Ceci est une tribune du philosophe Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè sur la crise entre Palestine et Israël.
Un autre cycle de massacres est en cours entre Israéliens et Palestiniens. Le 7 octobre 2023 signe un massacre abject. Mais la haine n’est pas née le 7 octobre. Ce conflit déchaîne toujours, des postures de haines dans le monde musulman, des positions diplomatiques pernicieuses, déraisonnables de l’Occident chrétien. Des radicalités qui dénoncent le statu quo mortel. La solution à deux Etats est indépassable. Dire, c’est faire. C’est la seule certitude donc l’unique sagesse. Mais il n’y a plus de Patriarche. Dans ce monde en panne de grande âme, aucun appel au cessez-le-feu n’est entendu. Célébrer le courage de la puissance de feu, c’est conforter les massacres, d’où qu’ils viennent. Où est le leadership moral qui explicite les limites du droit d’Israël « à se défendre » ? Pire, les Occidentaux s’y cachent. Taqiyya ! Dans ce conflit, l’oubli et le blanchiment de la colonisation des terres palestiniennes par l’exhibition opportuniste des horreurs du 7 octobre, signent la démission morale des puissants. Pourtant. Vivre, laisser vivre et aider à vivre devrait prévaloir entre ces cousins. Au Mandé, la tolérance les range sous le concept de bienveillance fraternelle, de dialogue continu, d’acceptation des différences et de convivialité qui accueille le voyageur au nom de la paix fraternelle. C’est exactement le type de dialogue éclairé entre Maïmonide (Moshe) et Muhammad Ibn Rushd, (Averroès), deux érudits de Cordoue dans un intermède historique transi de violences, l’esclavage des noirs, les racismes contre les juifs, les chrétiens d’Orient et Musulmans éclairés. Comment tempérer par la spiritualité, les dérives de la raison et aussi modérer celles de la foi monothéiste ? Au détour du choc entre les monothéismes, de Fès à Cordoue, il y a l’exigence humaniste de la tolérance pour la paix éclairée. Toute paix prend son envol de la tolérance des différences avec la fin de la colonisation. Le rêve du Grand Israël que l’Accord de Paix d’Oslo de 1993 sacrifia. Il endigua les haines, d’où les limites de la tolérance, attestées. Mais les titans sont de retour.
Il sied, en conséquence, une politique de civilisations comme la continuité dialogale nécessaire entre le philosophe, le théologien et le juriste, qu’il soit talmudique, chrétien, sage africain, musulman. Renvoyer les marchands de destins, offrir des fleurs aux soldats. Les Accords d’Abraham de 2020 sont cette négation dans l’exacte mesure où ils sculptaient dans le marbre, l’abandon de la solution historique à deux Etats. Désespérance mercantile ! Les grands hommes d’Etat sont morts. Le monde actuel campe cette désespérance : celle des enfants d’Israël qui se reconnaissent dans les positions morales du philosophe Yeshayahou Leibowitz et celle des enfants de Palestine du poète Mahmoud Darwich. Seuls les gens de culture créent l’état comme entité réelle. Les Romains et les Mandénkaw l’ont si bien compris que la citoyenneté précédait et créait la terre tandis que chez les athéniens, c’était l’inverse. Au Sahel, par exemple, réapprenons-le pour vaincre la haine et les rebellions irrédentistes, créer la richesse, la redistribuer aux citoyens et régions. Équité !
Oui l’Etat ne dérive point d’une conviction messianique. Il est une créature des citoyens. Sa prétention de possession de la terre ne préexiste point à sa création. Il est certain que le sionisme comme forme du messianisme ne l’accepte pas. Aussi sa quête embrasse Canaan, du Nil à l’Euphrate. Ce qui ne légitime en aucun cas, la revendication islamiste radicale du Hamas d’éradication d’Israël. Hécatombe et autodestruction mutuelle en acte ! Vaincre ces asymétries du destin est essentiel. C’est dans le cœur, les arts du partage et de l’avenir en commun que siège la paix. Non la peur d’un génocide ne justifie JAMAIS la commission d’un autre. Surtout pas de la part d’un Etat démocratique comme Israël, le seul de la sous- région. Parce que l’Etat d’Israël a une réputation à tenir dans le concert des nations. Tel n’est pas le cas d’un mouvement islamiste nationaliste comme le Hamas. Qu’Israël ne se fasse pas enfirouaper par l’hubris de la puissance militaire. La vengeance ruine la raison tandis que la domestication de sa propre supériorité est sagesse et équilibre.
