Ce mercredi 30 août, alors que les résultats officiels des élections générales indiqueraient la victoire d’Ali Bongo avec 64,27% des suffrages dans un contexte très tendu avec entre autres la coupure d’internet et l’interdiction d’observation des élections, un groupe de militaires a annoncé à la télévision l’annulation du scrutin et la dissolution des institutions, plongeant le Gabon dans la confusion générale.
Le président du Gabon Ali Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 14 ans en quête d’un troisième mandat, avait en face de lui une dizaine de candidats dont son principal rival Albert Ondo Ossa, qui n’aurait recueilli que 30,77 % des voix selon les résultats proclamés par le président du Centre gabonais des élections (CGE), Michel Stéphane Bonda, à l’antenne de la télévision public Gabon 1ère.
Ondo Ossa avait dénoncé des « fraudes orchestrées par le camp Bongo » deux heures avant la clôture du scrutin samedi.Il revendiquait alors déjà sa victoire et exhortait le président sortant à « organiser, sans effusion de sang, la passation du pouvoir ».
Puis, ce mercredi 30 août, des soldats de l’armée régulière et des policiers ont annoncé, dans un communiqué lu sur la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein de la Présidence, l’annulation des élections, la dissolution de « toutes les institutions de la République » et la « fin du régime Bongo. Ce chamboulement inattendu s’est produit dans un contexte où le gouvernement avait coupé tout accès à internet et instauré un couvre-feu depuis le 26 août, jour des élections, pour “lutter contre la propagation d’informations trompeuses et incendiaires”, interdisant au passage aux journalistes et aux observateurs d’assister au vote.
En avril dernier, le Sénat gabonais changeait la Constitution pour réduire la durée du mandat de 7 ans à 5 ans et le scrutin de deux à un seul tour.
Le long règne de la famille Bongo, qui a duré 56 ans, laisse un profond sentiment de frustration chez de nombreux Gabonais. Cette frustration s’explique par un ensemble de facteurs notamment une situation socio-économique précaire, une mauvaise gouvernance et une distribution inéquitable des ressources du pays. Rappelons que Ali Bongo qui a fait 14 ans de règne est arrivé au pouvoir par des élections après le décès de son père Omar Bongo qui était resté au pouvoir pendant 42 ans (1967-2009).
Tout en étant profondément préoccupé par la situation qui prévaut au Gabon, AfricTivistes tient à dénoncer d’abord les conditions dans lesquelles ces élections présidentielles ont été tenues.
En effet, le 26 août, les élections présidentielles se sont déroulées en l’absence des observateurs internationaux, africains comme européens et des médias étrangers qui se sont vu refuser des accréditations ou l’entrée dans le pays. Cette regrettable décision a notamment eu pour conséquence d’alimenter les accusations de fraudes brandies par l’opposition et une partie de la société civile. D’ailleurs, certains médias internationaux ont décrié ces interdictions.
À ce lot d’irrégularités, s’ajoutent des retards au démarrage des votes liés notamment à l’absence d’agents électoraux et l’absence de matériel dans les bureaux de vote. Par la suite, les résultats officiels ont été traités en plein milieu de la nuit sur fond de couvre-feu et de coupure d’Internet créant ainsi un atmosphère propice à un « putsch électoral » dans un pays où les postes clés de l’Etat sont contrôlés par des sympathisants ou membres de la famille Bongo. Ces résultats ont été déclarés à la télévision publique sans qu’aucune annonce de l’événement n’ait été faite préalablement.
AfricTivistes trouve inacceptables de telles pratiques qui, en plus d’être anti-démocratiques, soulèvent également la suspicion et jettent le discrédit sur le fonctionnement de l’appareil électoral.
En écho aux nombreuses voix qui se sont alors élevées pour dénoncer ces mesures restrictives, AfricTivistes regrette et s’indigne à son tour de ces mesures qui fragilisent les principes de transparence en violation de l’article 17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. De plus, ces pratiques soustraient au peuple l’accès à des sources fiables et plurielles d’informations, et elles leur privent également de leur liberté individuelle d’aller et venir, d’autre part. Faut-il encore rappeler que la coupure d’internet et les formes de restrictions en ligne constituent une violation de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et de l’accès à l’information ? Les gouvernements africains doivent s’abstenir de couper internet par respect aux droits fondamentaux.
Le Gabon est un habitué des faits. En 2016 déjà, l’annonce des résultats de la présidentielle avait provoqué une crise post-électorale sans précédent. Avec un jour de retard sur la date annoncée, la Commission électorale annonçait la victoire d’Ali Bongo, justifiant celle-ci par une avance de 5 000 voix. Mais en y regardant de plus près, les résultats dans le Haut-Ogooué avait fait dire à l’opposant Jean Ping qu’il s’était vu voler sa victoire. Le gouvernement avait alors coupé internet et des violences avaient éclaté. Elles furent durement réprimées faisant au moins 5 morts, des dizaines de blessées et 1000 arrestations.
En conséquence, AfricTivistes déplore profondément une fois de plus le coup d’Etat de ce mercredi, et assure que cela n’est aucunement une solution de sortie de crise post-électorale ni une alternance démocratique dans quelque pays que ce soit. Ce huitième (8) putsch en l’espace de trois ans en Afrique consolide le recul démocratique noté sur le continent ces dernières années.
Ces putsch à répétition piétinent une nouvelle fois les engagements de la Charte africaine sur les élections, la démocratie et la gouvernance qui est le principal document de l’Union Africaine en matière de gouvernance démocratique.
AfricTivistes invite, par conséquent, les putschistes et plus précisément le général Brice Oligui Nguema, à organiser au plus vite le recomptage libre et transparent des voix valablement exprimées, ce samedi-là, par près de 850 000 électeurs afin de et rétablir l’ordre constitutionnel. Ainsi, la légitimité des urnes sera garantie afin de jeter les bases pour une construction de la gouvernance démocratique dans ce pays de plus de 2 millions d’habitants.
AfricTivistes tient à rappeler à l’ensemble des acteurs politiques du continent l’intérêt de veiller au strict respect des principes démocratiques, de bonne gouvernance et de transparence pour enfin terminer ce cycle d’instabilité et d’insécurité causé par des coups d’État militaires, constitutionnels ou électoraux sur le continent.
Pour finir, AfricTivistes renouvelle sa solidarité à la société civile au peuple gabonais en cette période de crise appelant la junte à impliquer dans les meilleurs délais toutes les forces vives du pays dans la résolution de cette crise.