Immigration et défis altéritaires
SAMANDOULGOU Wendlassida Serge Dénis
Le débat sur l’immigration occupe une place centrale dans l’environnement politique occidentale. À l’instar de la prison, de l’asile ou du pensionnat, l’immigré se voit exclu et confiné dans une représentation psycho sociale qui fait de lui une personne isolée.
Mais le phénomène migratoire est une réalité constitutive de l’expérience humaine. Depuis des temps immémoriaux, les hommes ont toujours migré pour des raisons sécuritaire, économique, climatique ou autre. Le phénomène s’accompagne aujourd’hui le plus souvent d’une série de clichés qui renvoient la figure de l’immigré à des symboles de mendicité, de culture primitive avec à la clé toute une batterie de mesures destinées à contrôler, à quadriller ces personnes dont la vie devient de plus objet de luttes âpres pour la conquête du pouvoir dans les démocraties occidentales. Mais la stigmatisation de la figure de l’immigré ne date pas d’aujourd’hui. En effet, les Grecs appelaient « barbares » les personnes étrangères à leur civilisation. Le terme « métèque » peu valorisant dans l’Antiquité grecque est aujourd’hui proche de celui de migrant. Mais la situation des immigrés comporte un paradoxe : en même temps qu’ils sont discriminés dans les nations où ils s’établissement, leur sort est souvent invoqué dans le débat public.
La personne immigrée est par essence vulnérable et partant exposée à toutes sortes de traitements à résonnance discriminatoire. Il suffit de considérer les murs barbelés érigées en Hongrie et les politiques de rapatriement ou de reconduction à la frontière pour se convaincre de l’enfer de l’immigration. Dans la plupart des pays où ils s’établissent, ils occupent majoritairement ce qu’il convient d’appeler « le travail au noir ». L’humanité de l’immigré est même imbriquée dans l’impératif au travail. Ce qui signifie qu’en l’absence de travail, il est simplement réduit à zéro. Son statut d’immigré corrélé à l’impératif de travail prime sur son humanité. On n’immigre pas seulement par ce qu’on est un être humain, on immigre parce qu’il y a du travail pour immigrés. La substance donc de la personne de l’immigré se réduit au travail pour el quel il est là, et pour lequel il est fait.
Mais l’acte d’émigration est en lui-même avant tout une initiative difficile du fait de la fragilisation des liens sociaux et culturels que cela entraîne. L’immigré connaît donc une double absence : absent de son pays d’origine et discriminé dans son pays d’accueil. Mais il faut dire que l’immigré est par vocation un travailleur provisoire. L’immigré parce qu’il est un travailleur provisoire nourrit toujours l’illusion du retour. Même si ce provisoire dure indéfiniment, c’est l’illusion du provisoire qui confère à l’immigration sa légitimité. Cette représentation dominante caractéristique du concept d’immigration se ressent aussi bien chez l’individu immigré que chez les natifs. Mais lorsque cette illusion du retour dure indéfiniment entraînant le regroupement familial, cela donne du grain à moudre aux discours anti immigration. Le discours du Front national en France par exemple sur la présence des musulmans s’enracine non seulement dans des considérations identitaires, économique mais aussi dans une approche biopolitique au sens où il y a une sorte d’instrumentalisation de la figure même du musulman pour la conquête d’un électorat, prisonnier lui-même d’un discours qui instrumentalise la peur. Mais au-delà du Front national, c’est la politique des gouvernements occidentaux qui fait de l’immigration un objet de lutte pour la conquête du pouvoir. En effet, tandis que la profusion des discours va dans le sens de l’affirmation des droits de l’homme et des minorités visibles en particulier, le discours politique est toujours ponctué de calculs, de manipulations selon les enjeux de l’heure. En témoigne la réalité de la politique occidentale qui pose le problème de l’immigration toujours en rapport avec un problème social, comme par exemple, « immigration et emploi », « immigration et logement », « immigration et vote », « immigration et regroupement familial ». Comme on peut le voir, l’immigration ne peut se penser en elle-même sans rapport aux problème sociaux parce que qu’elle est elle-même un problème social. Il n’y a qu’à considérer « la jungle » de Calais en France ou l’érection des barrières anti migrants pour comprendre à quel point l’immigration est un thème politique majeur dans l’arène politique. Ces stratégies de d’isolement ou de mise à l’écart de l’immigré ne prennent pas en compte la complexité de l’immigration qui est en partie le résultat d’un rapport de pouvoir, d’un rapport de domination que des pays ont exercé sur d’autres. Le couple émigration-immigration est l’effet boomerang d’un rapport de domination. En d’autres termes, l’immigration est une des conséquences de la colonisation. Toutes les politiques migratoires en Occident se conçoivent à partir d’une vision instrumentale de l’immigration qui réduit l’immigré à sa seule force de travail. Travailleur provisoire, il passe aussi pour une personne provisoire dont l’utilité est limitée dans le temps par la durée du travail pour lequel il est là. Contrairement aux natifs, il n’existe pas d’immigré chômeur au sens strict. L’immigré se trouve toujours quelque chose à faire, les immigrés occupent majoritairement les emplois délaissés par les natifs. Au prétexte donc de protéger ces derniers et leurs emplois, on développe et entretient à tort le sentiment anti-immigration par des discours trompeurs et fallacieux dont le but reste la conquête du pouvoir. C’est ce qui fait du discours sur l’immigration un discours biopolitique, un discours qui se nourrit de la peur de l’autre, de l’altérité.
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