Avait-on encore besoin de ce rapport d’information parlementaire de 175 pages présenté ce mercredi à l’Assemblée nationale française pour savoir que la friture s’épaissit de plus en plus sur la ligne France-Afrique? Non. Il faut saluer le travail des deux auteurs du document et apprécier à leur juste valeur les pistes proposées par les élus du Modem et de LR, pour redonner des couleurs aux relations entre la France et l’Afrique. Mais, c’est tout de même difficile de ne pas reconnaître que Bruno Fuchs et Michèle Tabarot, ont enfoncé une porte déjà largement ouverte. Depuis quelques décennies, les signaux étaient passés à l’orange, voire au rouge, entre Paris et nombre de pays africains dont les jeunesses n’appréciaient plus le paternalisme grossier affiché par des dirigeants français dans leurs propos et comportements sur le continent noir.
En 1990 déjà, alors que le président français, le socialiste François Mitterrand avait réuni, à La Baule, les chefs d’Etat africains pour leur prêcher l’évangile du multipartisme, condition pour continuer à bénéficier de l’aide de son pays, Jacques Chirac, leader de l’opposition à l’époque, n’avait pas manqué de répliquer que l’Afrique n’était pas mûre pour la démocratie. En 2007, Nicolas Sarkozy qui a débarqué à Dakar, au pays des descendants des tirailleurs sénégalais, ne s’est pas embarrassé des circonvolutions diplomatiques de mise en ces circonstances, pour lâcher que «le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’histoire (…)».
En octobre 2012, lors du XIVe sommet de la Francophonie, François Hollande, avait bien snobé, à plusieurs reprises et en public, son homologue et hôte, Joseph Kabila. Suite à sa première élection et pour sa première visite en Afrique, qu’il voulait symbolique en portant le choix sur le pays de Thomas Sankara, Emmanuel Macron, sous forme de badineries, n’a-t-il pas humilié son hôte de l’époque, le président Roch Marc Christian Kaboré, devant 800 étudiants burkinabè réunis à l’Université de Ouagadougou?
Anecdote. Répondant à la question d’une étudiante sur les problèmes d’entretien des amphithéâtres, le président français y est allé de son direct franc légendaire: «Vous me parlez comme si j’étais une puissance coloniale! Mais moi je ne veux pas m’occuper de l’électricité dans les universités au Burkina Faso. C’est le travail du président!» Alors, que le président burkinabè après avoir rigolé, s’est éclipsé, un instant, peut-être pour satisfaire un besoin naturel, Emmanuel Macron enfonce le clou: «Du coup, il s’en va! Reste là! (…) Du coup il est parti réparer la climatisation!». En décembre 2019, c’est le même Macron qui d’un ton martial, a invité, certains ont dit «convoqué», les présidents des cinq pays du G5 Sahel à se rendre à Pau en France, pour des «clarifications», en ce qui concerne la présence militaire française au Sahel.
Ce ne sont, évidemment, que quelques frasques de présidents français qui n’ont pas pu se débarrasser du vocabulaire et des attitudes dignes de l’époque coloniale, pourtant révolue. Même si, «nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes» car les dirigeants africains étaient les mieux doués dans l’art des compromissions en faisant la manche pour, disent-ils, développer leurs pays, il faut reconnaître que les temps ont changé. Aujourd’hui, on parle de «changement de paradigme»!
Difficile d’occulter ces débats passionnés sur le franc CFA et le sentiment anti-français qui ont été malheureusement glissés dans les débats par des esprits malins et ont vicié et détérioré davantage les relations entre la France et l’Afrique, notamment dans les anciennes colonies africaines de Paris. Mais, c’est connu que peu de gens qui évoquent le sujet du CFA et prônent sa disparition, connaissent peu ou prou, sur les mécanismes qui entourent une monnaie. C’est également prouvé que des dirigeants africains surfent sur le fameux sentiment anti-français et brandissent une souveraineté éculée, d’ailleurs en contradiction avec leurs actes de tous les jours, pour se faire de la publicité à peu de frais et cacher leur incapacité à gérer les affaires du pays. Surtout que ce qui dérange en réalité en Afrique, n’a rien à voir avec la présence des ressortissants français qui se révèlent même, pour certains, meilleurs défenseurs de la cause africaine que l’Africain lui-même. Pour parler trivialement, mais avec un fond de vérité certain, ce sont des blancs de peau, mais des noirs dans l’âme!
En tout cas, les élus français, auteurs du rapport parlementaire sur les relations entre la France et l’Afrique ont le mérite d’avoir énuméré des pistes de solution, qui, si elles sont empruntées, devraient bien dégager le ciel franco-africain et relancer un partenariat qui sera amputé de vexations de part et d’autre et empreint de respect mutuel.
On pourra alors crier «à bas la Françafrique» et «vive la France et l’Afrique». En tenant compte, désormais, du fait que le continent noir est composé de plusieurs pays, et que la France et n’importe quel autre partenaire, doivent considérer comme des entités à part entière, qui vivent, chacune, ses spécificités linguistiques, culturelles, économiques, sociales, politiques, etc.
Par Wakat Séra