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Gilbert Bawara: «L’intérêt du Togo, en ce moment, c’est d’aller de l’avant»

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Le ministre togolais de la Fonction publique, Gilbert Bawara (DR)

«Bawara, président de l’Assemblée nationale?», Impossible! Jure l’intéressé. «Ce n’est pas l’idée que le président Faure se fait de la République et la vision qu’il a de la cohésion nationale», relève le ministre togolais de la Fonction publique. Bouclant ses 50 ans depuis mars dernier, il en aura accumulé près du tiers au gouvernement. Ministre de la coopération et du NEPAD, ministre du Plan, du développement et de l’aménagement du territoire, ministre de l’Administration territoriale et actuellement détenteur du portefeuille de la Fonction publique, il n’a jamais cessé d’être en possession d’un maroquin depuis 2005. Quand de juillet 2010 à juillet 2012, il était hors du gouvernement, il était tout de même conseiller avec rang de ministre. «Bien né», pourrait-on qualifier, sans risque de se tromper, ce fils de paysan originaire du nord du Togo. S’il multiplie aujourd’hui des rencontres dans sa préfecture d’Agoé-Nyivé et que tout porte à croire qu’il y conduira la liste de la majorité, Gilbert Bawara esquive pourtant la question: «Au-delà de ma volonté et de mes intentions, c’est mon parti, l’UNIR (Union pour la République, au pouvoir, Ndlr) qui décide». Sous la paillote de sa maison, il est tout sourire, et affirme: «La crise est derrière nous ou presque». Très optimiste donc, alors que l’opposition boude le recensement électoral lancé début octobre et menace de retourner à la rue. Fin 2017, au point culminant de la fronde sociopolitique qui secoue le pays, la C14 (coalition majoritaire de l’opposition) avait mobilisé plus d’un million de personnes dans tout le pays. «Nettement moins», riposte le M. Bawara qui est devenu, ces derniers mois, presque le ministre de la crise. Rencontres régulières avec Faure Gnassingbé au pouvoir depuis 13 ans, œil du chef de l’Etat dans la médiation, il conteste sans convaincre «être l’influent», admettant au contraire ne «servir que le Togo». Il n’a rien perdu de son franc parler, à la limite gênant, ni de sa «radicalité» qu’il réfute là encore. «L’opposition togolaise n’est ni sérieuse ni crédible», insiste-t-il peu avant de rejoindre Conakry avec Faure Gnassingbé où les attend un des médiateurs de la crise, Alpha Condé. Le président guinéen est accusé de ne pas être suffisamment ferme avec le régime qui totalise un demi-siècle de pouvoir. «Faure Gnassingbé est au pouvoir depuis 2005», corrige-t-il, et compte tenu du contexte d’incertitude dans lequel le pays est plongé du fait de la crise, «il est judicieux qu’il y reste au-delà de 2020. C’est l’intérêt du pays qui me dicte cette conviction», présage le cinquantenaire. Les réformes, il y est favorable mais «elles ne concerneront ni le redécoupage des circonscriptions électorales, ni le mode de scrutin pour les législatives, ni même la rétroactivité de la limitation des mandats présidentiels», dit-il de manière catégorique. «Si l’opposition dit qu’elle a mobilisé des masses dans tout le pays et que les clivages nord-sud qui seraient instrumentalisés par le pouvoir n’existent plus, c’est qu’elle peut gagner des députés partout. Il faut être cohérent et conséquent», signe Gilbert Bawara qui, à l’aise, se livre à notre envoyé spécial à Lomé. Interview!

Vous êtes ministre de la Fonction publique, très proche de Faure Gnassingbé. L’opposition s’est opposée au recensement qui a démarré le 1er octobre en appelant au boycott. Vous n’avez-vous pas peur que cela contribue à l’échec de tout le processus électoral?

Le Togo n’est pas un cas particulier dans la sous-région, en Afrique et au monde où des partis politiques contestent le système électoral. Depuis 2007, le Togo dispose de l’un des systèmes électoraux les plus innovants qui consacrent des avancées et des garanties solides pour des élections équitables, crédibles et fiables, depuis la composition et le fonctionnement de la CENI (Commission électorale nationale indépendante, Ndlr) à la proclamation des résultats en passant par le financement public des campagnes électorales et la prise en charge des délégués des candidats dans les bureaux de vote. L’attitude actuelle d’une frange de l’opposition togolaise n’est pas extraordinaire. Nous aurions souhaité que, conformément aux conclusions de la dernière réunion du comité de suivi de la mise en œuvre des décisions des chefs d’Etat de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Ndlr), l’opposition rejoigne sans délai la Céni. Cela étant, il n’y a aucun risque que le processus échoue. L’intérêt du Togo, en ce moment, c’est d’aller de l’avant pour ne pas créer ou entretenir un climat délétère et d’incertitude politique, avec des répercussions inévitables sur le plan économique et social.