Le silence n’a point d’aura ici. Les Justes d’Afrique sont interpellés. Rejetons le besoin de haine de l’homme. Chez l’homme, il est chez lui. Einstein l’affirma en 1932, dans un dialogue avec Freud. Pourquoi la guerre perpétuelle pour la guerre ? Pour engraisser le fascisme et la tentation impériale des inhumains, je me convaincs. Pourtant. Une vie humaine égale une autre. Vite un Traité pour la paix bonne. Ramsès II et Hattusili III l’ont conclu en 1259 av. J.C.
Dans son roman, La Confrérie des Eveillés, Fayard, 2004, Jacques Attali, donne un rappel magistral de la tolérance, une saillie historique haletante. Le rigorisme religieux surtout islamique arrivé à Cordoue vers 1150 et sa rencontre des monothéismes de la judaïté et de la Chrétienté, coïncide avec la même altérité de tolérance et paix fraternelle entre les humains au Mandé. Fès est probablement ce topos mémoriel, le centre de diffusion de la paix soufi. Que de lumières, raffinements et justice/réparations rapportés par Ibn Battuta, le fils de Fès, lorsqu’il fît ce voyage au temps de Mansa Souleymane du Mali (1352) où la justice était le triomphe des peuples. Oui les Lumières encensent des lumières par l’affadissement continu des ténèbres (bellicismes de la foi monothéiste, capture par la force du territoire d’autrui et intolérance des différences). Déconstruire ces relations asymétriques de méfiance reste alors possible par le dialogue éclairé, la construction du consensus sur le respect des différences. En Afrique, l’arbre à palabres, instance démocratique, construit le consensus sans délibération. Il s’agit donc d’un processus continu d’échanges ouverts jusqu’à épuisement des conjectures, des polémiques et mimiques des perfides. Car voter, c’est parfois consacrer la querelle comme le réacteur de la vie socioéconomique et émotionnelle des citoyens. L’objet de la guerre, c’est la paix, disait Aristote. Au moyen du dialogue fraternel, c’est le meilleur raccourci. La guerre est un moyen politique par excellence. Nous le savons avec Von Clausewitz. Sa finalité est la liberté, la sécurité et le vivre-ensemble, au Sahel, en Palestine comme en Israël. Il faut donc aller directement à la paix conviviale par la tolérance des différences, l’inacceptabilité résolue de la prise de territoire par la force. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la colonisation des terres palestiniennes, l’exportation de la guerre des djihadistes, grands bandits qui pillent nos ressources naturelles, entretiennent l’économie confisquée du bétail, accentuent la crise du pastoralisme etc.
Cette guerre au Sahel sera contenue lorsque toutes ces richesses pillées leur seront retirées. Rendre la guerre plus coûteuse que les bénéfices soutirés par son maintien. Punir les méchants, dénoue le nexus guerre/gain. Mais la morale interdit la punition collective de Gaza. Le droit international humanitaire l’interdit. Des preuves abondent et confondent tous les crimes de guerre, d’où qu’ils viennent. La Nakba est le traumatisme des palestiniens. La Nukhba le sera-t-elle pour les élites israéliennes ? L’épée pour l’épée ? Absurde. Et le terrorisme est devenu adjectival. Hélas, l’indexer, parfois, dit le manichéen. La puissance seule du feu produit massacres, intimidations, le surcroît d’intimidations pour l’autodestruction déraisonnable, au Sahel comme en Israël
La morale précède la géopolitique qui, à son tour, a préséance sur l’utilisation aveugle de la puissance de feu militaire. L’on ne répare pas un crime de guerre par la commission vengeresse d’une injustice. Tel est le cas entre les Etat d’Israël et de Palestine. Vivre côte à côte a un sens : humanisme partagé. L’on ne restaure pas la mémoire traumatique de la Shoa par le massacre d’enfants palestiniens. Où la victoire ? Si toute guerre l’était par la victoire. Quel emmurement démentiel dans l’hubris et la némésis ! D’où l’impératif moral : l’inacceptabilité résolue de prendre par la force ce qui, légalement, appartient à autrui. L’invasion et l’occupation sont ces concréta maudits. Et la guerre sans téléologie de la paix, restitue l’absurde de la raison belliciste et haineuse.
