«Le cinéma burkinabè est un cinéma qui évolue, qui grandit, mais qui a besoin de producteurs qui le financent, de distributeurs, de diffuseurs et d’un public qui va dans les salles de cinéma. Il faut des écoles de formation, (…), des infrastructures pour aller vers une qualité et un professionnalisme qui fait du cinéma burkinabè et aussi africain, un cinéma vendable et compétitif», c’est le regard que porte le réalisateur burkinabè vivant en Autriche, Kibidoué Eric Bayala, sur le cinéma burkinabè et africain. Il a indiqué, dans un entretien exclusif accordé à Wakat Séra, nourrir de grandes ambitions pour la promotion de ce cinéma à travers des projets. Il présente, par ailleurs, deux de ces films au Marché International du cinéma africain (MICA) du FESPACO, lui qui est à sa deuxième participation à la biennale du cinéma panafricain.
Wakat Séra: Dites à nos lecteurs qui est Eric Bayala?
Je suis Kibidoué Eric Bayala, je suis Burkinabè, universitaire résident en Autriche. Je suis par ailleurs cinéaste, réalisateur, producteur, scénariste et écrivain. Je réside en Autriche depuis 2002 et je travaille à l’École Supérieure des Sciences de la Santé du Tyrol en tant que chef de projet et je dirige un projet de recherche sur la diaspora burkinabè à l’Université d’Innsbruck.
Vous avez deux films à faire passer à ce FESPACO 2021, parlez-nous de ces productions
Les deux films qui seront présentés les 18 et 19 octobre 2021 au FESPACO n’ont pas été envoyés en compétition officielle. Ce sont des films en panorama au Marché International du cinéma africain (MICA, ndlr), là où il y a des acheteurs, des diffuseurs et des distributeurs de films. Moi, j’ai produit beaucoup de films et j’aimerais faire connaître et distribuer mes films en Afrique et partout dans le monde. Ces films sont connus dans les festivals en Europe et qui sont utilisés comme matériaux didactiques et pédagogiques dans des universités et écoles en Autriche.
Le film Les Résonnances de l’âme passe le lundi 18 octobre, de 10h à 12h, au Chapiteau Etalon, au siège du FESPACO. La première sortie de ce film a eu lieu en 2017. C’est un film qu’on a mis trois ans à produire. Ce film parle de la rencontre des cultures et met en exergue la vie de musiciennes et musiciens étrangers vivant dans la région du Tyrol en Autriche. A travers ce film, j’ai voulu montrer que la musique est un langage universel, qui permet d’aller au-delà de sa culture, d’aller à la rencontre de l’autre. Nous avons fait le portrait de musiciens de divers pays réunis, des Sénégalais, des Péruviens, des Argentins, Cubains, Autrichiens, Espagnoles, Italiens, Allemands, des Serbes, des Croates, des Turques.
Le film documentaire, Les Résonnances de l’âme, met en exergue la diversité musicale du Tyrol et les caractéristiques esthétiques de la musique multiculturelle. Il met en relief le message politique des musicien(ne)s et leur invitation à franchir les barrières culturelles et à construire des ponts avec la musique. Moi, je défends et je souhaite vivre dans un milieu où la diversité culturelle prévaut dans un élan de fécondité culturelle.
Dans ce film, j’ai abordé l’élan multiculturel dans le sens de la communication des cultures et de la culture des communications de différentes communautés étrangères installées au Tyrol. Nous avons vu que beaucoup de musiciens étaient partis au-delà de leur vision culturelle, ils sont allés vers ce qu’on appelle les Musiques du monde. C’est tout ce que le film met en évidence et je suis content de le présenter au FESPACO.
Et le deuxième film?
