98,26% c’est le score sans appel par lequel Uhuru Kenyatta a gagné la présidentielle du 26 octobre 2017 au Kenya. En boxe, c’est ce qu’on appelle un KO. Seulement que sur le ring, le président sortant et entrant était tout seul. Son challenger a jeté l’éponge avant même un combat dont les dés avaient été pipés et les règlements faussés pour servir sur un plateau d’or, la victoire à son organisateur. C’est donc sans surprise que ce scrutin bis, le premier ayant courageusement été invalidé par la cour suprême kenyane a consacré la victoire sans panache d’un Uhuru Kenyatta qui, envers et contre toute l’opposition et une bonne partie du peuple s’accroche à un fauteuil qu’il occupe depuis le 9 avril 2013, au titre de son premier mandat. Il s’offre donc un second quinquennat qui s’annonce bien compliqué pour lui. Alors qu’on s’attendait qu’il se mette au-dessus de la mêlée, à défaut d’avoir repoussé plus loin la date de cette élection pour lui assurer une meilleure organisation et ramener les opposants dans la course, Uhuru Kenyatta a choisi la voie vindicative. Ces premiers mots de président réélu, qui ont célébré la résistance du Kenya, n’ont rien d’apaisant pour un pays où le mercure politique ne baisse toujours pas. Paré de ses habits d’ancien nouveau président, le fils de Jomo Kenyatta, le premier président du Kenya a comme confirmé la guerre éternelle entre les Kikuyu de son ethnie et celle des Luo dont est issu son opposant historique, Raïla Odinga, fils de Oginga Odinga, le premier vice-président de son pays.
Comment Uhuru Kenyatta exercera-t-il cette victoire à la Pyrrhus, obtenue dans une facilité déconcertante après l’abandon de Raïla Odinga, son meilleur ennemi? Le Kenya, habitué des violences électorales ouvre une fois de plus les portes de lendemains incertains, sur fonds de menaces d’affrontements ethnico-politiques. Tout ça pour ça, pourrait-on logiquement se demander alors que les espoirs étaient grands d’assister à une élection présidentielle plus ouverte, équitable et surtout mieux organisée, suite à l’invalidation par la Cour suprême de celle du 8 août largement entachée d’irrégularités de toutes sortes. La commission électorale, la très décriée IEBC, tout en se satisfaisant d’une élection «libre, juste et crédible», n’en n’a pas moins ôté à des électeurs de 25 circonscriptions de l’ouest du pays, leur droit de citoyen. Si insécurité il y a, le devoir n’incombe-t-il pas à l’Etat de prendre les mesures idoines pour instaurer un climat de paix, et permettre une élection ouverte à tous? Malheureusement, seuls les intérêts égoïstes et très personnels, ont prévalu. Les politiciens succombant facilement aux vertiges du trône, le reste fut un jeu facile pour Uhuru Kenyatta et ses séides. Les morts et les nombreux blessés déjà enregistrés n’ont servi à rien. En tout cas pas à remettre le Kenya sur les rails de la vraie démocratie.
Un pays désormais déchiré jusque dans ses entrailles. C’est le danger qui guette le Kenya, dont l’entêtement des politiciens est des plus suicidaires. Les deux camps, pouvoir et opposition, ayant raidi leurs positions respectives, au point où toute perspective de dialogue semble introuvable. Les prières des coutumiers et religieux, les supplications des chancelleries étrangères et les souffrances de populations livrées aux violences et à l’exil ne rencontrent que la radicalisation d’hommes politiques engagés dans un dialogue de sourds des plus inquiétants. Même s’il faut n’être que le président d’une portion congrue du Kenya, en témoigne la chute vertigineuse du taux de participation qui est tombée à 38,8% après les 79% du l’élection annulée, Uhuru Kenyatta est prêt. Tout comme Raïla Odinga est décidé à enclencher une lutte de résistance «pacifique», dont on sait qu’elle débouchera inévitablement sur des affrontements avec la police à la gâchette facile de Uhuru Kenyatta. A qui profitera le crime? En tout cas pas à l’innocent peuple kényan pris en otage depuis des décennies par les deux familles Kenyatta et Odinga, pour qui le pouvoir est une fin en soi.
Par Wakat Séra