“Il faut dialoguer avec les groupes armés terroristes”. Cette phrase grave prononcée par le Général Djibrill Bassolé, ancien ministre des Affaires Étrangères du Burkina Faso, a fait sensation lors du très restreint Global Security Forum de Doha (Qatar). En marge de ce forum international tenu du 13 au 15 mars 2023 et dédié aux dirigeants, experts en relations internationales, stratèges et sécurocrates, l’ancien médiateur des Nations Unies et de l’Union Africaine pour le Darfour et ancien envoyé spécial de l’Organisation pour la Coopération Islamique (OCI) pour le Mali et le Sahel, s’est entretenu avec Financial Afrik.
“Je suis de ceux qui pensent qu’en Afrique, l’Etat jacobin centralisateur tel que nous l’avons hérité du colonisateur montre ses limites”
Bonjour Mon Général ! Vous êtes présentement à Doha pour prendre part au Global Security Forum et vous préconisez le dialogue avec les groupes terroristes. Pouvez vous nous expliquer exactement en quoi le dialogue avec des groupes aussi extrémistes est possible et peut aboutir à la paix ?
Je voudrais avant tout, exprimer ma gratitude aux autorités qatari et aux organisateurs pour m’avoir invité à prendre part à ce forum de Doha et à faire une communication au cours du panel relatif aux expériences vécus en matière de prévention et de résolution des conflits par la médiation.
Je répondrai à votre question en vous relatant ce que j’ai déjà expliqué aux panelistes sur l’importance du dialogue. Dans la plupart des pays africains qui subissent des agressions terroristes, l’origine des agresseurs a connu une évolution significative.
Initialement, il s’agissait exclusivement d’un djihadisme à caractère idéologique et transfrontalier. En d’autres termes, les agresseurs venaient de l’extérieur et décidaient souvent de mourir en kamikaze. Aucun dialogue n’était envisageable avec de tels assaillants.
De nos jours, le djihadisme prend les formes d’insurrections armées locales ou régionales. Des jeunes nationaux des pays visés se sont massivement enrôlés dans les groupes djihadistes, dans des alliances stratégiques et idéologiques pour mener des luttes armées contre leurs Etats. Ils s’attaquent aux forces de défense et de sécurité (symboles de l’autorité de l’Etat) et à leurs concitoyens avec une violence inouïe.
Qu’est- ce qui explique que des nationaux adhèrent massivement aux organisations djihadistes ?
Vraisemblablement, les djihadistes leur proposent un projet de société plus prometteur. Vous savez, les régions en Afrique dans lesquelles ils opèrent sont des zones désertiques en général, qui sont caractérisées par la précarité des conditions de vie. Comme je le disais aux panelistes, le phénomène djihadiste se superpose à des tensions et crises locales préexistantes que nous ne devons jamais ignorer. Il nous faut reconnaitre que des sentiments de marginalisation et de frustration existent dans certaines régions défavorisées par la nature et peuvent pousser une frange de ses populations, essentiellement jeune, à adhérer aux mouvements terroristes afin de bénéficier de leur encadrement et de leur soutien.
Toutefois, Mon Général, il ne sera pas facile de faire la part des choses. Une distinction est-elle possible entre ces groupes djihadistes, les assaillants étrangers et les insurgés locaux ?
J’en conviens. Mais, compte tenu de la complexité du phénomène, il faut aussi admettre que la solution militaire seule n’arrivera pas à l’éradiquer. Pour maximiser les chances de restaurer une paix durable, les Etats doivent promouvoir des canaux de dialogue parallèlement à des dispositifs militaires robustes et bien adaptés à la nature de la menace terroriste car dialogue ne veut pas dire capitulation. Un dialogue constructif a besoin d’un Etat fort et crédible.
Le dialogue que vous préconisez porterait sur quoi et se ferait avec qui ?
Etablir un dialogue, donc un contact avec les insurgés locaux, est indispensable car ce sont des nationaux qui suivent les mouvements djihadistes parce qu’ils n’ont pas d’autres alternatives. Un dialogue permet d’abord de mieux évaluer la situation de l’insécurité, d’en faire un diagnostic précis et de cerner les causes profondes de l’adhésion massive des jeunes nationaux au actions terroristes.
Le dialogue permet ensuite de reformer le système de gouvernance car je suis de ceux qui pensent qu’en Afrique, l’Etat jacobin centralisateur tel que nous l’avons hérité du colonisateur montre ses limites. Il faudra réformer l’Etat afin qu’il soit plus apte à promouvoir l’intérêt général, à garantir une meilleure gouvernance, à assurer une meilleure répartition des ressources naturelles, bref, à donner aux populations la maitrise de leur destin.
Enfin le dialogue permettra éventuellement d’envisager des pourparlers de paix voire des négociations, en sachant qu’une paix durable passe généralement par un dialogue national qui consolidera la cohésion nationale.
