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Kenya: entre pouvoir politique et «empires» financiers

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Par le biais de cette réflexion parvenue à notre rédaction avant les élections générales qui se sont déroulées le 8 août 2017, Jean-Jules Lema Landu,  «journaliste congolais, réfugié en France», se penche sur un pan de l’histoire du Kenya qu’il évoque en mettant en relief la rivalité légendaire entre les deux familles Kenyatta et Odinga.

L’Histoire a encore bégayé au Kenya. L’ombre du spectre des événements qui ont endeuillé la présidentielle de 2007 planait sur le pays, à mesure que l’on s’approchait de la date fatidique du 8 août. En dépit de toutes les précautions mises en œuvre, le rituel macabre s’est encore imposé : contestation véhémente de résultats, actes de vandalisme, bain de sang.

Les raisons sont d’ordre politique, ethnique et… financier ; ce dernier point a souvent été oublié, alors qu’il joue un rôle important dans la configuration socio-politique du pays.

Les élections, au Kenya, c’est la guerre pour le pouvoir entre deux ethnies, deux «empires» financiers. Car, le Kenya postcolonial, c’est l’histoire des deux hommes : Jomo Kenyatta, de l’ethnie kikuyu (majoritaire), et Odinga Oginga, de l’ethnie luo. L’un et l’autre furent, à l’époque ( dans les années 1930 -1940), de rares sommités intellectuelles kenyanes. Kenyatta ethnologue formé à Londres, Odinga diplômé de l’éducation de la fameuse université de Makerere, en Ouganda.

A l’indépendance du pays, en 1963, les deux fleurons collaborent. Dans l’effervescence de la liberté fraîchement conquise, le temps n’était pas aux disputes. Kenyatta occupa les fonctions de président et Odinga celles de vice-président. Une entente qui durera jusqu’en 1965, avant de connaître une rupture brutale, et une première empoignade sanglante ethnique entre les Kikuyu et les Luo: 11 morts et des dizaines de blessés.

C’est le départ d’un psychodrame que vont hériter leurs deux rejetons, Uhuru Kenyatta, d’une part, Raila Odinga, de l’autre. Mais un héritage complexe, du fait qu’en Afrique, quand quelqu’un émerge en politique ou dans les affaires, il devient, du coup, leader en tout, mais surtout un «patron», créateur d’emplois en faveur des membres de son ethnie. C’est, à ce titre, que le patriarche Odinga Oginga fut désigné «Ker» (roi, en luo).

Les deux «dynasties» règnent sur de véritables empires financiers. Si, en 2011, Uhuru a été classé par le magazine Forbes, 26è fortune africaine, pesant près de 500 millions de dollars, son rival caracolait entre 200 et 300 millions de dollars. Chaque camp représente un puissant conglomérat, avec une immense capacité d’embauche. C’est donc des patrimoines à défendre, non à titre individuel, mais au nom de chaque ethnie. Ainsi, pour les deux dirigeants, entre en ligne de compte, presque inconsciemment, la notion de «responsabilité pour l’autre» du philosophe Emmanuel Levinas.

Or, pour assurer l’épanouissement et la survie de ces entreprises et, par ricochet, le bien-être des membres de chaque ethnie, on connaît la voie, en Afrique: s’appuyer sur la puissance et les «vices» de la politique.

C’est dans ce registre qu’il faut placer la saga de la lutte politique kényane, dont le flambeau a été repris par Uhuru Kenyatta et Raila Odinga. Battu à deux reprises par les leaders kikuyu, après la mort de Jomo Kenyatta, en 1978, Raila entre dans l’arène, pour la troisième fois, contre le jeune Uhuru, en 2013. Il perd la partie contre le novice qui l’emporte d’un cheveu, avec 50,07 % des voix.

Restait donc pour le vieux lion, âgé aujourd’hui de 72, un tout dernier round à livrer, avant de prendre le chemin du grenier politique kényan. Raté! Encore une fois, c’est le jeune loup, 51 ans, qui l’a emporté haut la main, avec 54,27 % des suffrages. Incontestable. Mais contestable, par nature en Afrique, pour quiconque rate le coche.

Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France

NDLR: Il faut noter que la victoire de Uhuru Kényatta a été remise en cause dans une décision inédite et historique de la Cour suprême kényane suite à la protestation du camp de Raïla Odinga. La nouvelle élection présidentielle est prévue pour la fin du mois d’octobre de cette année.