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Guinée: RSF condamne une cascade d’attaques contre la presse

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Le président guinéen, le colonel Mamady Doumbouya

Ceci est déclaration de Reporters sans frontières (RSF) la cascade d’attaques contre la presse en Guinée.

Alors que la Guinée connaît une vague de censure sans précédent depuis deux mois, le bilan s’est encore aggravé en 48 heures : neuf journalistes arrêtés, la Maison de la presse bloquée par les gendarmes, deux radios piratées et un journaliste et son média suspendus. Reporters sans frontières (RSF) condamne un climat de terreur visant à faire taire les professionnels de l’information et appelle les autorités à y mettre un terme immédiatement.

Sale temps pour les journalistes en Guinée. Le 18 janvier, jour où devait se tenir une manifestation contre, entre autres, les brouillages d’au moins quatre radios et les restrictions d’accès à Internet depuis plusieurs semaines, la gendarmerie a tenté d’entrer de force dans les locaux de la Maison de la presse de Conakry, la capitale du pays, où étaient rassemblés une trentaine de journalistes. “Ils ont essayé d’envahir les locaux deux fois de suite, sans succès. La zone était quadrillée par les gendarmes, les accès étaient bloqués par des pickups, personne ne pouvait entrer ni sortir. Un drone survolait même la Maison”, déplore le secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), Sékou Jamal Pendessa. Les journalistes ont été séquestrés pendant plus de huit heures avant de pouvoir sortir aux alentours de 19 heures.

Neuf journalistes présents aux alentours du bâtiment ont été embarqués par la gendarmerie dans l’après-midi. Six d’entre eux ont été transférés à la gendarmerie de Dixinn et trois autres à la brigade de recherche de Kipé, en banlieue de Conakry. Interrogés sur les motifs de leur présence à la Maison de la presse dans l’après-midi, ils ont été libérés tard dans la soirée. Après une audition ce 19 janvier, le procureur de la République du tribunal de première instance de Dixinn a classé leur dossier d’accusation sans suite.

« RSF condamne vigoureusement ces interpellations de journalistes qui ne troublaient en rien l’ordre public, de même que la séquestration pendant une journée d’une trentaine de professionnels des médias. Le climat de terreur auquel sont confrontés  les médias et les journalistes en Guinée est extrêmement préoccupant. Les atteintes à la liberté de la presse s’enchaînent dangereusement. Nous demandons aux autorités d’y mettre un terme immédiatement et de laisser les journalistes et les médias exercer en toute liberté ». (Sadibou Marong Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF)

La veille de la manifestation avortée, le ministre de l’Administration du territoire, Mory Condé, avait annoncé qu’il mettrait “hors d’état de nuire” les responsables de tout acte éventuel de violence survenant lors de cette protestation. Le porte-parole du gouvernement, également ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Ousmane Gaoual Diallo, s’est de son côté étonné de cette mobilisation pour la presse, arguant que “des discussions sont engagées avec la presse pour essayer d’écouter les problèmes qu’ils posent, et d’y apporter d’éventuelles réponses”.

Bloqués, suspendus ou remplacés par des musiques “rendant hommage à l’armée” 

Cette descente, cette séquestration et ces arrestations de journalistes surviennent au lendemain du piratage des radios Espace FM et FIM FM, dont les ondes sont brouillées – comme celles de Djoma FM et d’Évasion – depuis fin novembre. Le directeur de FIM FM, Talibé Barry, a expliqué à RSF que “le même contenu est diffusé sur les deux radios simultanément, comme un ‘brouillage synchronisé’. Pourtant, notre émetteur est éteint et nos studios sont à l’arrêt depuis deux mois”. Au lieu des programmes, des musiques “rendant hommage à l’armée” au thème nationaliste sont diffusées en boucle, déplore la directrice de l’information d’Espace FM, Moussa Yéro Bah.

L’accès au site d’information Mosaïque Guinée – revendiquant une ligne éditoriale “indépendante et sans concessions” – est quant à lui bloqué depuis le 2 janvier sans explication. Son directeur de publication, Mohamed Bangoura, a indiqué à RSF avoir pensé qu’il s’agissait d’un problème technique, avant d’apprendre que la coupure était volontaire. Il n’en connaît pas la raison. Le site avait déjà subi des blocages en mai 2023, mois au cours duquel le pays a connu une série de violations de la liberté de la presse.

Pour leur part, le site d’information depecheguinee.com et son directeur de publication, Abdoul Latif Diallo, ont été purement et simplement  suspendus, le 17 janvier, par la Haute Autorité de la communication (HAC) qui régule les médias, respectivement pour une durée de neuf et six mois. Une décision qui sanctionne la publication d’un article abordant des détournements de fonds présumés et mettant en cause le gouverneur de la Banque centrale de Guinée (BCRG) ainsi que le ministre de l’Économie et des finances. Le journaliste et son média avaient déjà fait l’objet d’une suspension disproportionnée d’un mois, en septembre dernier.

L’étau se resserre sur la presse

L’étau se resserre dangereusement sur les journalistes en Guinée. Le 14 janvier, le journaliste français indépendant Thomas Dietrich a été arrêté et expulsé du pays manu militari, alors qu’il était venu enquêter et obtenir du contradictoire dans le cadre d’une enquête sur la Société nationale des pétroles (SONAP) et le patrimoine acquis par le directeur général de cette société, entre autres. Alors que son visa était valide, le journaliste a été placé en garde à vue pour “entrée illégale sur le territoire guinéen”. À ce jour, il n’a toujours pas reçu d’arrêté d’expulsion, et son ordinateur, qui avait été confisqué, ne lui a pas été restitué.

Après le brouillage des signaux de leurs radios fin novembre, les médias Djoma, Évasion et Espace ont vu leurs chaînes de télévision devenir indisponibles, à partir de décembre, sur les bouquets Canal+ et StarTimes. Une demande de la HAC qu’elle justifie par des raisons de “sécurité nationale”. C’est également un « problème sécuritaire » que le ministre des Affaires étrangères a récemment invoqué pour expliquer le blocage de l’accès aux réseaux sociaux dans le pays depuis deux mois.