Le second film, Les Tourneurs du Temps qui est fini en 2020 et qu’on a fait sortir en juin 2021, à cause de la pandémie, passe le mardi 19 octobre 2021 au siège du FESPACO (la projection a été reportée). Ce film met en évidence la rencontre de l’artiste autrichien autochtone avec l’autre, l’étranger et comment cette rencontre se traduit dans les œuvres. Ils confrontent les artistes locaux avec les questions brûlantes de notre époque: les frontières, la migration et la question de savoir comment les échanges avec les migrants se déroulent. L’art n’est pas seulement perçu comme une possibilité de rendre cette confrontation visible et tangible, mais une option pour vivre son altérité et aller vers une compréhension et une acceptation de l’autre. C’est ce travail de recherche scientifique que nous avons fait et traduit en film documentaire.
Pourquoi ce titre?
Dans tous mes films, j’essaie de quitter le monde de l’explication pour aller vers celui de l’implication, raison pour laquelle mes films portent des titres qui attirent. Le titre Les Tourneurs du Temps est partie d’une remarque: pendant la crise des réfugiés de 2014-2016, on a vu de millions de personnes qui se sont mises sur la route des Balkans, qui sont passées par l’Europe de l’Est, qui ont traversé l’Autriche pour aller en Allemagne. En ce moment, les gouvernements n’étaient pas prêts à recevoir ces réfugiés qui venaient. Moi je me suis dit, l’hospitalité publique que l’Etat incarne dans ces pays de l’Union européenne avait failli. C’est l’hospitalité privée à travers des associations, qui avait fonctionné à ses débuts. Ce sont des personnes privées qui avaient ouvert leurs portes aux réfugiés, leur donnaient à manger, des habits, les aider à se soigner.
Cela m’a beaucoup marqué, et j’étais en ce moment conseiller au Centre des migrants du Tyrol et je faisais des recherches sur la diaspora et les migrants. J’ai voulu voir est ce que les artistes autrichiens nationaux avaient participé à cet effort d’hospitalité privée, et si oui, combien d’entre eux avaient traduit cette rencontre dans leur art. Donc, c’est ainsi que nous avons eu des sculpteurs, des dramaturges, des écrivains, des cabarettistes, des managers de centres culturels, des musiciens qui ont traduit dans leurs œuvres cette rencontre avec l’autre dans le sens de l’altérité. Ce film est un film expérimental, on a fait quelque chose qui est rarement fait dans les films documentaires, car nous avons fait la bande son du film en live et filmer le jeu des musicien(ne)s que nous avons monté dans le film.
Vous disiez que ces films seront présentés dans d’autres festivals, parlez-nous en davantage!
A partir du 22 octobre 2021, les deux films Les Tourneurs du Temps et Les Résonnances de l’âme seront projetés au Festival international du film panafricain de Cannes. Il s’agit d’un festival très professionnel qui en est à sa 18e édition si ma mémoire est bonne.
Le film Les Résonances de l’âme est en compétition pour le prix du meilleur film documentaire, et nous espérons le gagner. Il sera projeté le 22 octobre et Les Tourneurs du Temps le 23 octobre à Cannes en France.
Du 25 octobre au 31 octobre 2021 je serai à Paris au Festival ‘’l’Afrique fait son cinéma à Paris’’, le film documentaire Les Résonances de l’âme y sera projeté. Après ce festival, en novembre et décembre, ces films seront présentés en Allemagne, en Autriche.
Dans la réalisation de vos projets, qui sont vos partenaires, y a-t-il des compatriotes Burkinabè?
Dans ma région en Autriche, il y a malheureusement peu de Burkinabè que je peux associer à mes projets cinématographiques, ça demande un certain niveau de professionnalisme. Je suis avec une association qu’on appelle Sahel Tyrol, c’est avec elle que je mobilise les fonds pour produire mes films depuis 2008. J’ai fait cinq films documentaires au nom de mon association. Mes films sont d’abord des projets de recherches universitaires que je traduis en films documentaires.
Au-delà de la présentation de vos films dans les festivals, vous disiez nourrir d’autres ambitions avec ceux-ci. De quoi s’agit-il?
