«Pendant que la Maison-Afrique brûle, les présidents africains se livrent à jouer les pompiers ailleurs». On a entendu monter cette protestation, véhémente s’il en est, d’un côté, alors qu’un autre son de cloche encourageait l’initiative, de l’autre. Celui-ci laissait dire «qu’au moins, la question liée à la crise des céréales au continent sera ‘reposée’ à la source». Donc, un voyage controversé.
Pourtant, à analyse, les deux thèses ne semblent pas s’exclurent, forcément. Surtout, quand on pense humanisme.
Ainsi, du vendredi 16 au dimanche 18 juin, «l’Afrique est-elle partie en mission de paix» en Europe, pourrait-on dire. C’est le chef d’Etat sud-africain Cyril Ramaphosa, qui conduisait cette délégation, comprenant ses homologues comorien Azali Assoumani (président en exercice de l’Unité africaine), sénégalais Macky Sall et zambien Hakainde Hichilema, à leurs côtés des représentants du Congo-Brazzaville, d’Egypte et de l’Ouganda.
Amener les deux protagonistes du conflit ukrainien sur le chemin de la paix, en l’occurrence l’insubmersible maître de Kiev Volodymyr Zelenski et le patron du Kremlin VladimiPoutine, tel était l’objectif de l’équipe. En mettant sur la table dix proposition, dont celle majeure concernant la reconnaissance de la souveraineté des deux pays. Mais, avec une urgence, pour l’Afrique, sur la situation liée à la levée des entraves à l’expédition des céréales, via la Mer Noire. Le continent éprouvant plus de difficultés que partout ailleurs, face à la pénurie de ces grains autant que d’engrais qui les accompagnent.
Globalement, tout s’est passé comme nombre d’analystes l’avait prévu: un résultat en demi-teinte, apparemment sans lendemain, à court terme. En réponse au propos du chef de l’Etat sud-africain, qui faisait valoir les conséquences de la guerre en Ukraine, à l’échelle mondiale et, de ce fait, sollicitait l’arrêt d’hostilités, le président Zelenski n’a pas fait dans la dentelle: «Autoriser toute négociation avec la Russie, quand celle-ci est sur notre territoire, revient à geler la guerre, à geler la douleur et la souffrance», a-t-il dit. Tandis que, biaisée, la réplique du chef du Kremlin, s’est plus confinée dans l’incrimination de l’Ukraine et de l’Occident, ainsi que l’idée vague «d’ouverture d’un couloir de dialogue».
Dans la forme, ce voyage africain semble avoir été un paradoxe tragique. Comment comprendre l’idée que l’Afrique, suant la boue et le sang – ici sous les bombes, là-bas dans la famine -, puisse avoir eu à porter une mission de paix, à plusieurs milliers de kilomètres? Pour un conflit sur lequel elle ne dispose ni ressources morales, ni autres capacités lui permettant de peser sur le cours des événements. D’autant que ce problème est à la fois géostratégique et identitaire. En cela, ceux qui ont décrié ce périple ont eu «partiellement» raison.
Quant au fond, la question s’est présentée plutôt sous un climat apaisé, philosophique. On y a vu se manifester «l’émotion nègre» de Senghor, appelant sans doute à l’empathie. Sur ce point, la mission africaine, enrobée dans son caractère humaniste, a été donc positive. Ceux qui ont défendu l’initiative du déplacement n’auront eu que partiellement tort.
En conclusion, les deux thèses, au lieu de s’exclure, se sont plutôt côtoyées… en filigrane. A feu et à sang, l’Ukraine a besoin d’être secourue. L’Afrique l’a osé… à travers sa mission de paix.
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France