C’est finalement ce vendredi que l’équipe musclée de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) devrait atterrir sur le tarmac du Gbessia international airport alors que son arrivée en Guinée était prévue pour ce jeudi. Report pour des raisons techniques ou pour donner au moins une bonne journée d’entraînement à la junte militaire, avant son match contre la CEDEAO? Rassurez-vous, cette rencontre ne comptera pas pour les éliminatoires de la prochaine coupe du monde qui se déroulera au Qatar en 2022! Les nouveaux maîtres de Conakry qui ont renversé, dimanche dernier, le président de la république, Alpha Condé, eux, n’avaient pas encore réagi aux mesures prises à l’encontre de la Guinée par la CEDEAO. Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) a juste affirmé qu’Alpha Condé, qui est entre ses mains et dont les pairs s’inquiètent de la forme, «se porte bien».
Le nouvel homme fort de la Guinée, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya et ses hommes disent attendre dans la sérénité, les ministres du Ghana, du Burkina Faso, du Togo, et du Nigéria, qui composent, avec le président de la commission de la CEDEAO, l’Ivoirien Jean-Claude Kassi Brou, la délégation de la CEDEAO. Le mandat de ces derniers sera de demander à la junte militaire au pouvoir, en plus des nouvelles du pays, notamment celles du président destitué, quelles seront ses modalités pour la mise en place d’une transition politique qui devra déboucher, le plus tôt possible, sur un retour de la Guinée à l’ordre constitutionnel. Qui dirigera la transition et quelle sera sa durée? La question sera certainement posée au CNRD, qui devra y répondre comme l’a fait, en son temps, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), qui avait à sa tête, le colonel Assimi Goïta, depuis lors président de la transition malienne. Une transition qui constitue l’actuel casse-tête du médiateur de la CEDEAO, l’ancien chef de l’Etat nigérian, Goodluck Jonathan, car, en quête d’un peu plus de longévité.
La CEDEAO se retrouvera donc à gérer deux régimes transitoires, parce que ceux qui nous dirigent, dans une solidarité coupable, ont laissé la mauvaise gouvernance et l’autoritarisme prospérer, débouchant finalement sur l’arbitrage de militaires qui, visiblement se sentent à l’étroit dans les casernes. En tout cas, le manque de fermeté de l’organisation sous-régionale, allié à son silence en face des dérives de chefs de l’Etat dont le sport favori est la patrimonialisation du pouvoir, finiront, si cela n’est déjà le cas, par lui enlever le peu de crédibilité qui lui reste encore. De toute façon, les populations, surtout celles autour des frontières artificielles léguées par la colonisation, n’ont nullement eu besoin d’elle pour organiser les échanges commerciaux et culturels entre elles, chacune, dans le respect des valeurs de sa propre communauté. Mais la CEDEAO est arrivée, comme un éléphant dans un magasin de porcelaines, se muant vite en syndicat de chefs de l’Etat qui pensent pouvoir se cacher derrière des sanctions contenues dans une charte, pour diriger de main de fer le peuple, organiser des élections de complaisance avalisées par des missions d’observation envoyées par leurs homologues, s’octroyer des présidences à vie, et sanctionner les auteurs de putschs militaires.
Certes, l’armée doit résolument s’écarter de la politique et n’être affectée qu’aux tâches républicaines et de défense du territoire. Mais comme en Guinée, les soldats, en plus de leur appétit pour le pouvoir qu’ils peuvent arracher facilement, canons en l’air, appartiennent à des familles, à un peuple dont ils vivent directement les brimades. Et tant qu’il y aura des coups d’Etat constitutionnels qui empêcheront toute alternance par les urnes, les putschs militaires, que nous condamnons tous avec la dernière énergie, continueront, malheureusement, à servir de régulateurs dans la transmission du témoin présidentiel. Pour paraphraser le Russe Vladimir Poutine, les gens imposent aux peuples la démocratie, mais les gens ne veulent pas la pratiquer eux-mêmes. Il importe de la part des dirigeants, un engagement sincère à respecter les règles du jeu et ne pas vouloir les changer en plein match. Ainsi, le peuple se chargera lui-même de barrer la route à toute personne, ou groupe de personnes, militaire ou civile, qui chercherait à s’emparer du pouvoir par effraction. Question: les Africains sont-ils contraints de porter la démocratie importée d’ailleurs, si elle ne répond pas à leurs traditions? Bien sûr que non! Mais, à partir du moment où nous l’avons acceptée, respectons-en les contraintes et les valeurs.
En attendant, il faut espérer que les envoyés du Ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la CEDEAO, et les putschistes du Groupement des forces spéciales (GFS) s’entendent pour sortir la Guinée de la gadoue. Ce serait donner une nouvelle chance à ce beau pays, d’aller au développement auquel aspire le peuple. Ironie du sort, on pourrait encore chanter «libérez Alpha Condé», comme au temps où celui-ci était opposant historique, enfermé dans les geôles de l’ancien président, Feu Lansana Conté.
Par Wakat Séra