qui illustrent bien toute la problématique du couplage des élections présidentielle et législatives de novembre prochain. Si en Afrique, on dit que la qualité du repas se devine déjà à la quantité d’eau pour se laver les mains, il faut avouer que les prochaines législatives, si elles se tiennent «à bonne date» comme voulu, cela risque d’élargir davantage, la fracture entre les populations, celles qui auront la possibilité d’élire ou d’être élues et celles qui ne peuvent le faire à cause de l’insécurité. A preuve, le chronogramme de l’enrôlement de la Céni a été fortement perturbé, notamment dans les cinq régions martyres, ce qui rend le taux d’ensemble des enrôlés bien faible. Dans cette situation, peut-on tenir des élections inclusives, sans qu’une bonne partie des citoyens y aient pris part? De quelle légitimité se targuera la législature qui en sera issue?

Situation des législatives fort préoccupante

Si la situation des législatives est fort préoccupante, le report de ces élections étant prévu par la loi fondamentale de notre pays, en son article 81, pourquoi ne pas explorer la piste du découplage, en faisant fi des considérations politiciennes qui n’ont jamais des fondements objectifs? Ici, il s’agit de viser l’intérêt de populations taraudées par des questions existentielles, dont la plus cruciale n’est autre que leur survie, la survie. Oui, comment échapper à la nasse terroriste qui s’étend de plus en plus, notamment sur les cinq régions sus-citées, constamment endeuillées par les attaques armées? Plus que d’élections législatives, c’est comment résoudre dans l’immédiat, et sur le long terme, l’équation des besoins fondamentaux de l’être humain, que cherchent les habitants de ces localités. C’est même la préoccupation de leurs parents et proches de la ville, qui sont conscients des charges supplémentaires sous lesquelles ils crouleront, si les exilés dans leur propre pays, à la recherche de cieux plus cléments, doivent trouver gîte et pain chez eux. De plus, l’indécence atteindrait bien son summum à vouloir battre campagne auprès de concitoyens qui, comme le dit à raison l’autre, «dorment et se réveillent sans savoir s’ils pourront en faire autant le lendemain», tant la menace est enkystée dans leur quotidien.

La présidentielle, elle, peut se tenir à bonne date, et c’est tant mieux. Les deux scrutins se distinguent, d’ailleurs, fondamentalement sur bien des aspects. A titre d’illustration, pour la présidentielle, non seulement la Constitution n’en prévoit par le report, mais sa circonscription électorale est le territoire national. Les candidats à la présidentielle, en insistant par ailleurs sur le respect des mesures barrière contre le Covid-19, maladie avec laquelle nous devons apprendre à vivre, peuvent donc bien battre campagne uniquement dans les chefs-lieux des provinces, contrairement à ceux aux législatives qui seront appelés à parcourir les communes rurales et les villages, même les hameaux les plus reculés, et ce, dans les conditions sécuritaires de précarité extrême.

Reporter d’un an, le bon choix?

Le découplage des élections, s’il fait des gorges chaudes et rencontre une résistance, justifiée ou non, d’une partie de la classe politique et de la société civile, il n’en demeure pas moins que l’option peut être bien envisagée pour le bonheur du processus démocratique burkinabè, si les choses sont bien encadrées. Il suffit de se départir des desseins cachés des politiciens, ceux qui demandent le report des législatives tout comme ceux qui sont contre, et ne tenir compte que des réalités qui elles sont bien palpables et quantifiables sur le terrain. Insécurité, exil forcé des populations, faible taux d’enrôlement et menaces de propagation du Covid-19, pour ne citer que ces dangers, sont à prendre au sérieux, bien plus que les intérêts inavoués de politiciens.

On peut essayer le report des législatives d’un an, tout comme on peut faire voter, en espérant des jours meilleurs, les populations des régions plus ou moins sécurisées, et avoir un parlement à compléter l’année prochaine…ou plus tard. Dans l’un ou l’autre cas, ce serait bel et bien valider de fait, une victoire d’étape des forces du mal que nos autorités et politiciens de tous bords n’ont pas pu empêcher, par leur incurie, préoccupés qu’ils sont par la seule défense d’intérêts égoïstes et très personnels. Alors, ouvrons l’œil et le bon, et faisons surtout le bon choix.

Par Wakat Séra