Le Général Djibrill Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères de l’ancien président burkinabè Blaise Compaoré évoque, entres autres, dans cet entretien accordé à nos confrères de France 24, diverses questions sur les coups d’Etat, le terrorisme, le dialogue avec les terroristes «nationaux», l’Accord d’Alger, l’échec de la France au Sahel, la situation au Mali et au Burkina et bien entendu, sa condamnation dans le procès du putsch manqué de septembre 2015 au Burkina Faso. Compte tenu de nouvelles lois et du contexte national, dans notre retranscription, nous avons amputé le texte de certaines phrases, et à ce titre, présentons nos excuses aux protagonistes de l’interview et aux lecteurs.
France 24: On va évidemment parler de votre situation au Burkina Faso, mais d’abord commençons par ce que le président Emmanuel Macron a récemment décrit comme l’épidémie de coups d’Etat en Afrique de l’Ouest. Il le dit, deux au Burkina Faso, deux au Mali, un en Guinée et désormais un au Niger. Comment est-ce que vous analysez cela?
Djibrill Bassolé: Oui, c’est vrai, il y a une avalanche de coups d’Etat qui se suivent mais qui ne se ressemblent pas et les contextes des coups ne sont pas tout à fait les mêmes. Si on peut considérer qu’au Mali et au Burkina Faso, par exemple, l’insécurité djihadiste due aux attaques terroristes est à l’origine de cette instabilité institutionnelle, ce n’est pas du tout le cas par exemple en Guinée ou au Gabon tout récemment. Je pense qu’il y a une précarité institutionnelle à l’origine. Je ne sais pas si les coups d’Etat sont les causes ou les conséquences, il y a une instabilité et une précarité institutionnelle (ce) qui va avoir beaucoup de conséquences pour les pays du Sahel en particulier.
Parlons des conséquences, parlons de la situation sécuritaire, vous l’évoquiez au Mali, au Burkina Faso. Je voudrais commencer par le Mali, qu’est-ce qui est en train de se passer au Mali? C’est vrai qu’on parle beaucoup de coup d’Etat, mais sur le terrain, les choses semblent quand même se tendre et certains évoquent même le spectre d’une nouvelle guerre civile.
Oui c’est à craindre. Malheureusement, récemment, la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, NDLR) a été priée de s’en aller. Et la MINUSMA, en partant, a donné cette impression que quelque chose dans la mise en œuvre de l’accord d’Alger était arrêté. Les mouvements armés ont exprimé leur inquiétude au départ de cette Force impartiale. Evidemment, aujourd’hui, les hostilités sont manifestes. Le gouvernement du Mali a appelé les responsables de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad, NDLR) au dialogue, ce que j’apprécie hautement, mais avec les incidents qui se multiplient sur le terrain, il faut craindre que la CMA ne devienne un nouveau front. Les positions de tous ceux qui avaient adhéré à l’accord d’Alger évoluent et se transforment aujourd’hui en des positions de belligérance. Ce qui va compliquer le tableau énormément.
L’Accord d’Alger est mort…
L’Accord d’Alger a du plomb dans l’ail à ce stade. Comme je l’ai dit tantôt, la présence de la MINUSMA était le meilleur gage de la mise en œuvre de cet accord. Sans la présence de la MINUSMA tout est à refaire en quelque sorte. Et en plus s’il y a des affrontements qui se précisent et se multiplient sur le terrain, évidemment, en ce moment, on pourra considérer que l’accord d’Alger est définitivement enterré.
Au Niger, on entend la CEDEAO, qui a déjà sanctionné la junte au pouvoir. Elle affirme qu’elle refuse toute transition et elle menace même d’une intervention armée. Est-ce que vous y croyez, à cette intervention armée, et est-ce la bonne solution?
Comme on dit chez nous les gendarmes, il vaut mieux montrer la force pour ne pas avoir à s’en servir. Ce serait dommage d’en arriver à cette solution extrême d’usage de la force pour rétablir l’ordre constitutionnel. Moi je crois que la médiation devrait être beaucoup plus dynamique et plus efficace pour proposer aux chefs d’Etat des solutions de sortie de crise qui les soulageraient de l’usage de la force. Un engagement militaire, même, si c’est une opération spéciale, peut avoir des conséquences et des dégâts collatéraux assez considérables. Surtout si en plus de cela, la France se mêle au débat, ça créerait une situation extrêmement compliquée à gérer. Donc si on peut l’éviter, ça serait vraiment l’idéal. Maintenant, il faut qu’en retour la médiation soit beaucoup plus présente, qu’elle prenne des initiatives et fasse des propositions de solutions.
Alors vous avez parlé de la France, la France a été chassée du Mali, du Burkina Faso, elle est en train de l’être au Niger. On a du mal à décrire cela autrement que par un échec, même si le président Macron s’en défend, la France a tendance à accuser la Russie de jouer un rôle néfaste, mais quand même est ce que la France ne devrait pas se regarder un petit peu dans le miroir?
