Comme un de ses clins d’œil dont il a seul le secret, le destin a fait coïncider les tristes anniversaires du naufrage du ferry «Le Joola» au Sénégal et du massacre et viols à ciel ouvert du stade du 28 Septembre en Guinée. Les deux douloureux événements, qui ont fait, respectivement, au moins 1800 morts au pays de la Teranga, dans la nuit du 25 au 26 septembre 2002, et 156 morts, 109 femmes violées, et plus de 1400 blessés, le 28 septembre 2009, en Guinée, ont tous pour dénominateur commun, la bêtise humaine. Si au Sénégal, c’est au nez et à la barbe des autorités qu’une surcharge monstre d’un bateau en mauvais état et dont le naufrage n’a pas été suivi d’une prompte réaction pour déployer les secours adéquats, en Guinée, c’est la soif de pouvoir d’un illuminé, en l’occurrence le capitaine Moussa Dadis Camara, qui a conduit à la répression sanglante et meurtrière et aux viols de femmes traumatisées pour la vie.
Au Sénégal, les commémorations du naufrage du «Joola», se sont suivies et se sont ressemblées, depuis 21 ans, par les dépôts de gerbes de fleurs, marqués par des masques de circonstance plaqués sur des visages d’autorités qui ont, peu ou prou, encouragé la manifestation de la vérité et un procès en bonne et due forme des responsables et auteurs du drame. Bémol, la célébration du 22e anniversaire du naufrage du «Joola» porte le sceau de l’ouverture d’un «musée mémorial» à Ziguinchor, dans l’attente d’un deuxième à Dakar. Faut-il s’en réjouir? Oui, car un endroit rend désormais hommage à la mémoire des victimes, même s’il porte la laideur de l’incurie de dirigeants, pour qui le mieux-être des populations est le cadet des soucis. Faut-il s’en contenter? Non, car les âmes des morts du «Joola» sont toujours en errance, tout comme les familles des victimes ne peuvent faire le deuil des leurs, faute de justice. Pendant combien de temps courront encore les fautifs de cet accident inacceptable, qui consacre, jusqu’à présent une impunité criarde? Trop c’est trop!
Malheureusement, les derniers événements survenus au Sénégal, les semaines passées, ne poussent guère à l’optimisme, en ce qui concerne la fin les dégâts humains causés, par les embarcations précaires, notamment ces pirogues, remplies de passagers à l’immigration clandestine, qui coulent, endeuillant de nombreuses familles de la ville portuaire de Mbour et de tout le Sénégal. L’espoir viendra, peut-être, du nouveau pouvoir qui promet la rupture aux Sénégalais. Mais pour le moment, le parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la solidarité, le Pastef au pouvoir, cherche ses marques, sur fond d’accusations tout azimut, contre l’ancien régime. Après ça, les nouveaux hommes forts de Dakar s’occuperont, il faut l’espérer, de cette jeunesse qui semble manquer de repère et pour qui l’avenir dans son pays ressemble à une voie sans issue.
En Guinée, le massacre du 28 septembre 2009 n’a que 15 ans, mais le désespoir des familles des 156 personnes tuées et des 109 femmes violées est tout autant immense. Certes, un procès qui a commencé finalement, 13 ans après le drame, et a duré du 28 septembre 2022 au 31 juillet 2024, a condamné quelques personnalités militaires, des «intouchables» à l’époque, jugées pour des faits requalifiés en «crime contre l’humanité». Certes des accusés célèbres ont écopé de peines, plus ou moins lourdes, pour leur responsabilité dans cette barbarie au sommet. Certes l’ancien chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, par qui le malheur est arrivé parce qu’il tenait à se présenter à l’élection présidentielle de 2009 contre la volonté du peuple, a pris 20 ans d’emprisonnement. Certes, entre autres condamnés, le colonel Claude Pivi, évadé et repris par la police libérienne, va purger la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 25 ans et le colonel Moussa Tiégboro Camara aura ramassé 20 ans d’emprisonnement. Certes, il est prévu des réparations financières pour les morts et les femmes portant les souillures ineffaçables du viol. Mais, aucune leçon ne semble avoir été tirée, de ce drame, par les dirigeants de la transition politique guinéenne, qui épousent une propension avérée à la confiscation du pouvoir.
Attention à un autre «28 Septembre», est-on tenté de dire au général Mamadi Doumbouya qui, après avoir affirmé et confirmé à toutes les tribunes, et conformément aux dispositions de la charte de la transition, que ni lui, ni aucun dirigeant de la transition ne se présentera à aucune élection, est désormais sur le point d’opérer un virage à 180 degrés. Si son putsch militaire du 5 septembre 2021 qui a permis de chasser un auteur de coup d’Etat constitutionnel, en l’occurrence le Professeur Alpha Condé, a été acclamé, son règne s’est transformé en cauchemar pour le peuple guinéen à qui il a imposé une véritable chape de plomb. Pire, les affidés du général lui ont déjà confectionné un costume de candidat à la prochaine présidentielle! Avec son gré, sans doute!
Mais, le général Doumbouya, qui ne pipe, pour l’instant, mot de sa candidature, rappellera-t-il, au plus tôt, à ses ouailles, le respect de la parole donnée d’officier militaire, de quitter les affaires à la fin de la transition, et de rendre le pouvoir aux civils? On peut encore oser y croire, et surtout, demander à la communauté internationale, de pousser le général à ne pas faire comme le capitaine dont il a organisé le procès que tous avaient fini par croire impossible à tenir. La Guinée doit pouvoir, enfin, jouir de cette paix à laquelle elle aspire, afin d’engager et mener à bon port, les chantiers de son développement.
Le Sénégal, la Guinée et le reste de l’Afrique, veulent mettre fin … enfin, au chapelet des anniversaires de drames!
Par Wakat Séra