Que s’est-il passé? C’est encore la seule question que peuvent se poser, pour le moment, les populations de la Guinée, encore sous le choc de l’incendie meurtrière qui s’est déclarée dans la nuit du dimanche au lundi 18 décembre, suite à une forte explosion au principal dépôt d’hydrocarbures de la Société guinéenne de pétrole. Ce qu’il conviendra désormais d’appeler le drame de Kaloum, a eu pour théâtre le quartier de Coronthie. Au moins 13 morts et 178 blessés! Le bilan est officiel, probablement provisoire, mais continue de laisser perplexe, ce Guinéen qui est persuadé que cette énorme boule de feu sortie du ventre des cuves de carburants a dû faire plus de victimes.
Des milliers de Guinéens et de Guinéennes sont tout autant dubitatifs sur les chiffres gouvernementaux, eux qui, en se couchant dans leurs maisons ignoraient qu’ils allaient se réveiller en pleine nuit, le feu à leurs trousses et le matin, devenir des sans domicile. Les dégâts, en plus des pertes en vies humaines, sont matériels, et surtout insupportables pour des populations acculées dans leurs derniers retranchements par la vie chère, des mesures de restriction de liberté d’expression, notamment la coupure de l’internet et de suspension de journaux et de retrait de certaines chaînes d’information, etc.
En tout cas, entre tristesse, colère et interrogations, les sinistrés comme tous leurs concitoyens, ne cessent de relever cette négligence des dirigeants qui est à la base de leurs souffrances indescriptibles. En effet, comment laisser cohabiter un danger aussi important comme les dépôts et camions citernes remplis d’hydrocarbures, avec les hommes? Dire que cela fait des années que les populations demandent, sans jamais réussir à se faire entendre par les pouvoirs qui se sont succédé, la délocalisation de ce dépôt qui ne devrait avoir sa place que loin d’elles. Mais comme un volcan en sommeil, le dépôt a attendu son heure pour entrer en irruption, semant larmes, désolation et désespoir.
Et une fois de plus, c’est par un communiqué laconique, face à l’ampleur de la catastrophe, que le gouvernement a présenté ses condoléances aux familles des morts, exprimé sa compassion aux blessés dont les soins sont «entièrement gratuits», fermé les écoles et stations par précaution, mis en congé les travailleurs du public et du privé, etc. Si l’heure n’était pas à la tristesse, on pourrait rire de cette batterie de dispositions mises en branle par le «médecin après la mort». Pourtant, il est dit que «gouverner c’est prévoir» tout comme selon l’autre sagesse universelle, «mieux vaut prévenir que guérir».
Seul bémol pour le pouvoir militaire de transition, la Guinée n’est pas la seule victime de l’incurie des dirigeants africains. Bien des aéroports sont encore installés en pleine ville au milieu d’habitations où le train d’atterrissage des avions touche presque les toits des maisons. Bien des quartiers sont encore exposés à la furie des eaux à chaque saison des pluies, même quand le ciel n’est pas exagérément généreux. De nombreux «Joola», ce ferry qui reliait la capitale sénégalaise Dakar à la région de la Casamance, qui a sombré le 26 septembre 2002 faisant plus de 1863 morts selon un bilan officiel, voguent encore en toute tranquillité, sur les cours d’eau en Afrique, en attendant l’irréparable. Que dire de ces cercueils roulants qui transportent, en surcharge, de jour comme de nuit, des passagers qui ne comptent que sur Dieu et les mânes des ancêtres pour arriver à destination?
Peut-on occulter tous ses marchés où des milliers de vendeurs et d’acheteurs se côtoient, les premiers installés dans l’anarchie totale, et qui sont dévastés par le feu au moindre court-circuit électrique ou un petit mégot de cigarette au bout encore rougeoyant, jeté par un fumeur insouciant, mais tout de même criminel? Le chapelet de négligences pourrait être égrené à satiété, mais au bout, c’est toujours l’imprévoyance de ceux qui nous gouvernent qui est mise à nu. Les intérêts personnels et très égoïstes primant toujours sur la recherche du mieux-être de populations abandonnées à elles-mêmes, comme un troupeau sans berger.
Que vont révéler les enquêtes promises par le pouvoir du colonel Mahamadi Doumbouya qui est préoccupé par sa transition encore sans véritable tableau de bord et la chasse au colonel Claude Pivi alias Coplan, l’un des accusés du procès du massacre du 28 septembre 2009, toujours en cavale depuis son évasion rocambolesque de la prison centrale de…Coronthie? Fait du hasard, cette maison d’arrêt se trouve dans le même quartier qui a été secoué par l’explosion du dépôt d’hydrocarbures.
Si ce drame est, indubitablement celui de trop dans une Guinée qui cherche stabilité politique et cohésion nationale pour enfin occuper la case qui est la sienne sur l’échiquier du développement en Afrique.
Par Wakat Séra