Vous auriez pu laisser quelques jours à l’opposition pour rejoindre la commission électorale avant de démarrer le recensement. Rien ne presse…

Non. La même décision du comité de suivi qui leur a donné jusqu’au 30 septembre pour désigner leurs membres a aussi prévu et acté le début du recensement pour le 1er octobre. Il n’y a pas de contradiction sur ce point. Ils sont dans une logique de défiance, de provocation et d’affrontement. Ils ont toujours été dans une posture de blocage et d’obstruction, et cela relève davantage d’une stratégie et de calculs internes à ce regroupement politique. C’est regrettable et déplorable, mais le gouvernement n’est ni dupe ni naïf. Il est suffisamment préparé à toutes les éventualités. Les institutions du pays, y compris la Céni, n’ont pas à subir ce genre de caprices et de péripéties de la part des partis politiques. Que la coalition des 14 partis de l’opposition, en partie ou dans sa totalité, participe ou non au processus électoral n’aura aucun impact sur la qualité des élections. Il existe, dans le paysage politique, de nombreux partis politiques bien plus représentatifs que certains des partis membres de cette coalition. L’opposition a tort de nous sous-estimer et de nous prendre pour des Gugusse. Tout agissement contraire à la loi aura désormais des conséquences, immédiates et proportionnées.

Sans l’opposition, les actes de la Céni peuvent être légitimement remis en cause tout de même…

Il faut éviter des postures  dogmatiques ou idéologiques ou des positions figées qui procèdent parfois de procès d’intention. Si en participant à la Céni, les représentants des partis politiques ou de la société civile, issus de l’opposition parlementaire ou cooptés par elle, venaient à constater des faiblesses, des insuffisances ou des dysfonctionnement et qu’ils font des propositions d’amélioration et de consolidation du cadre électoral et des conditions d’organisation des élections afin d’en renforcer la crédibilité, la transparence et la fiabilité, les autres membres ne manqueraient pas d’en tenir compte. Le gouvernement et les experts de la Cédéao y seraient sensibles. Mais avant d’être à la Céni, anticiper, présager et préjuger de la qualité des opérations et activités menées jusque là et chercher à tout remettre en cause relève d’une stratégie dilatoire et d’une volonté de blocage pour retarder la tenue des élections législatives.

L’arrivée de l’opposition à la Céni impacte sur la réorganisation des Commissions électorales locales indépendantes (Celi)?

Cela va de soi.

Donc aussitôt que l’opposition entre à la Céni, il va falloir réinstaller les Celi chargées du recensement dans chaque préfecture?

Non, on n’a pas à réinstaller les Celi. Celles-ci existent et il s’agit pour les retardataires des les rejoindre. Cela n’enlève rien à la possibilité pour les uns et pour les autres d’évaluer ensemble l’état d’avancement des opérations électorales, notamment du recensement électoral et d’apporter des ajustements si nécessaire. Depuis le début de la situation socio-politique que le Togo vient de traverser, nous étions pleinement conscients des stratégies et des postures qu’adopterait la coalition concernant notamment le processus électoral. Cette coalition se croit plus «malin» que tous les autres Togolais. Rien ne nous surprend et rien ne nous émeut. Et ce n’est pas la première fois que l’opposition rejoint un processus électoral qui a déjà évolué. On est donc habitué à cette attitude. Nous aurions voulu que dès le départ, lorsque l’Assemblée nationale avait lancé le processus de renouvellement de la Céni, les partis politiques concernés acceptent de jouer le jeu en tenant compte des compromis et des arrangements qui ont toujours eu lieu concernant les représentants des partis politiques extraparlementaires et de la société civile. Mais l’opposition s’est enfermée dans une logique de blocage, de surenchère et de chantage. Cela n’est en rien dans l’intérêt de notre pays et on ne devrait pas accepter de pareils comportements.

Si on se fie au chronogramme actuel de la Céni, d’ici 10 semaines, le Togo organiserait des municipales, un référendum et des législatives. C’est une utopie évidente, ça n’est pas possible.