Je pense que la page de la relation traditionnelle de confiance entre la France et les pays africains est tournée, il faut en tirer les conséquences. Dans le cas spécifique du Sahel et du Niger, je pense que la France devrait militairement se retirer pour ne pas être elle-même à l’origine de nouvelles difficultés. Évidemment elle a été présente à la demande des pays du Sahel, en particulier le Mali pour ce qui concerne le cas de Serval, mais la mission a été bien exécutée. Aujourd’hui, il y a une rupture de confiance, je ne sais pas à qui la responsabilité, mais à partir du moment où la coopération militaire devient difficile, où il n’y a pas de sérénité dans cette coopération en vue de lutter efficacement contre les terroristes, la France gagnerait effectivement à se retirer pour envisager une forme de coopération beaucoup plus adaptée aux réalités.
Beaucoup considèrent que la France a échoué face aux groupes djihadistes qui ont conquis beaucoup plus de territoires au Mali et au Burkina Faso. La France avait refusé tout dialogue avec les groupes djihadistes, avec des chefs comme Amadou Koufa, ou Iyad Ag Ghali, est-ce que c’était une erreur, est-ce que vous considérez qu’il faut discuter avec des gens même si ce sont, aux yeux de beaucoup, des terroristes?
Oui, ça je crois que le dialogue était nécessaire et l’est toujours, à mon avis.
Avec Iyad Ag Ghali, Amadou Koufa?
Avec les nationaux.
Mais là on parle des nationaux.
Je fais la différence entre les nationaux qui se sont radicalisés, qui ont versé dans les opérations djihadistes d’avec ceux qui peuvent venir de l’extérieur avec d’autres agendas. Avec les nationaux, il faut une forme de dialogue. Aujourd’hui, la guerre a montré ses limites. La guerre est en train de s’enliser dans la plupart de nos États, en particulier au Burkina Faso, avec des conséquences vraiment fâcheuses, néfastes pour les populations. De plus en plus, les djihadistes sont des nationaux, je veux parler des exécutants de base, les combattants, ce sont des nationaux, qui pour des tas de raisons, sont recrutés par les groupes djihadistes et dressés contre leurs propres États. Il nous faut faire une évaluation, il nous faut établir le dialogue. Même les armées les plus puissantes au monde trouvent le moyen quand il faut pour dialoguer.
Donc la France a fait fausse route?
Oui absolument. Là, je suis convaincu de cela.
Alors je vais en venir au Burkina Faso, la situation sécuritaire, il y a des exactions contre les populations commises par les groupes djihadistes mais aussi par les forces de sécurité. Comment vous analysez la situation? Certains estiment qu’elle empire de jour en jour malgré la volonté du nouveau dirigeant de montrer qu’il peut faire mieux sans les Français qu’avec.
(…) Le tout militaire tarde à donner des résultats tangibles. La preuve est que, une dizaine d’années après, il n’y a pas de solutions de sortie de crise, il n’y a pas de formules pour aller vers une paix durable. Donc il est nécessaire de changer de stratégie, d’envisager la possibilité de rechercher les solutions de paix par le dialogue. Et ça j’en suis convaincu. Les conséquences sont terribles pour nos populations. (…) Si on ne prend pas le taureau par les cornes maintenant avec une évaluation beaucoup plus sérieuse, beaucoup plus rigoureuse, on risque d’aller vraiment à un chaos presqu’irréversible.
Le capitaine Traoré, lorsqu’il est arrivé il y a un an, vous aviez échangé avec lui, il ne vous a pas écouté?
Il a sa stratégie, il a son option. J’ai souhaité évidemment qu’avec la bonne volonté qui l’animait, il puisse réussir, mais aujourd’hui, force est de constater que les choix ne sont pas les bons, le phénomène ne fait que s’empirer. Aujourd’hui, nous avons l’obligation de protéger nos militaires.
Il compte sur Moscou visiblement!
Moscou malheureusement ne pourra pas changer la donne. Rien qu’à voir ce qui se passe, l’actualité récente où Progojine a retourné les armes contre son maître. Il y a une situation qui fait que je ne crois pas que les forces Wagner et autres puissent nous être d’une grande utilité. Il nous faut trouver les solutions par nous-mêmes, la situation est vraiment préoccupante. Et si on ne trouve pas entre nous-mêmes des solutions endogènes pour répondre à la montée du djihadisme, on risque effectivement de connaître un effondrement total de l’État.
Vous avez fait appel de votre condamnation, où en est-on? Est-ce que vous allez rentrer au Burkina Faso? Les autorités affirment que vous devez le faire et que vous vous soustrayez à vos obligations.
Alors pas du tout. En fait c’est une cabale judiciaire dont je ne suis pas fier de parler tellement les choses sont tirées par les cheveux. Mais comme vous le dites si bien, la décision a été frappée d’appel. Moi je souhaite simplement que pour le jugement définitif, on ait enfin un tribunal totalement indépendant du pouvoir qui dise le droit. Ce dont on me reproche c’est quoi? C’est d’avoir trahi, et la trahison c’est basé sur quoi? Un prétendu enregistrement d’une conversation que j’aurais eu avec Soro (Guillaume Soro, l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, NDLR). C’est assez mince quand même comme charge et je suis persuadé que si on a un tribunal véritablement indépendant, je serai acquitté.
Mais pour le moment, ces conditions ne sont pas réunies vous n’allez pas rentrer au Burkina Faso?
Ces conditions ne sont pas réunies, je préfère me rendre utile à mon pays autrement par d’autres canaux et m’organiser pour me rendre utile au Sahel tout entier.
France 24