Elections, c’est pas la guerre! Les Kényans ne l’ont sans doute pas encore compris, eux qui s’apprêtent à se massacrer une fois de plus, au nom d’une compétition électorale qui plonge le pays dans une incertitude partagée par tous. Commission électorale et Cour constitutionnelle reconnaisse que le challenge d’organiser un scrutin crédible est pratiquement impossible à relever, compte tenu de la pression et des tensions venant de toutes parts. Pour faire tomber la température, seul un report pourrait désamorcer le chaos qui se prépare au Kenya, du fait des seuls politiciens guidés par des intérêts personnels et très égoïstes. Le pouvoir ou rien, c’est le seul slogan qu’il connaisse le mieux et qu’ils ont de commun, quitte à atteindre le fauteuil présidentiel, porté par une rivière de sang et marchant sur des cadavres de leurs électeurs.
Attention danger! Plus qu’un avertissement, c’est une interpellation à l’endroit de la classe politique kényane qui, si elle n’y prend garde embrasera le pays de nouveau. Le rituel des violences électorales est en plein téléchargement dans un Kenya coutumier du fait. Comme une malédiction qu’il traîne depuis que les familles Kenyatta et Odinga ont pris le pays en otage, dominant une vie politique rythmée par des élections toujours rouges du sang de pauvres innocents jetés dans la rue pour contester ou soutenir une victoire. Ce cycle ininterrompu de crises anté ou post électorales n’a du reste pu être exorcisé avec les scrutins généraux du 8 août dernier. Fort heureusement, la danse des morts a été écourtée par la cour suprême qui a courageusement tapé du poing sur la table en invalidant la présidentielle à l’issue de laquelle la commission électorale kényane (IEBC), aux ordres selon l’opposition, avait donné le président sortant, Uhuru Kenyatta, vainqueur avec 54,27% des voix contre 44,74% pour son adversaire direct. Mais les vieux démons n’ont visiblement pas abdiqué, car cette élection qui devait être organisée dans les 60 jours après le couperet de David Maraga, juge en chef de la cour suprême, s’annonce comme celle de tous les dangers.
En effet, prévue pour ce jeudi 26 octobre, la joute électorale présente tous les symptômes d’une guerre civile, dont les ingrédients se mettaient progressivement en place depuis la défection de l’icône de l’opposition kenyane, Raïla Odinga qui n’accorde aucune crédibilité à l’IEBC dont il avait demandé la démission. En se retirant de la course à la présidentielle du 26 octobre, sa quatrième et sans doute dernière chance d’accéder au fauteuil suprême, Raïla Odinga n’en démord pas moins de se faire entendre. Visiblement, le septuagénaire et éternel candidat n’est pas prêt à lâcher le morceau. Le leader nie de la Super alliance nationale (Nasa), est décidé à empêcher la tenue d’une élection sur laquelle il fait peser de forts soupçons d’irrégularité. Malgré les cultes qui ont, récemment fait monter les supplications des Kenyans vers les cieux pour implorer la paix, nonobstant les interventions des chancelleries occidentales et les initiatives de la société civile à calmer les esprits surchauffés, les inquiétudes sont vives et persistantes. Dans un Kenya où les nerfs sont à fleur de peau à la veille de cette élection, les souvenirs des 1 200 morts et des plus de 600 000 déplacés dus aux violences interethniques provoquées par l’élection de 2007, ont très vite refait surface.
Ne faut-il pas reporter cette élection qui ne présage rien d’autre que le chaos, afin de faire tomber la fièvre et amener les ennemis politiques à se parler pour trouver un modus vivendi salvateur pour le pays? Face à la hargne et la détermination des opposants à ne plus, selon eux, se faire voler la victoire, comment réagiront les forces de sécurité fidèles au pouvoir et reconnues pour avoir la gâchette facile dans la répression brutale des manifestations? C’est le souffle presque coupé que les populations, celles qui n’ont pas fui la capitale qui présente tous les aspects d’un véritable volcan en sommeil, vivent dans l’attente de cette élection. A moins que les Kényans ne jouent simplement à se faire peur, la marmite est au bord de l’explosion. Et si dans un miraculeux sursaut patriotique, et pendant qu’il est encore temps de le faire, les Kényans se décident à reporter ce vote de tous les dangers auquel seul le pouvoir de Uhuru Kenyatta croit, heureux de profiter du jet d’éponge de Raïla Odinga? L’espoir est mince, mais il est encore permis, si tant est que Uhuru Kényatta et ses séides veulent raison garder.
Par Wakat Séra