Une nouvelle élection présidentielle au Kenya. C’est une injonction de la Cour suprême qui dans une décision historique et audacieuse a annulé le scrutin du 8 août dernier remporté par Uhuru Kenyatta, le président sortant, mais dénoncé par son challenger et opposant historique, Raila Odinga qui a crié aux fraudes massives orchestrées par le pouvoir. La Commission électorale, pressée par le régime de Uhuru Kenyatta a déjà choisi le 17 octobre comme date de cette élection, sans doute pour rester en phase avec la Constitution qui exige que dans pareil cas de figure, la compétition soit reprise dans les deux mois qui suivent son annulation. Mais pourquoi cette précipitation suspecte de la part de la commission électorale, décriée par Raila Odinga? Pour rester dans le temps, elle ne donne même pas le temps à la Cour présidée du juge en chef David Maraga, de prononcer son verdict final. D’autres bisbilles en perspective, surtout que les deux candidats en course ne s’entendent plus sur la légitimité de la Commission électorale pour Raila Odinga et la crédibilité de la Cour suprême dont Uhuru Kenyatta qualifient les juges d’escrocs. Quel sera concrètement le modus operandi de cette nouvelle élection dans un Kenya tiraillé et écartelé entre deux familles qui ont pris la vie politique de ce pays en otage, l’endeuillant régulièrement à l’occasion des élections? De père en fils, les Kenyatta et les Odinga, comme dans une arène privée ouverte au public que constitue le peuple, se défient dans des duels à mort pour gérer le Kenya.
En tout cas, la Cour suprême kenyane vient de mettre du sable dans le couscous des observateurs étrangers. Comme d’habitude, les observateurs étrangers qui avaient le devoir de jouer les sentinelles pour des scrutins démocratiques et transparentes avaient seriné le refrain classique d’après élections sur le continent noir. Ils ont déclaré ces élections bien organisées, juste entachées de petits dysfonctionnements, «ne pouvant mettre en cause» les résultats. Mais comme en 2007 et plus récemment en 2013, la chanson a sonné faux dans les oreilles de Raïla Odinga et de son camp qui ont aussitôt dénoncé des fraudes massives. Et comme un rituel inévitable, le Kenya s’est aussitôt embrasé sous les slogans de «No Raïla, no peace», l’opposition, vent debout, signifiant clairement qu’il n’y aura pas de paix sans son champion. Les morts et les blessés enregistrés, accompagnés des menaces des opposants de mettre le pays à feu et à sang, ont visiblement rééquilibré la situation, la Cour suprême devant laquelle Raïla Odinga s’est finalement résolu à déposer des recours ayant annulé ces élections qui conduisaient encore le Kenya vers le chaos.
Véritable coup de tonnerre dans le paysage politique kényan, cette décision historique dans une Afrique où les institutions du genre sont à la solde des princes de l’heure a remis en cause les certitudes de Uhuru Kenyatta. qui n’a pas hésité à qualifier «ses» juges d’ «escrocs». Retour à la case départ pour le Kenya pris entre deux feux et contraint à trouver justement un pompier de service pour s’éviter de revivre, comme en 2007-2008, des manifestations d’une rare violence. En vrais gentlemans, les deux protagonistes de la crise trouveront-ils un modus vivendi à même de sauver le Kenya de cette impasse qui ne lui augure que des lendemains incertains? Et si les élections doivent tenir, les fameux observateurs internationaux sauront-ils trouver la bonne formule pour tourner le dos au «tourisme électoral»? Car c’est leur sport favori dans lequel ils excellent, se contentant comme partout ailleurs en Afrique, de ne débarquer que la veille des élections, occuper des suites d’hôtels luxueux et observer les votes de leurs belles voitures climatisées et repartir souvent avant les résultats, se fendant de leur laconique «les élections se sont bien déroulées».
En tout cas, la tension demeure vive au Kenya. Et bien malin qui prédira la suite des événements et surtout l’issue de la nouvelle présidentielle, dont la campagne est déjà enclenchée par les deux candidats. Quel que soit le vainqueur les revendications seront encore d’actualité. Tout en espérant que les différents camps choisissent toujours l’option des juridictions adéquates pour faire aboutir leurs revendications, on ne peut qu’une saluer la décision courageuse et historique de la cour suprême kényane qui ébranlera certainement plus d’un régime et les candidats aux élections gagnées avant même leur tenue dans une Afrique qui renâcle à emprunter courageusement les sentiers de la vraie démocratie.
Par Wakat Séra