Dans cet article, Issa Sombié, Ph D, Sociologue, Attaché de recherche, INSS/CNRST, pose la question de la légitimité des comités de gestion des centres de santé(CoGes) comme obstacle à leur efficacité.
Introduction
L’une des exigences fondamentales de la promotion des soins de santé primaires depuis la conférence d’Alma-Ata en 1978 réside dans l’implication des communautés dans la gestion des services de santé. La conceptualisation de cette orientation recouvre plusieurs formes, variables d’un pays à un autre. Dans de nombreux pays africains, la mise en place des comités de gestion dans les différents centres de santé semble l’une des formes les plus répandue (Miyakita & Ueda, 2000; Reis, Yan, Parra, & Brownson, 2013). Au Burkina Faso, depuis 1993 et à la faveur de la mise en œuvre de l’Initiative de Bamako, il a été mis en place des comités de gestion(CoGes) dans tous les centres de santé et de promotion sociale. Les CoGes sont animés par des membres issus de la communauté et élus au cours d’une assemblée générale. Ils doivent jouer un rôle important dans le dispositif de promotion de la participation communautaire, en ce sens qu’ils restent l’interface entre les populations locales et les services de santé. Constatant que ces entités communautaires ont du mal à jouer pleinement leurs rôles, cet article analyse la contre-performance des CoGes. Une crise de légitimité, qui caractérise les rapports qu’ils entretiennent avec les populations locales, semble en être l’origine.
Les éléments de crise de légitimité du CoGes
Pour analyser la crise de légitimité du CoGes, trois éléments sont pris en compte. Il s’agit des perceptions, des attentes envers la structure et les profils des personnes qui animent cette structure. Les résultats de l’enquête montrent que le CoGes n’est pas bien connu auprès des habitants des villages du district sanitaire de Tenkodogo. Les entretiens et les focus groupes ont permis de se rendre compte que bon nombre de personnes ne savent pas ce que signifie le CoGes, encore moins ses missions, son mode de fonctionnement et l’identité de leurs représentants qui y sont. Du groupe de personnes qui ne odisposent pas d’assez de connaissances sur le CoGes, on constate que les femmes sont les plus nombreuses. Lors des focus groupes, elles ont été la majorité de ceux qui ignoraient presque tout du CoGes de leur aire de santé. De même, lors des entretiens individuels, les réponses données par nombre de femmes à la suite des questions relatives au CoGes n’étaient pas exactes. Par exemple, une participante âgée de 34 ans, mère de 05 enfants et n’ayant pas fréquenté l’école affirmait : « Le CoGes, ce sont les gens qui aident les agents de santé à faire la vaccination ». Une autre participante, âgée de 22 ans, célibataire et mère d’un enfant, non scolarisée a dit ceci : « je pense que le CoGes, ce sont les gens qui viennent de Tenkodogo pour contrôler l’argent du CSPS ».
Ce décalage des connaissances sur le CoGes entre les femmes et les hommes peut s’expliquer par quelques facteurs liés au contexte local. Si, d’une manière générale le niveau de scolarisation des participants à l’étude est faible, on constate qu’il est davantage très bas dans le groupe de femmes. Plusieurs personnes parmi les hommes ont au moins fréquenté l’école même si elles n’ont pas achevé le cycle primaire. Ce qui fait qu’elles peuvent communiquer dans un français très approximatif. Ce qui constitue en soi un avantage pour l’accès à l’information. Un autre facteur non négligeable est l’accès à un canal important de l’information, à savoir la radio diffusion. Les femmes ont été rarement aperçues en train d’écouter la radio dans les villages où les données ont été collectées. Des études menées dans d’autres régions de l’Afrique (Baatiema, Skovdal, Rifkin, & Campbell, 2013; Hildebrandt, 1996; Ndiaye, Tal-Dia, Sambou, Wone, & Diallo, 2003)avaient constaté une faible fréquence d’écoute de la radio par les femmes. Il s’agit là d’une situation qui ne favorise pas l’amélioration de leurs connaissances et partant le renforcement de leur autonomie et de leur pouvoir d’agir (Cohall, Scantlebury-Manning, Cadogan-McLean, Lallement, & Willis-O’Connor, 2012; Splinter, 2012).