Il reste oiseux de vouloir répondre à une sotte prétention par une hardiesse armée. Les vécus sociaux et des lieux propres de la raison et de la spiritualité sont les richesses des peuples respectables. Respectables dans leurs différences et modalités gouvernementales, le droit civil, leurs us et coutumes. Prenons garde de ces hégémonies hyperpuissantes. Capturer « le » gouvernement mondial ? Dangereux car dictatorial. Emmanuel Kant l’avait très bien perçu. Le droit cosmopolitique africain, en l’espèce afrocosmopolitique mandéen, droit des gens et l’éthique dans les relations internationales suffit pour construire la paix ouverte pour les citoyens, leur environnement civilisationnel de tolérance et d’unité de l’Humanité. Les particules pré 1948 ou post 1967 en Israël et en Palestine sont donc de cette caducité évènementielle si l’on consacre l’obsolescence de la morale comme ça l’est depuis ce terrible 7 octobre avec la ruine du partage d’humanité. La sacralité de la sécurité d’Israël reste un impératif. Le droit inextinguible de la Palestine à son Etat demeure un réquisit indépassable. La tolérance humaine vient de son élément moral, intentionnel : dialoguer sur nos différences quelles qu’elles soient et, aller à la paix fraternelle parce que l’Unicité de Dieu est incarnée, en chacun de nous, en chacune des différences qui participent de l’Uniquenness du Créateur. Au creux de cette célébration de l’Uniquenness par le droit cosmopolitique africain du Mandé par exemple, il y a le droit des gens, de la société, de l’environnement et de l’hospitalité. Il y a surtout l’exigence d’attester que la dignité humaine demeure une, indivisible et imprenable. Mandela l’a incarné, vie et éthique.
Le vécu et l’observance pérenne des singularités des peuples postulent et valident donc leur universalité intentionnelle. Du Tribunal d’Osiris au Code d’Hammourabi d’il y a 4000 ans à Babylon, de l’Ubuntu à La Déclaration d’Indépendance américaine de 1776, du Mandé Kalikan de 1236 à la Charte des Nations-Unies de 1948, à la volonté universelle des enfants du monde sur l’Accord de Paris de 2015 sur la Protection de l’Environnement et de la vie sur Terre, il n’y a que l’humanité en partage. L’humain est défini par ses traditions de droits, ses législations sur les droits de la guerre, l’humanitaire impératif, ses attentes, ses peurs, les devoirs et libertés et, les compréhensions plurielles de la tolérance, des exemptions et, bien sûr, la vie des préjugés qui discréditent les droits de la tolérance. Face à la haine de l’autre, les Humains sont comme sans échappatoire immunisée. Quelle désespérance, la guerre ! La morale du monde prescrit la bienveillance et l’amitié, induit l’éducation aux arts du vivre-ensemble dans l’humanité consciente d’elle-même comme promesse ultime de liberté, du vivre, de laisser vivre et d’aider à vivre.
George Orwell dans son livre devenu le bréviaire des menées scélératesses contre la liberté et la démocratie, 1984, définit la guerre comme la paix, la liberté, c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force. Qu’on ne s’y méprenne pas. Il s’agit bien d’une allégorie de la facticité des valeurs poursuivies au nom du bonheur volé aux peuples (supériorité militaire, soumettre, confisquer). Une transmutation qui parie sur l’obsolescence de la pensée critique, la pensée unique sclérosante, la transmutation affreuse des us et décences des hommes, bref, de ce que l’humain est déjà obsolète. Comme Günther Anders le thématisait en 1956 au seuil de la Troisième Révolution industrielle, dans l’Obsolescence de l’Homme, paru en 1956, en 2002 aux éditions de l’Encyclopédie. Lorsque l’espérance doute, quand l’aurore cosmique enroule l’émancipation humaine, les yeux de l’homme sont abîmés par la torpeur de l’horizon marin. Ce graal inaccessible ? Aurons-nous encore la force de la pensée ? Oui. Parce qu’il y a continuité entre normes sociales et normes cognitives pour le sage. Mais le chaos est systémique. Et la guerre, c’est le capharnaüm dans ce monde des asymétries multilatérales, géopolitiques et, hélas, sans gouvernail moral. Il est nécessaire que le retour à la raison, tonne.
L’Humanité est arrivée à son terminus, dirait Günter. Sa date de péremption semble consacrée par la Traite des noirs, les horreurs d’Auschwitz et ces matins d’effroi sans fin de Nagasaki et d’Hiroshima. D’où la perte irrémédiable de cette idée, de ce que les Romains, ces grands législateurs d’Empires, nommaient la « persona » ou « l’homme » porté par ses droits et libertés depuis les Révolutionnaires français de 1789. L’inculturation n’est donc pas la seule perversion qui est en cause. Puisqu’incultes mais intelligents nous sommes, l’espoir. Renaître si nous assumons gaiement notre finitude. Quelle grandiose redécouverte de soi, de notre joie inaugurale et devenir en commun !
Le réarmement moral de l’homme redécouvre l’humain. Face à la finitude de la science, comparée à l’horizon infini de bonheur espéré, il sied de nous redéfinir humains, très solidaires. Notre commune dignité a besoin d’être réincarnée. Le partage d’humanité fut au cours d’un matin calme, par Mario Soarès vs Samora Machel, Arafat vs Rabin, Mandela vs de Clerk, etc., La classe des grands hommes d’Etat est-elle déjà perdue ? Quel énoncé ! Le pouvoir au monde n’est pas seulement peuplé de cyniques, d’ignares et de violents. Espérance !