D’abord, il faut souligner que le référendum n’aura de sens et de portée que si le débat démocratique à l’Assemblée nationale est bloqué ou échoue. Dans les prochains jours, le gouvernement concevra un projet de révision constitutionnelle qui bénéficiera de l’appréciation de l’expert constitutionnaliste de la Cédéao avant d’être soumis à la représentation nationale pour examen. Ce projet se conformera aux orientations et aux axes définis par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’institution ouest-africaine. Nous espérons que les partis parlementaires joueront le jeu et que la réforme sera adoptée à l’Assemblée nationale sans qu’il soit nécessaire de recourir à une consultation référendaire. Quant à la date du 20 décembre, le gouvernement et la Céni sont tenus par deux impératifs. D’une part les décisions et recommandations de la Cédéao, et d’autre part les contraintes et délais légaux imposés par le code électoral.

Parlons réforme. Qu’est-ce qui sera fait d’ici le 20 décembre concrètement? Redécoupage, la cour constitutionnelle cassée, qu’est ce qui changera?

Tout ce qui touche aux élections législatives n’a plus vocation à être réformé. Nous sommes pratiquement à la veille du scrutin législatif! Nous aurions souhaité, lorsque cela était encore possible, notamment sous les auspices du président ghanéen, entre février et avril 2018, pouvoir examiner les réformes électorales et les mesures susceptibles de contribuer à la consolidation du cadre électoral. Malheureusement, la coalition des 14 et ses leaders ont toujours estimé qu’il n’était pas question de parler de réformes électorales avant d’avoir réglé la question du «retour à la constitution de 1992 et d’avoir acté l’impossibilité pour le chef de l’Etat actuel de se présenter à la prochaine élection présidentielle». Depuis lors, ce regroupement et ses leaders ont considérablement évolué. Il faut s’en féliciter. Entre temps, la Cédéao s’est saisie pleinement de la situation socio-politique au Togo et un canevas a été défini. Ce qu’il est advenu d’appeler «la feuille de route de la Cédéao» s’inscrit dans le respect du cadre électoral tel qu’il existait le 31 juillet 2018, sinon même la date du 20 décembre ne se comprendrait pas. Même le réaménagement de la Céni et de ses démembrements est intervenu en application du cadre électoral actuel. Des décrets pris en conseil des ministres sont d’ailleurs venus déterminer les ressorts des circonscriptions électorales et le nombre de députés par circonscription. Cela n’a plus vocation à être modifié de nouveau. Idem pour le mode de scrutin.

L’opposition n’accepte pas ce découpage…

Et pourquoi l’opposition contesterait le découpage?

Jean Pierre Fabre, chef de file de l’opposition dénonce le fait d’être élu par un nombre 4 à 6 fois supérieur à celui qui permet d’élire un député dans les régions qui sont favorables à Unir…

Quand il le dit, ce n’est ni crédible ni cohérent. Il parle aussi du député de l’ANC (Alliance nationale pour le changement, Ndlr) élu à Assoli, ce qui prouve que l’ANC peut gagner des sièges dans n’importe quelle circonscription électorale. D’ailleurs, j’ai entendu l’opposition et particulièrement la C14, depuis le 19 août 2017, dire qu’elle a le peuple avec elle, qu’elle est populaire dans tout le pays et que tous les Togolais sont contre le parti Unir qui serait rejeté par les populations. Cette coalition a proclamé que les digues ont cédé et les anciens fiefs et bastions du parti majoritaire sont tombés. Si c’est le cas, qu’ils aillent aux élections et les résultats l’attesteraient.

L’union Européenne s’est inquiétée de ce que le quotient électoral au sud soit supérieur à celui du nord. elle dénonce en quelque sorte un redécoupage déséquilibré dans 3 rapports successifs. Et elle a raison…

Où est ce que vous situez le nord et où vous situez le sud? La région des plateaux c’est aussi le nord? Sur 25 sièges, Unir en a gagné 22. Le découpage n’est donc pas un problème, les partis politiques sont supposés avoir une implantation et une représentation nationales. Ils doivent donc pouvoir gagner partout, et c’est ce que le parti UNIR a fait lors des dernières élections législatives, à l’exception de Yoto! L’ANC  (Alliance nationale pour le changement, Ndlr) doit pouvoir gagner dans n’importe quelle circonscription électorale. Toutes les capitales ont une particularité, en termes de concentration de population liée à la concentration des services et des institutions. Nulle part au monde, la population de la capitale ne sert de repère et de point de référence pour le découpage des circonscriptions électorales qui, au demeurant, obéissent à d’autres critères et facteurs, en plus de l’élément démographique. Le député ne représente pas uniquement des populations, mais également un terroir et des réalités sociologiques.