Les participants qui font preuve d’une relative connaissance du CoGes fondent en lui beaucoup d’attentes. Oubliant les missions officielles de cette structure, ils estiment que l’avènement des CoGes devrait être une opportunité pour résoudre de façon durable et efficiente les problèmes majeurs de santé auxquels les populations font face. C’est ainsi qu’ils ont pour la plupart surévalué les capacités de cette instance, n’hésitant pas parfois à la comparer à un projet. On a ainsi consciemment ou non apprécié le CoGes à travers la grille utilisée pour un projet. L’idée communément partagée d’un projet est qu’il est censé satisfaire intégralement les besoins des populations. Dès lors, comme le CoGes n’arrive pas à jouer ce rôle, il est perçu comme un organe inutile.
Les caractéristiques sociodémographiques des membres CoGes jouent également un rôle important dans le processus de légitimation de cette structure communautaire. En effet, on a observé que certains membres de la communauté étaient disposés à accorder leur confiance à des responsables CoGes qui sont lettrés. De plus, certains traits de personnalité comme l’honnêteté, le respect de l’autre sont aussi valorisés dans le jugement. Le manque de légitimité des CoGes viendrait de l’inadéquation de leurs missions avec les attentes des populations et aussi des personnes qui dirigent ces organes communautaires. Les communautés ne semblent pas se reconnaitre dans la structure et ne font pas non plus confiance aux personnes qui les animent.
Conclusion
Dans la promotion de la stratégie de participation, le CoGes devrait jouer un rôle capital. Sa principale mission est d’impulser la dynamique locale autour des services de santé. Cependant, on constate qu’elle n’arrive pas être à la hauteur des tâches qui lui ont été confiées et pour cause. Le profil de membres pose problème en ce sens qu’ils ont une très faible connaissance du système de santé et du fonctionnement général de l’administration. Les populations locales pour plusieurs raisons (profil des membres, attentes non comblées, accusation de détournement) ne font pas confiance au CoGes rendant son fonctionnement difficile. Le déficit de légitimité dans lequel se trouve ne facilite pas leur ancrage social et constitue un obstacle majeur à leur efficacité.
Bibliographie
Cohall D. H., Scantlebury-Manning T., Cadogan-McLean C., Lallement A., & Willis-O’Connor S. (2012). The impact of the healthcare system in Barbados (provision of health insurance and the benefit service scheme) on the use of herbal remedies by Christian churchgoers. West Indian Med J, 61(3), 258-263.
Liao W. K., Zhang X., & Ma J. (2012). [The development on surveying and monitoring physical fitness and health among Chinese students and the establishment of its system]. Zhonghua Yu Fang Yi Xue Za Zhi, 46(9), 771-775.
Miyakita T., & Ueda A. (2000). [Evaluation of hearing disorders and social support among the middle aged and elderly in the community. I. Analysis on the relationship between hearing difficulties and social participation, and self-rated health]. Nihon Koshu Eisei Zasshi, 47(7), 571-579.
Reis R. S., Yan Y., Parra D. C., & Brownson R. C. (2013). Assessing Participation in Community-Based Physical Activity Programs in Brazil. Med Sci Sports Exerc. doi: 10.1249/MSS.0b013e3182a365ae
Splinter G. (2012). Looking forward: Where does the emerging field of genomics fit in the health care delivery system? J Okla State Med Assoc, 105 (9), 360.
Baatiema, L., Skovdal, M., Rifkin, S., & Campbell, C. (2013). Assessing participation in a community-based health planning and services programme in Ghana. BMC Health Services Research, 13(1), 233. (doi:10.1186/1472-6963-13-233).
Hildebrandt, E. (1996). Building community participation in health care: A model and example from South Africa. Image: the Journal of Nursing Scholarship, 28(2), 155‑159.
Ndiaye, P., Tal-Dia, A., Sambou, R., Wone, I., & Diallo, I. (2003). Bilan et perspectives de la participation communautaire au centre hospitalier régional de Ziguinchor (Sénégal). Cahiers d’études et de recherches francophones/Santé, 12(4), 383‑387.