La fumée blanche est enfin sortie à Bamako ou plutôt à Kati, c’est selon. Depuis leur coup de force, et sous la pression de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et de la communauté internationale, les militaires ont promis de remettre le pouvoir aux civils. Ils ont tenu promesse, mais à leur manière. Ils ont donné de la main droite pour reprendre de la gauche, ce qu’ils ont arraché par la force à Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août 2020. Le plus militaire des civils, le colonel major et président, Bah Diaw et le militaire et vice-président, Assimi Goïta, qui forment le duo de tête de la Transition, ont bien voulu s’accommoder d’un Premier ministre, très civil, Moctar Ouane pour former le gouvernement qui a été dévoilé ce lundi 5 octobre.
Comme il fallait s’y attendre, dans cette équipe, l’ancienne junte au pouvoir s’est taillée la part léonine, s’adjugeant, pour ne pas dire raflant, les maroquins de souveraineté. La Défense, la sécurité, la réconciliation nationale et l’Administration territoriale qui aura la lourde tâche d’organiser les élections, pour un véritable retour du Mali à la vie constitutionnelle, sont dans les mains des hommes de Kati. Preuve qu’ils restent les maîtres du jeu, n’en déplaise aux censeurs de la CEDEAO qui a en horreur le pouvoir kaki. Comme pour aller plus loin que les désidératas de la CEDEAO, les nouveaux hommes forts de Bamako ont même trop ouvert le gouvernement. En effet, alors qu’ils ont attribué trois ministères au Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces politiques (M5-RFP), qui réclame également la paternité de la chute de l’ancien régime, les dirigeants de la Transition malienne, en ont donné autant aux mouvements des groupes armés impliqués dans le processus de paix.
Même le genre a été, plus ou moins pris en compte, avec l’entrée, dans ce gouvernement, de quatre femmes, dont Kadiatou Konaré, la fille de l’ancien président malien, Alpha Oumar Konaré. Ce serait, donc faire un faux procès au patrons de la transition que de les taxer d’avoir fermé le jeu. Mais dans la réalité, les militaires ont rondement mené leur affaire. Et c’est tant mieux pour le Mali, si l’on s’en tient à la situation du pays, où les civils peinent à faire preuve d’une gestion rigoureuse, et surtout à ramener la paix et la sécurité dans ce pays endeuillé au quotidien par les attaques terroristes. Et comme les militaires ont toujours pointé un doigt accusateur sur les régimes civils qui, selon eux abandonnent l’armée dans le dénuement total, et envoient les troupes à l’abattoir, ils sont très attendus au rapport sur le sujet.
De même, quelle sera leur part d’impartialité, dans l’organisation des élections qui est placée sous leur coupe entière, alors qu’ils sont sérieusement suspectés de ne pas vouloir lâcher ce pouvoir qui est resté leur, malgré l’embargo et les menaces de sanctions brandies par une CEDEAO qui s’est bien décrédibilisée, avec en son sein, des dirigeants qui s’accrochent à la présidence à vie, par le jeu malsain du troisième mandat. Le Guinéen Alpha Condé et l’Ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, sont, en effet, les mauvaises graines de cette CEDEAO, qui, au lieu d’être celle des peuples, est demeurée celle des dirigeants.
En tout cas, les grands oubliés de cette transition sont bien les représentants de la classe politique traditionnelle qui sont contraints de ronger leur frein jusqu’aux élections, qu’il faudra espérer ouvertes et inclusives. Que dire du M5 qui attendait sans doute être plus présente dans la gestion du pouvoir après IBK, sinon que les ouailles de l’influent Mahmoud Dicko, emmêlés dans leurs contradictions et pris dans le piège de leurs égos, ont vite été mis, de côté par les rusés militaires de Kati? Maintenant que la transition est sur les rails et que les cartes ont été distribuées, il ne reste plus aux nouveaux acteurs qu’à faire montre de leur capacité à redonner au Mali, la chance de retrouver enfin la bonne voie et de tourner le dos pour de bon aux coups d’Etat dont il est devenu l’un des champions sur le continent. Il importe surtout pour les Maliens, d’éviter de faire du IBK…sans IBK.
Par Wakat Séra