Jean Pierre Fabre disait récemment qu’il n’aura pas une nouvelle constitution sans la fameuse phrase «en aucun cas, nul ne peut faire plus de deux mandats». Qu’en pensez-vous?

Les Togolais ont eu suffisamment de temps et d’occasions pour apprécier de la constance et de la cohérence  de Monsieur Jean Pierre Fabre.  En 2015, il disait qu’il n’irait pas à l’élection présidentielle sans la modification de la constitution, mais il y est allé finalement. Au lendemain du 19 août 2017, il a situé son combat non dans le cadre des réformes politiques, mais dans une optique de départ immédiat du Chef de l’Etat, puis il a évolué en exigeant le rétablissement de la constitution dite originelle de 1992. Je rappelais tantôt la position de la C14, portée et défendue par Monsieur Jean-Pierre Fabre, le 23 mars 2018, et qui consistait à refuser de parler des réformes électorales et ou de la consolidation du cadre électoral tant que la question du retour à la constitution de 1992 n’était pas réglée. Chacun constate qu’il n’en n’est rien. Donc, il faut toujours lui laisser le temps pour évoluer.

Vous êtes assez proche de Louis Michel, ancien commissaire européen qui est derrière Zétes, la société belge impliquée dans l’organisation technique des élections. L’opposition refuse d’aller aux élections avec Zétes, qui est l’instrument de fraudes selon elle, vous la comprenez?

La proximité supposée entre cette société et l’ancien commissaire européen relève d’affabulations calomnieuses et diffamatoires. L’opposition et ses partisans, lorsqu’ils sont à court d’arguments, se croient obligés de recourir à des attaques personnelles et le dénigrement. Il ne revient ni au gouvernement ni aux partis politiques de sélectionner les prestataires de services de la Céni, une institution indépendante. Cette dernière doit pouvoir choisir librement ses prestataires dans le respect des procédures de passation des marchés publics. Mieux, il est prévu un audit du fichier électoral une fois qu’il aura été confectionné et établi. Faisons confiance à la Cédéao pour le faire au moment opportun, par le biais de ses experts et du cabinet qu’elle sélectionnera.

En 2020, Faure aura fait 15 ans. Est-ce qu’il y a une chance même minime qu’il ne se représente plus?

Si vous êtes à la tête d’un pays comme le Togo, dans sa situation d’aujourd’hui avec tous les défis auxquels nous sommes confrontés, et vous vous mettez en 2018 à spéculer sur une élection qui se tiendra en 2020, vous ne serez pas pris au sérieux. Le président Faure a beaucoup de travail pour penser à sa réélection. Cela n’enlève rien à la réalité et à ma conviction. Dans les circonstances actuelles, personne au sein de l’opposition n’incarne une alternative sérieuse et crédible pour notre pays. Outre la politique et l’action qu’il conduit au service de notre pays, les qualités personnelles et la vision du président Faure en font le dirigeant idéal pour le Togo.

Au pouvoir depuis 2005, il est évident qu’en 2020, même si la constitution n’adopte pas expressément la notion de rétroactivité, Faure Gnassingbé ne devrait plus se présenter, sauf mauvaise foi…

Cette question ne se pose pas. Une réforme constitutionnelle obéit à des normes, des principes et des règles de la démocratie et de l’Etat de droit. Quand on opère une révision constitutionnelle au Sénégal, en France ou au Togo, les principes sont les mêmes. Je vous renvoie aux révisions constitutionnelles réduisant la durée du mandat présidentiel en France en 2000 et au Sénégal en 2016 et aux décisions des conseils constitutionnels de ces deux pays concernant les effets d’une révision constitutionnelle dans le temps. La volonté d’un dirigeant ou d’un parti politique et même les desiderata d’un regroupement de partis politique ne peuvent primer sur ces règles, principes et normes juridiques.

Êtes-vous candidat pour les législatives?

Patientons. Vous le verrez le moment venu. Mais candidat ou pas, je m’engagerai et je me battrai sur le terrain pour que la liste de mon parti Unir l’emporte sur toute l’étendue du territoire. C’est un défi personnel et collectif.

Interview réalisée à Lomé par

redaction@afrikastrategies.fr