Cela concerne le film Les Résonnances de l’âme, nous avons voulu traduire ce film en un projet film documentaire dont le titre de travail est une chanson pour l’âme, pour créer une sorte d’hymne pour la migration et voir comment les cultures communiquent entre elles et quel type de message les musiciens peuvent envoyer au monde entier pour que nous créions un monde de paix grâce à la musique qui parle à tous les cœurs. Il s’agit de voir comment aller vers une harmonisation des cultures, plus qu’une intégration ou une assimilation de l’étranger dans son pays d’accueil.
Vous qui êtes un fin connaisseur du domaine, quel regard portez-vous sur le cinéma africain et burkinabè de façon spécifique?
Merci pour cette question, je pense que le cinéma burkinabè est un cinéma qui évolue, qui grandit, mais qui a besoin de producteurs qui le financent, de distributeurs, de diffuseurs et d’un public qui va dans les salles de cinéma, qui nous restent. Il faut des écoles de formation, des structures et des infrastructures pour aller vers une qualité et un professionnalisme qui font du cinéma burkinabè et aussi africain, un cinéma vendable et compétitif.
Mais actuellement avec l’arrivée du numérique, sur le plan des infrastructures, cela semble plus facile de faire produire des films. Mais c’est encore plus compliqué de faire du cinéma professionnel avec une bonne qualité visuelle, sonore avec de la bonne lumière. Parce que les gens pensent que faire un film, c’est seulement capter des images, il faut savoir ce qu’on veut raconter et à qui on veut raconter et pourquoi. Aussi, à la fin, à qui vendre son produit. Il est donc urgent de former plus de jeunes théoriquement et techniquement et leur permettre de montrer ce qu’ils ont appris. Aussi, il est nécessaire d’aller vers un professionnalisme qui met en exergue chaque métier du septième art, car il est difficile pour un réalisateur, d’être le producteur et le diffuseur de sa propre œuvre. Cela ne permet pas une création saine et professionnelle.
Le cinéma africain change et peu à peu on a de belles œuvres consommables, qui nous parlent et parlent de nous. Ces œuvres sont consommables à toutes les échelles de la société et il faut aller dans ce sens. Les privés, l’État et les partenaires extérieurs peuvent booster le 7e art et aller vers son industrialisation.
Avez-vous des projets pour la promotion du cinéma au Burkina Faso?
Bien évidemment! Vous savez, c’est un plaisir de voir qu’il y a beaucoup de jeunes qui sont dans le cinéma, il y a beaucoup d’acteurs, c’est professionnalisé. Ça c’est une bonne chose. Mais il y a malheureusement peu de distributeurs et peu de producteurs nationaux qui financent les locaux. Les films sont faits, mais on n’arrive pas à les distribuer. C’est pour cette raison que moi j’ai créé avec des amis Burkinabè à Bobo-Dioulasso, ‘’Les Rencontres cinématographiques de Sya’’ (RECIS).
Nous souhaiterons en novembre 2022, mettre l’accent sur les productions nationales. Les films burkinabè qui sont réalisés et qui ne sont pas vus, nous voulons leur donner plus de visibilité sur le plan national et au-delà. Aussi, il y a des films que la diaspora burkinabè réalise, nous souhaiterons les montrer également. Il y a aussi les films produits dans les régions du Sahel. Nous souhaiterons montrer au RECIS et enfin des clips vidéo qui ont des caractères cinématographiques. Je souhaite être dans le dynamisme culturel de mon temps en étant acteur culturel et particulièrement dans l’audiovisuel.
Il y a en plus le concept ‘’Bobo ville cinéma’’. Dans cette ville, il existe des centres culturels et nous souhaiterons monter des écrans dans ces espaces pour projeter des films professionnels, pour que les Burkinabè aient accès au cinéma.
Entretien réalisé par Siaka CISSE (Stagiaire)