100 jours de commémoration comme les 100 jours qu’ont duré, en 1994, le drame dont le Rwandais portera les stigmates durant une éternité. Les 800 000 victimes, et plus, du génocide rwandais ne reviendront sans doute pas à la vie, mais la mémoire collective et les douleurs individuelles qui les portent serviront sans doute à respecter le cours de l’histoire au pays des Mille collines. Mieux, ces moments de recueillement tant au désormais célèbre Mémorial de Kigali qu’ailleurs sur l’étendue du territoire nationale devraient contribuer à resserrer et consolider les liens entre tous les Rwandais où Hutus et Tutsis ne forment plus qu’un peuple. Une population qui doit tourner le dos, pour de bon, aux affres du génocide. Tout en assumant cet héritage lourd et surtout sombre de son existence, le Rwanda, ne doit cependant pas en faire une arme redoutable de vengeance, encore moins un outil de chantage ou un simple fonds de commerce. Les Rwandais qui ont tous été touchés d’une manière ou d’une autre par cette plaie dont la pestilence s’exhale des frontières nationales, pour s’épandre sur les bords de la Seine française et les berges de La Meuse belge, ont sans doute le désir ardent d’un vivre ensemble plus fort que le génocide. Ils l’ont prouvé sous le leadership de Paul Kagamé, et surtout par un sens du pardon hors du commun qui rassemble aujourd’hui dans des villages entiers, des frères, hier ennemis.
Il est important pour les Rwandais de ne point perdre de vue que le passé ne doit servir que de socle à un avenir bien plus prometteur que les souvenirs dramatiques du génocide qui, constamment remis au goût du quotidien pourrait raviver davantage des douleurs que les cicatriser. Certes, comme l’a affirmé Paul Kagamé, dans une allocution très offensive et émaillé de mises en garde, l’esprit de combativité des Rwandais «reste intacte», mais il doit surtout servir dans le combat pour l’émergence que mène avec succès le Rwanda qui sert, de nos jours, de modèle de développement pour bien des pays africains. Du reste, trop politisée comme elle l’est aujourd’hui, en servant de tribune d’où sont lancées, de manière à peine sibylline, des missiles contre des voisins comme l’Ougandais Yoweri Museveni, parrain devenu ennemi juré du pouvoir rwandais, ou d’opposants de l’intérieur comme de l’extérieur, la commémoration du génocide peut créer des déchirures regrettables pour un peuple qui veut panser ses plaies. De même, le génocide ne doit pas servir de prétexte pour réprimer des adversaires politiques et limiter les droits de l’homme dans un pays qui, malgré ses progrès gigantesques sur les plans économique, civique, et le respect de l’environnement, est souvent mis à l’index, sur le terrain de la promotion de la démocratie, notamment en son volet alternance au pouvoir. C’est un secret de polichinelle, le «oui massif» à la réforme de la constitution rwandaise en 2015 et qui devrait permettre à Paul Kagame de rester aux affaires jusqu’en 2034 au moins, n’est qu’un boulevard vers une présidence à vie. Espérer que la justice soit moins sélective afin de s’appliquer aux soldats et cadres du Front patriotique rwandais, rébellion devenue aujourd’hui parti au pouvoir, ne serait pas non plus trop demander, car la progression de ce mouvement vers Kigali ne s’est pas faite la fleur au fusil.
En tout cas, s’il faut condamner avec la dernière énergie ce pan criminel de l’histoire du Rwanda, il importe de gérer avec plus d’objectivité et donc moins de passion, les commémorations du génocide pour lequel on ne peut que redire: plus jamais ça!
Par Wakat Séra