S’il y a un aspect qui dérange et embarrasse aujourd’hui les festivaliers qui s’apprêtent à embarquer sur Ouagadougou, c’est bien la question sécuritaire. En effet, ce mot est suspendu sur toutes les lèvres à quelques jours de l’ouverture du FESPACO 2023. Pour en savoir davantage sur cette question et rassurer les uns et les autres, nous avons rencontré le Délégué Général du Fespaco qui, au cours de notre entretien a été très convaincant et rassurant. Mais avant, nous avons abordé avec notre invité la place des enfants à cette 28è édition du FESPACO. Qu’est-ce qui sera fait concrètement au cours de cette édition pour le monde des enfants, Alex Moussa SAWADOGO revient sur tous ces points en détails : Retour donc à cette 28è édition pour évoquer la participation des enfants au FESPACO.
ArtistesBF : Pouvez-vous nous en dire davantage sur la participation des enfants au FESPACO. Est-ce une innovation ?
DG : Non ! Ce n’est pas nouveau. C’est une structuration de la section qu’on appelait à l’époque « Espace Junior ». Maintenant, nous l’appelons » Espace « Soukaabè ou espace enfants pour donner plus de contenus à cette section. Aujourd’hui, lorsqu’on se plaint des salles de ciné vides; ceux qui disent que la culture ou le cinéma ne nourrit pas son homme, c’est parce que nous n’avons pas encore réussi à un certain moment à éduquer ou préparer ceux qui devraient prendre la relève.
L’ Espace « Soukaabè » est juste un espace où les enfants verront des films calibrés à leur âge. Ce sera l’occasion pour ces enfants de pouvoir échanger avec des acteurs de cinéma et d’apprendre les B.a.-ba du cinéma. C’est par ce canal que nous pourrions contribuer à l’éducation cinématographique des enfants.
Voilà pourquoi en pensant justement à cette génération d‘hommes de cinéma, nous avons créé au sein du Fespaco le « YENNENGA ACADEMY » . Cette académie, ne sera pas le lieu pour venir porter des tee-shirts des partenaires et déambuler entre les stands du Fespaco. NON ! Il s’agit de pouvoir provoquer ou créer un déclic en eux. Vous savez que dans le cinéma, il n y’ a pas moins de 20 métiers.
Or aujourd’hui, on ne peut pas faire le cinéma et ignorer tous ces métiers. Le cinéma, ce n’est pas être seulement réalisateur ou producteur parce qu’on peut être les deux à la fois, être distributeur, programmateur et même faire du marketing.
Malheureusement, nos écoles n’ont pas encore ces outils utiles pour former les jeunes à ces métiers. Comment donc y arriver ? A mon avis, c’est par le canal du FESPACO, cette plateforme unique dans le monde qui offrira à tous ces jeunes sélectionnés de partout sur le continent africain la chance de rencontrer pour leur première fois (probablement dans leur vie), des personnalités comme Gaston KABORE, des personnalités comme Souleymane CISSE. Ils vont rencontrer des programmateurs comme moi-même parce que je viens de ce métier aussi. Ils vont rencontrer ceux qui sont chargés de faire le marketing, la distribution, le montage, l’éditing et tout ce que l’on fait dans le métier du cinéma.
Après le FESPACO, nous savons qu’il y aura un déclic quelque part et on laissera la liberté à ces enfants de pouvoir un jour choisir leur métier. C’est dans ce sens que nous travaillons justement avec des mentors, des hommes et des femmes qui connaissent vraiment l’industrie du cinéma; c’est-à-dire, ceux qui maîtrisent tous les mécanismes et le processus de la fabrication d’un film (de l’idée jusqu’à ce que le film soit à l’écran).
Ils seront pendant et après le FESPACO coachés par ces mentors et resteront permanemment en contact avec ces personnes. Vous voyez donc que le FESPACO au delà de voir son caractère beaucoup axé sur les adultes, sera un FESPACO également qui pense aux enfants. Comme j’aime bien le dire, les enfants d’aujourd’hui, ce sont nos concurrents de demain. On préfère avoir des concurrents forts pour pouvoir s’améliorer nous-mêmes.
