Que représente le gazage, ce samedi, du cortège de l’imam Mahmoud Dicko au retour de ce dernier de l’Arabie Saoudite, dans le tableau des relations entre tombeurs de feu Ibrahim Boubacar Keïta? Un divorce consommé ou juste un épiphénomène à vite ranger aux oubliettes? Interrogations légitimes, quand on sait que des nuages s’amoncellent depuis lors, au-dessus de la tête des alliés de circonstance d’hier, qui n’ont pas forcément planifié leur action déstabilisatrice en mouvement synchronisé. Les premiers, c’est-à-dire le très influent imam, Mahmoud Dicko et ses ouailles ont commencé le job en fragilisant, par de véritables raz-de-marée, le pouvoir de Ibrahim Boubacar Kéïta, ce qui a abouti de façon imparable à la chute de l’ancien président malien. IBK a été cueilli comme un fruit mur par les seconds. Le colonel Assimi Goïta et les hommes de Kati ont donc fini le boulot, en mettant en avant ce rôle d’arbitre qu’aiment jouer tous les militaires putschistes. L’ennemi commun anéanti, les objectifs divergent aujourd’hui.
Il y a un certain temps déjà que le feu couve. Entre la junte militaire au pouvoir à Bamako et le M5, le Mouvement du 5 juin qui, avec le Rassemblement des forces patriotiques a constitué le fer de lance de la chasse à IBK, ce ne sont pas les frictions qui ont manqué, même si le leader religieux charismatique avait dit déposer les armes pour retourner à son tapis de prière. Sorti de sa réserve face aux dérives des putschistes, l’homme de Dieu a même traité les nouveaux patrons de Bamako, de «dirigeants arrogants» qui gagneraient à changer le fusil d’épaule, au propre comme au figuré, pour éviter de «commettre les erreurs du passé». La dernière pomme de discorde? La Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) est vent debout contre le projet de nouvelle constitution que la junte tient mordicus à faire passer au forceps.
Le religieux et ses partisans ne font pas mystère de leur hostilité à l’initiative, conscients qu’en Afrique, le referendum et les élections ne sont organisés que pour être remportés par ceux qui les ont organisés. C’est ainsi que la candidature du colonel Assimi Goïta pour la prochaine présidentielle est déjà réclamée par un certain «Collectif pour 5 ans ou plus». Pour ce rassemblement aux desseins très peu voilés, cette requête visiblement suscitée par ceux à qui elle profite, entre dans la logique de «préserver la souveraineté retrouvée». Le mot est lâché. Cette «souveraineté» dont se vante la junte, alors qu’en plus d’autres réalités, une bonne partie du territoire national, paradoxalement censé être défendu par Assimi Goïta et ses soldats, est aux mains des terroristes qui sèment au Mali, larmes et désolation au quotidien.
Et le constat est là, implacable: la junte au nom de la souveraineté selon Assimi Goita, fait le vide autour d’elle et persiste dans l’isolement du Mali: musellement de la presse nationale, Rfi et France 24 hors-jeu , chasse aux diplomates ciblés désormais non-grata, sans compter les interminables pressions sur la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma)… Excusez du peu! la stratégie est simple: les observateurs à cheval sur les principes démocratiques et le respect des droits humains, on les met dehors, on se barricade et on opère! Silence, on mate!
La junte du colonel Goita ne fait donc pas dans la dentelle pour parvenir à ses fins, le tout savamment drapé sous le manteau d’un nationalisme et d’une souveraineté éculés qui, au final, ne trompent personne: cette junte a fini de convaincre les plus sceptiques qu’elle n’a d’autre visée que de garder le pouvoir pour longtemps encore! Quitte à se refaire une virginité par les urnes!
Mais attention au retour de la manivelle! Car l’affront fait au célèbre imam peut changer la donne. Des populations entières au Mali ne jurent que par Mahmoud Dicko. Jusque-là, elles ont supporté bien des avanies et volontiers avalé les couleuvres servies par la junte. Toutefois, gare à l’humiliation de trop qui mettra hors des cordes, l’imam Mahmoud Dicko et les siens. On est en plein dans le «wait and see» des anglo-saxons!
Par Wakat Séra