En tout état de cause, le dialogue fait partie des moyens typiquement africains de régler les conflits et d’apaiser les tensions. Je pense qu’ en tant qu’africains nous devons trouver des voies propres à nous pour résoudre les crises qui minent nos sociétés. Le djihadisme prend par endroit la forme d’une insurrection armée qui pourrait conduire à une guerre civile.
Vous savez qu’une partie de l’opinion publique est farouchement opposée à une forme de dialogue avec ces groupes terroristes ?
Je le sais et je comprend cette réaction tout à fait humaine face à la barbarie et à la cruauté des crimes commis par les groupes armés terroristes. La question c’est comment arrêter le phénomène de la propagation fulgurante des actes terroristes et surtout comment réussir à faire en sorte que les jeunes gens ne soient pas attirés par ce djihadisme qu’ils considèrent comme une forme de lutte armée qui améliorera leurs conditions de vie sur terre.
La fermeté et la riposte militaire sont indispensables pour dissuader et protéger les populations et leurs biens. Mais pour créer les conditions d’une paix durable, il faut nécessairement se parler et se comprendre avec les jeunes gens qui sont attirés par la lutte armée djihadiste.
Dans certains cas comme au Cabo Delgado au Mozambique, ou ailleurs dans le Sahel, les forces du mal ont réussi à opposer des communautés qui s’entretuent à grande échelle.
Vous vous imaginez combien de jeunes soldats il faudra encore sacrifier et combien de jeunes nationaux djihadistes il faudra neutraliser pour considérer qu’un Etat X a gagné la guerre ? Et quand bien même les forces de défense régulières prendraient le dessus militairement, le problème ne serait pas durablement réglé pour autant.
Sans compter le désastre humanitaire des personnes fuyant les zones minées par le conflits, les milliers d’écoles fermées, le gel des activités sociales et économiques etc.
On accuse souvent le Qatar où vous êtes de soutenir les organisations djihadistes notamment au Sahel. Qu’en savez vous ?
Je n’ai jamais perçu ce genre de soutien. Lorsque j’étais le Médiateur des Nations unies et de l’Union africaine pour le Darfour, le Qatar a abrité les pourparlers de paix qui ont duré près de 3 ans et nous avons réussi à faire adopter le Doha Document for Peace in Darfur (DDPD) en juillet 2011. Plus récemment, le Qatar a accueilli à Doha pendant 5 mois les représentants du Gouvernement tchadien ainsi que les délégations de l’opposition armée (appelés les politico-militaires). J’ai travaillé avec la médiation qatari pour aboutir à la signature à Doha, le 8 août dernier, de l’accord dit de Doha pour la paix au Tchad.
Au cours de ces expériences communes, j’ai plutôt trouvé chez les qatari de bonnes dispositions à œuvrer pour la paix, la stabilité et le développement en Afrique. J’ai surtout retenu chez eux, cette culture de la paix, de la tolérance et de l’ouverture avec une certaine humilité.
Je me suis d’ailleurs permis au cours du présent forum, de leur demander de s’impliquer dans la recherche de la paix durable et du développement au Sahel pour les Etats qui le souhaitent bien entendu. Je leur ai aussi demandé d’aider à soulager en urgence les populations déplacées et surtout d’aider ces Etats à réouvrir les écoles dans les zones touchées par les conflits afin de sauver toute une générations d’enfants du péril djihadistes.
Vous concernant personnellement, Mon Général, comment va votre état de santé ?
Je rends grâce à Dieu de cette évolution tout à fait satisfaisante de mon état de santé selon les médecins traitants. J’ai subi une grosse chirurgie mutilante qui m’a sauvé la vie. Le suivi et les contrôles périodiques se poursuivent bien par le centre spécialisé de l’hôpital Saint Louis de Paris qui m’a bien pris en charge.
Où en êtes vous avec la procédure judiciaire qui a prononcé une condamnation contre vous pour votre implication dans une affaire d’atteinte à la sureté de l’Etat au Burkina Faso ?
Cette question comme toutes celles à caractère politique, suscite tellement de passion et de polémique que je préfère laisser le soin à mes avocats de la gérer dans la sérénité et le respect des règles de la procédure. Moi, je souhaite seulement que, ce qui n’est en réalité qu’une cabale ( tous ceux qui connaissent du dossier en conviennent ) et les tracasseries judiciaires y effarantes, connaissent un dénouement heureux avec une justice véritablement indépendante dans la plus grande transparence.
Pour l’heure, je trouve plus judicieux de concentrer mes énergies à me reconstruire et à me rendre utile en particulier dans le domaine de la résolution des crises et des conflits armés comme j’ai eu le privilège de le faire durant toute ma carrière au service de la sécurité puis de la diplomatie.
*Le titre est de la rédaction