Alors que la junte militaire guinéenne soulève de plus en plus une contestation qu’elle réprime sans ménagement, son chef, le colonel Mamadi Doumbouya s’offre un nouveau Premier ministre dont le décret de nomination a été rendu public ce samedi. Le Dr Bernard Goumou, puisque c’est de lui qu’il s’agit, remplace à ce poste, Mohamed Beavogui, qui, officiellement se trouve en Europe pour des raisons de santé. En réalité, c’est une confirmation qui a été prononcée à la tête de l’exécutif guinéen, le désormais ancien ministre du Commerce, de l’industrie et des PME, étant celui qui assurait l’intérim de son prédécesseur depuis mi-juillet. Le nouveau PM, illustre inconnu de la scène politique avant la prise du pouvoir par les armes du Groupement des forces spéciales, arrive alors que le bateau ivre de la transition ne cesse de tanguer. Non pas que la mer houleuse est sur le point de faire chavirer l’embarcation dont la barre est tenue par le colonel Doumbouya, mais parce que les Guinéens qui pensaient avoir applaudi des libérateurs le 5 septembre 2021, découvrent un pouvoir de fer qui ne donne aucune place à la liberté d’expression.
Non seulement les militaires au pouvoir ne tolèrent aucune contradiction contre cette transition sans limite fixe pour l’instant et violant sa propre charte fondatrice, mais ils ont engagé une chasse à l’homme contre les leaders politiques et ceux de la société civile, notamment le Front national pour la défense de la constitution (FNDC) dont ils ont prononcé la dissolution après avoir embastillé certains des responsables. Le pouvoir treillis de Conakry est même accusé d’avoir tué au moins sept manifestants, actes dénoncés et renseignés par le FNDC auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Malgré les condamnations des organisations guinéennes et internationales des droits de l’homme et du «G5 Guinée» composé de diplomates des Nations unies, de la CEDEAO, de l’Union européenne, des Etats-Unis et de la France, qui prônent l’urgence d’un dialogue inclusif, le colonel Mamadi Doumbouya et ses militaires continuent de faire régner la terreur sur la Guinée.
Comme quoi, ce ne sera pas la sinécure pour le PM, qui a été nommé juste la veille de l’arrivée, ce dimanche, du nouveau médiateur de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), l’ancien président béninois Yayi Boni. Questions: par quel bout le médiateur de l‘organisation sous-régionale prendra cette crise guinéenne? Aura-t-il le courage et la sagesse de rencontrer les leaders du FNDC, ce mouvement citoyen dissout par le pouvoir, et qui, pourtant, porte aujourd’hui les aspirations du peuple guinéen et la contestation contre la junte militaire? Et quels leaders politiques rencontrera Yayi Boni, presqu’eux tous ayant été contraints à vivre en cachette pour échapper aux griffes acérées de la junte militaire? La mission s’annonce difficile voire impossible pour le médiateur venu de Porto-Novo et qui, du reste, est loin de faire l’unanimité au sein de la classe politique et de la société civile guinéenne. Faut-il douter de la bonne foi de la CEDEAO de gérer cette crise guinéenne au profit des populations prises dans le piège infernal des putschistes?
Au Mali voisin, où les nouveaux maîtres qui exercent un musellement sans commune mesure, notamment de leurs contradicteurs qui deviennent de plus en plus nombreux, c’est un Premier ministre intérimaire qui vient d’être désigné. Colonel comme son patron Assimi Goïta, le ministre de l’Administration territoriale, Abdoulaye Maïga a été nommé Premier ministre par intérim en remplacement de Choguel Kokalla Maïga, hospitalisé il y a quelques jours. L’état de santé du PM malien que certains qualifient, à tort ou à raison de clivant, faisait polémique. Des sources citent comme probables destinations de Choguel Maïga pour son évacuation sanitaire, l’Algérie, la Turquie, le Maroc ou l’Arabie saoudite. Sur les réseaux sociaux des posts évoquent même un plaidoyer d’un de ses proches auprès de la junte militaire pour laisser l’homme aller se soigner en France où vivraient ses enfants. Vrai ou faux? Si oui, ce serait un cinglant revers porté au narratif malien contre la France. Cela donnera également du grain à moudre à tous ceux qui soutiennent, comme nous, la nécessité pour les dirigeants africains de construire dans leurs pays respectifs des plateaux sanitaires dignes de ce nom, au lieu de s’envoler, dès le petit mal de tête, vers l’étranger, alors que le petit peuple se débat dans des hôpitaux où tout manque!
En attendant, Choguel Maïga sera tenu, à son corps défendant, éloigné des affaires, au moment où le Cadre d’Echanges, une coalition de partis et regroupements politiques, sous une plume acerbe, dénonce une situation catastrophique au Mali, depuis le règne sans partage des militaires. Insécurité grandissante faite surtout de la recrudescence d’attaques terroristes meurtrières, instauration de la pensée unique, atteintes récurrentes aux droits de l’homme, sont autant de griefs dont le Cadre d’Echanges accable la transition qui se militarise de plus en plus. Deux colonels sont désormais aux manettes à Bamako. «Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles», se convainc, et essaie de convaincre, une junte militaire qui ne cesse d’isoler le Mali, dont le valeureux peuple s’est toujours, pourtant, distingué avec fierté par le légendaire «djatiguiya», ensemble de ces incontournables valeurs de la cordialité et de l’hospitalité.
En Guinée comme au Mali, deux Premiers ministres, l’un civil intérimaire confirmé et l’autre militaire confirmé intérimaire, à défaut de ramener les colonels Assimi Goïta et Mamadi Doumbouya à la raison, auront la lourde charge de faire briller le soleil des putschistes ouest-africains… jusqu’à nouvel ordre.
Par Wakat Séra