Donald Trump a informé le Congrès américain qu’à partir du 1er janvier 2019, il mettra fin « à l’admissibilité de la Mauritanie aux avantages en matière de préférence commerciale, en vertu de la loi sur la croissance et les perspectives économiques en Afrique (Agoa), en raison des pratiques de travail forcé ».
Le président américain a déclaré, samedi 3 novembre, que « la Mauritanie ne progresse pas suffisamment dans la mise en place de la protection de droits des travailleurs internationalement reconnus (..) En particulier, elle n’a pas progressé dans la lutte contre le travail forcé, et notamment contre le fléau de l’esclavage héréditaire. En outre, le gouvernement mauritanien continue de limiter la capacité de la société civile à travailler en toute liberté pour résoudre les problèmes liés à la lutte contre l’esclavage ».
Le représentant adjoint du Commerce, Charles J. Mahoney, a ajouté : « Le travail forcé ou obligatoire, tel que l’esclavage héréditaire, n’a pas sa place au XXIe siècle (..) Nous espérons que la Mauritanie travaillera avec nous pour éliminer le travail forcé et l’esclavage héréditaire, afin que son éligibilité à l’Agoa soit rétablie à l’avenir ».
Des effets commerciaux minimes ?
La sanction appliquée à la Mauritanie est la même que celle déjà infligée pour gouvernance défectueuse au Burundi, au Soudan du Sud ou à la RDC : le fautif est privé de la suppression de 32% à 36% des droits de douane sur les produits qu’il exporte vers les États-Unis. En ce qui concerne la République islamique de Mauritanie, les effets de cette mesure seront minimes, car elle y exporte à peine quelques dizaines de millions de dollars de marchandises – essentiellement des hydrocarbures, des phosphates et des produits de la pêche.
Il n’empêche que la décision de la Maison Blanche est un camouflet pour le président et le gouvernement mauritaniens, qui paient une politique de lutte contre l’esclavage souvent jugée opaque et contradictoire, puisque les ONG domestiques œuvrant dans ce domaine ont été accusées, voire poursuivies pour avoir dénoncé la persistance de l’esclavage. Ce dernier est condamné depuis 1981, qualifié par une loi d’août 2015 de « crime contre l’humanité », et relève de trois tribunaux spécialisés.
Préoccupations autour du sort de Biram Dah Abeid
Les responsables de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) ont été plusieurs fois condamnés à des peines de prison et son chef, Biram Dah Abeid, est toujours emprisonné – bien qu’élu député en septembre – , officiellement pour avoir menacé un journaliste.
El Hadj Fall, responsable de la campagne électorale de Biram en France, juge que la décision américaine a été provoquée par trois événements. « Nos amis de l’IRA-Ohio ont envoyé, il y a un mois et demi, une lettre aux congressistes américains pour attirer leur attention sur l’emprisonnement de Biram et la persistance de l’esclavage en Mauritanie, explique-t-il à Jeune Afrique. En septembre 2017, une délégation de l’ONG américaine « Arc-en-Ciel », conduite par le fils du pasteur Jesse Jackson et invitée par l’IRA et l’ONG mauritanienne SOS Esclaves, avait été refoulée à l’aéroport de Nouakchott. Enfin, le nouvel ambassadeur américain en Mauritanie a récemment donné une interview dans laquelle il a rappelé que les États-Unis regardent de façon scrupuleuse la situation des droits de l’homme dans le pays. »
LA DÉCOUVERTE DE GISEMENTS D’HYDROCARBURES DONNE AUX AMÉRICAINS UN LEVIER POUR PESER SUR LE GOUVERNEMENT
Selon El Hadj Fall, « la suspension de l’Agoa n’a pas d’effet significatif pour l’instant, compte tenu de l’insignifiance des exportations mauritaniennes vers les États-Unis. Mais la découverte de gisements d’hydrocarbures au large de nos côtes donne aux Américains un levier pour peser sur le gouvernement. Le message est clair : il faut que Biram [à qui le Secrétaire d’État John Kerry avait remis en juin 2016 un prix pour son action contre l’esclavage] soit libéré ! »
Il semble aussi que le grand syndicat américain AFL-CIO n’ait pas du tout apprécié que plusieurs syndicalistes mauritaniens aient été inquiétés en 2017, dans le cadre d’une enquête pour corruption qui concernait également des parlementaires et des journalistes. Le 16 août dernier, le délégué de cette puissante centrale avait plaidé, devant l’instance chargé de l’examen annuel de l’éligibilité à l’Agoa, pour une suspension de la Mauritanie.
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