Il s’appelait Aimé Henri Konan Bédié. L’un des trois dinosaures de la politique ivoirienne de ces deux dernières décennies, le «sphinx de Daoukro» a été vaincu par un malaise ce mardi 1er août, alors que la Côte d’Ivoire, dont il été le deuxième président, succédant à un autre baobab, Félix Houphouët Boigny, doit fêter, ce 7 août, le 63e anniversaire de son accession à la souveraineté nationale. Le symbole est d’autant plus éloquent que, comme ces dates commémoratives généralement figées, HKB, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) depuis le 30 avril 1994, soit 29 ans, était un «inamovible».
Il a traversé bien des tempêtes, perdant au passage, beaucoup de plumes, notamment le 24 décembre 1999, où il a été balayé par le coup d’Etat du général Robert Guéï qui était à la tête de mutins, des «zozos», comme les avait qualifiés à l’époque, Henri Konan Bédié, avant d’être contraint de s’envoler du palais présidentiel, à bord d’un hélicoptère de l’armée française pour un exil de deux si longues années sur les bords de la Seine. C’était le premier, et unique putsch militaire, en tout cas pour l’instant, vécu par la Côte d’Ivoire.
Henri Konan Bédié perdait ainsi le pouvoir dont il a hérité en 1993, passant de la chaire de président de l’Assemblée nationale, au fauteuil de président de la république, en sa qualité de dauphin constitutionnel du «Vieux». Ensuite, il était même sorti vainqueur de la présidentielle de 1995, avec le score stalinien de 96,44% des suffrages. Un pouvoir qu’il a essayé de reconquérir en vain, jusqu’à sa mort! Alors qu’il pensait pouvoir revenir aux affaires en 2020, persuadé que son heure de gloire avait sonné à nouveau, le président Alassane Ouattara lui barre la route en se présentant pour un autre mandat, le 3e, dénoncé comme «illégal» et «anticonstitutionnel», par l’opposition, avec pour chef de file, Henri Konan Bédié. Le «sphinx» ne renaîtra donc pas de ses cendres. Pourtant, il avait été l’artisan de la victoire de Alassane Ouattara pour qui il a appelé à voter, en 2010, au second tour d’une présidentielle de tous les dangers et rebondissements, contre Laurent Gbagbo. Une guerre civile a d’ailleurs obligé les deux hommes à un séjour forcé au Golf Hôtel, avant l’épisode arrestation et livraison du colis Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI). Bédié, oeuvrant dans le sens de retrouver les lambris dorés du palais présidentiel après les deux mandats de Ouattara, qui devait lui faire la passe, réitère son soutien à celui-ci en 2015, avec pour socle, l’historique discours dit «Appel de Daoukro».
Mais après la lune de miel, le divorce entre Bédié et Ouattara est intervenu en 2018 sur fond de plusieurs divergences. Malheureusement, du nouveau mariage, entre son PDCI et le Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo pour aller à l’assaut des municipales et régionales de septembre prochain, Henri Konan Bédié n’en verra point les fruits. «Les Chemins de –sa-vie» conduiront l’époux de Henriette, celle dont il a dit qu’elle était belle comme «une biche royale», vers ce monde, où il sera désormais loin des coups bas des politiciens, des intrigues de palais, des mariages et divorces, remariages et redivorces, selon les intérêts de l’heure.
«N’Zueba», c’est-à-dire- celui qui est toujours accompagné par la pluie, est parti avec cette pluie qui arrosait les berges de la lagune Ebrié qu’il a quittées discrètement et surtout sans bruit, alors qu’on avait fini par en faire un «immortel». «Immortel» il l’était effectivement, compte tenu de son âge, 90 ans, mais surtout parce qu’il a dominé pendant tout ce temps, la vie du PDCI-RDA qui, finalement, s’est facilement confondue avec sa propre existence. «Immortel» il le sera parce qu’il a écrit bien des pages de l’histoire sociopolitique d’une Côte d’Ivoire qui n’oubliera pas ses frasques, ses milliards fêtés et ses cigares griffés HKB.
Henri Konan Bédié parti, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour la Côte d’Ivoire, non plus avec le trio Bédié-Ouattara-Gbagbo comme acteurs incontournables, mais avec le duo des deux derniers à qui manquera certainement le «sage» de Daoukro.
Par Wakat Séra