Artbf : Pourquoi vous ne prévoyez pas des projections dans les écoles ?
DG : Oui dans la programmation, nous avons une dizaine de films qui ont été choisis par des professionnels. Programmer des films pour des enfants, ce n’est pas toujours évident parce qu’ il faut faire attention au contenu et à l’âge. Si des précautions ne sont pas prises, nous risquons de produire l’effet contraire. C’est pourquoi, il fallait vraiment voir dans les 1200 films que nous avons visionnés, arriver à sélectionner la dizaine de films.
A ce titre, nous avons eu 10 films, de très beaux films qui vont répondre à un certain âge comme c’est la cas du film » Le mouton de SARA », un très beau film sénégalais qui parle de la relation entre un gamin et son mouton pendant la fête de Tabaski. Vous pourrez déjà imaginer l’histoire… D’autres beaux films d’animation pour enfants sont bien prévus.
Mais comme vous le savez, le FESPACO ne peut pas tout faire seul. C’est pourquoi nous sommes en collaboration avec une association qui aimerait projeter des films au lycée Marien N’GOABI, à Kaya, dans des quartiers ou dans d’autres villes environnantes.
ArtBF : Quel message avez-vous à donner à tous ceux-là qui sont au-delà du Burkina et qui n’arrivent pas à se décider du fait de la question sécuritaire ?.
DG : Avant de répondre à votre question, nous sommes à près de 52 ou 53 ans de l’existence du FESPACO. Mais de mémoire, il n’y a jamais eu d’annulation d’une édition du Fespaco. Par contre, nous voyons à travers le monde des festivals mieux nantis que le nôtre avec plus de moyens que nous qui annulent leur festival. Malgré que nous ayons eu des soubresauts historiques pour ne pas dire politiques dans la marche radieuse pour le développement de notre pays, aucune édition du FESPACO n’a été annulée. A la limite, nous n’avons eu qu’un report, histoire de repositionner notre stratégie. Et avec brio, nous avons réussi à tenir le festival malgré le contexte de la double crise. Et nous en sommes fiers !
Avec cette 28ème édition, nous avons toujours à cœur la question sécuritaire. Pour organiser un évènement d’une telle envergure comme le FESPACO et dans un tel contexte revient à dire qu’il y a eu au préalable de grandes réflexions, des concertations, des brainstormings entre nous, notre ministère de tutelle et l’autorité supérieure. Et c’est tout de même un minimum que de penser à la sécurité de tous ces 6 000 festivaliers qui viendront du continent et hors du continent. C’est un minimum ! Si les autorités prennent la décision de tenir le pari, c’est qu’elles sont conscientes de la situation et qu’elles sont prêtes à mettre les bouchées doubles afin que nous réussissons l’édition.
Pour revenir à votre question, nous invitons le monde entier à faire le déplacement au Burkina. Cet appel va aussi à l’endroit des professionnels dont la première ambition est de pouvoir apprécier notre belle programmation. Mais au-delà de cette priorité des professionnels et à travers leur déplacement sur Ouagadougou, c’est une forme de soutien au peuple burkinabè dans sa lutte contre le terrorisme et dans sa quête pour la paix. Le FESPACO 2023, c’est aussi de montrer au monde entier qu’on ne pourrait jamais venir à bout de ces difficultés sans une véritable solidarité.
Organiser le FESPACO dans le contexte actuel, c’est faire en sorte que les producteurs, les créateurs, les réalisateurs et tous les hommes de culture qui seront présents au festival puissent se parler d’une même voix, échanger sur un territoire qui souffre et qui a besoin de soutien.
En retour, nous leur témoignerons de notre hospitalité. Et nos autorités leur seront reconnaissantes pour leur soutien et pourront leur dire MERCI.
Par leur présence, les festivaliers encore une fois, auront prouvé au monde entier que le Burkina Faso n’est pas le pays où on sait prendre facilement son crayon et colorier un pays tout en rouge. Le Burkina Faso est mieux que ça ! Il regorge de femmes et d’hommes intelligents, capables de surmonter les défis.
Enfin, c’est de montrer au monde que c’est ensemble que nous gagnerons la guerre contre l’ennemi.
ArtistesBF