Petit pays très riche et mis en quarantaine par ses voisins. Ainsi pourrait-on décrire le Qatar avec qui l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, les Maldives, l’Egypte et le Bahrein ont rompu leurs relations diplomatiques. Accusant Doha de soutenir le terrorisme qu’il se présente sous les visages de Al-Qaïda, Etat islamique ou Frères musulmans, certains de ses voisins lui imposent depuis lundi 5 juin, un blocus économique et diplomatique. Cet isolement répond bien au qualificatif de séisme diplomatique dans le golfe. Mais l’onde de choc de cette crise ne se limite pas au Golfe, compte tenu des relations entre ces pays avec d’autres. Les positions se prendront selon les alignements stratégiques et idéologiques. et depuis cinq jours, chaque partie est intraitable. Si le Qatar est persuadé qu’il peut supporter cet isolement éternellement, en face les pays pro-saoudiens comptent le ramener ses ambitions à des proportions aussi menues que l’étendue géographique de ce petit émirat de 11 586 km2.
Au fait, est-ce vraiment le Qatar qui est visé dans cette opération où l’Iran que Donald Trump aimerait bien frapper, comme l’avait fait Georges W. Bush en 2003, déversant une puissance de feu inouïe contre l’Irak, que Washington avait accusé faussement de détenir et de fabriquer des armes de destruction massive? En tout cas, tout semble ramener cette région du Golfe vers le scénario sanglant de 2003, avec cette fois-ci le fantasque Trump dans le costume de shérif du monde.
En Afrique, si la crise devrait s’inscrire définitivement dans la durée, les options seront davantage pragmatiques, et très «alimentaires». De go, il faut le dire comme ce proverbe justement très africain, « quand les couteaux se battent, le coq doit s’éloigner ». En effet, si la Mauritanie, le Gabon, le Tchad, le Sénégal ont agrandi la coalition anti-Qatar, plusieurs pays du continent, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne ne sauraient se précipiter dans une quelconque prise de position au profit d’un des protagonistes en conflit. Certes, l’acte d’accusation est très grave car le terrorisme est aujourd’hui sans frontière et frappe sans répit et surtout indistinctement, en Occident comme en Afrique. Mais les réalités économiques des Africains ne sont pas des meilleures et nombre de dirigeants courent de plus en plus vers le Qatar pour y chercher, n’ayons pas peur des mots, de quoi faire subsister leurs populations. C’est aussi vrai que l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, déversent souvent leur trop plein de dattes, de moutons de Ramadan ou de Tabaski, de nattes et tapis de prière, de bouilloires et parfois de pétro-dinars pour la construction de mosquée et d’écoles arabes. Bien qu’ayant eu la réputation très peu flatteuse de soutien au terrorisme de son vivant, le libyen Khadafi et plus particulièrement ses largesses financières n’ont jamais été boudés en Afrique. Mieux, Tripoli devenu la Mecque des politiques, était pris d’assaut par tout dirigeant africain qui se respectait. Et puis, dit-on, l’argent n’a pas d’odeur! Quant aux pays maghrébins comme l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, à l’instar du Soudan et de la Somalie, ils invitent les pays frères arabes au dialogue.
La crise n’aura pas que des répercussions politico-diplomatiques si elle persiste, car la monarchie isolée est le pays organisateur de la coupe du monde 2022 qui s’approche à grands pas. Du reste, cette attribution très controversée et aux fortes odeurs de pétro-dinars semble être à l’origine de tous les malheurs du Qatar qui, par tous les moyens, entend acquérir de la notoriété, et surtout de la sympathie à travers le monde, histoire de s’émanciper quelque peu de la domination du grand-frère de l’Arabie Saoudite. Le «Qatargate» et maintenant les accusations ouvertes de soutien au terrorisme ne sont pas les meilleurs qualificatifs pour un pays en quête de reconnaissance planétaire et pour qui ce mondial de football était du pain béni. Les ambitions du Qatar sont-elles démesurées ou suscitent-elles une jalousie et une haine mal placée de la part des pro-saoudiens qui se servent de tous les arguments vrais ou simples prétextes pour châtier ce récent émirat de sa témérité?
Par complaisance ou intérêt conjoncturel, ils ont été certains pays, et pas des moindres à apporter soutien à des extrémistes. Et comme l’a fait Jésus dans l’Evangile de Jean 8 :7, on peut être tenté de demander à certains contempteurs pro-saoudiens et les Etats-Unis de jeter la première pierre au Qatar. Du reste, pourquoi est-ce maintenant, quelques semaines après la visite de Donald Trump dans la région que le Qatar subit le courroux ouvert de ces voisins? C’est un secret de polichinelle d’affirmer les liens étroits entre le Qatar et l’Iran que les Etats-Unis sont résolus à isoler pendant que dans le même temps ils comptent remettre l’Arabie Saoudite sur son piédestal de leader dans la lutte anti-terroriste? En tout cas, Trump excelle bien dans ce double rôle de pyromane et de pompier dans cette crise où après avoir livré le Qatar à la vindicte de son voisinage prône maintenant l’unité dans la péninsule arabique.
Par Wakat Séra