Le couvre-feu instauré le 21 mars 2020, d’abord de 19h à 5h du matin puis assoupli, passant de 21h à 4h du matin, a été officiellement levé le mercredi 3 juin. Sa mort a été fêtée comme un soir de victoire des Etalons, l’équipe nationale de football du Burkina, et un enterrement de première classe lui a été réservée dans les maquis, bars et discothèques. Cette nuit du mercredi, jour ouvrable et veille de jour ouvrable, avait des airs de week-end ou de jour férié. Pour la mise en bière de l’une des dernières mesures prises par l’Etat pour freiner la propagation du Covid-19 au Burkina, la bière a coulé à flot sur des morceaux de ces délicieux poulets «bicyclettes» et «télévisés», incontournables dans les virées ouagalaises. A Ouagadougou comme à Bobo-Dioulasso, les retrouvailles entre «gens de la nuit» ont été très chaudes, comme pour prouver combien cette ambiance nocturne manquait aux Burkinabè. Les motocyclettes vrombissaient, se mêlant aux klaxons des voitures, le tout dominant difficilement la musique distillée à tue-tête par des DJ dont les doigts engourdis par un trimestre d’inactivité ont retrouvé toute leur dextérité. Mais les plus heureux dans cette «belle nuit retrouvée», ce sont certainement les propriétaires et gérants de ces endroits qui ne savaient plus à quel saint se vouer, l’arrêt de leurs activités les ayant plongés, eux et leurs employés dans des difficultés financières sans commune mesure.
S’il faut saluer le retour des bonnes affaires pour les sociétés de distribution de boissons, les fournisseurs de poulet ou de viande pour la grillade, les patrons des «chambres de passe» pudiquement appelées auberges ou hôtels, il ne faut pas moins s’inquiéter pour un possible rebond du Covid-19. Dans la nuit noire où tous les chats sont gris et tous les excès permis, le virus à couronne peut trouver un terrain bien favorable pour se propager. Surtout que le respect des gestes barrières est, visiblement, le dernier des soucis de bien des noctambules, notamment des disciples de Bacchus qui ne se soucient que d’éteindre le feu, pas celui du couvre-feu, mais celui de leur gosier, asséché par tant de jours de diète.
Que dire des grands débats entre amis autour de tables où le mètre de sécurité requis entre deux personnes n’était pas des plus simples à respecter? Et ces couples qui se forment spontanément et dont les envies ne se calment qu’entre quatre murs? Les risques de multiplication des cas sont bien là et il importe plus que jamais d’attirer l’attention de chacun et de tous sur les consignes sanitaires, pour se protéger et protéger les autres. Si déjà dans la journée, l’incivisme notoire de certains ayant pris le dessus, ces mesures barrières sont constamment foulées au pied, ce n’est pas la nuit qu’elles seront prises en compte. Car il faut le reconnaître, aligner les rasades et aller au corps à corps, sont peu compatibles avec les gestes barrières. Et quand les effets de l’alcool s’en mêlent, bonjour les dégât!
Certes l’économie de nuit est aussi importante que celle de jour, mais la santé est au-dessus de tout. Ce n’est que par la discipline individuelle qu’on pourra assurer le respect des gestes barrières pour ne pas avoir à regretter la chute en cascade et sous la pression, des mesures qui ont peut-être sevré les populations de leurs revenus, mais ont sans doute contribué à freiner la propagation du virus. D’ailleurs, ne sommes-nous pas, selon les spécialistes de la chose, condamnés à vivre avec le Covid-19, sous sa forme actuelle ou autre? Sortons utile, lavons-nous les mains et faisons surtout du masque, notre compagnon le plus fidèle. En attendant, le couvre-feu repose déjà en paix!
Par Wakat Séra