Le continent africain est reconnu pour sa capacité à intégrer l’usage des nouvelles technologies dans son quotidien. Pourtant, on constate que de nombreux défis restent à relever pour que l’Afrique puisse réellement bénéficier des avantages du numérique. Dans son Article publié en collaboration avec Libre Afrique Mauriac AHOUANGANSI, doctorant-chercheur béninois , développe les 4 défis que le continent va devoir relever pour réaliser pleinement sa révolution numérique : l’électricité, les infrastructures, les ressources humaines et le cadre juridique. Ces 4 défis ne sont pas insurmontables !
Il ne se passe pas une occasion sans que les dirigeants africains insistent sur la nécessité de ne pas rater le train de la révolution digitale. En témoigne le dernier sommet annuel « Transform Africa » 2019 qui s’est tenu à Nairobi, avec la participation de plusieurs chefs d’Etat, a été placé sous le thème : développement économique numérique en Afrique. Si une telle orientation est consensuelle, quels sont les préalables pour relever un tel défi ?
Ouvrir le secteur de l’électricité
L’un des plus gros obstacles à la digitalisation en Afrique est l’accès à l’énergie électrique qui représente l’un des préalables incontournables. Un tiers de la population seulement est raccordé au réseau. Pour cause, le secteur de l’énergie électrique qui demeure monopolistique dans de nombreux pays africains, ce qui entrave jusqu’à présent l’initiative privée en matière de production énergétique de masse. La remise en question de la réglementation dans le secteur de l’énergie devient dès lors un passage obligatoire devant permettre l’accès à l’électrique aux 700 millions d’africains qui en sont encore privés. Il s’agit principalement de lever les barrières à l’entrée afin, d’une part, d’étoffer l’offre et de résorber le déficit actuel, et d’autre part, permettre aux opérateurs plus innovants, notamment dans les énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) d’offrir des alternatives moins chères et de meilleure qualité. Mais, la libéralisation du secteur doit encore s’accompagner de mesures institutionnelles pour garantir la libre concurrence et éviter les abus. D’ailleurs, l’expérience du Projet Akon light qui a consisté à apporter l’éclairage par l’énergie solaire à des millions de personnes dans plusieurs pays africains prouve tout l’intérêt à envisager cette mesure. De même, à l’échelle nationale, certains pays comme le Nigéria en 2013 ont noté une nette progression du niveau d’électrification en libérant le secteur de l’électricité, ce que ouvre une voie royale pour offrir des solutions digitales dans des endroits auparavant enclavés.
Favoriser des infrastructures NTIC plus compétitives
Considéré comme le continent où atterrissent les équipements usagers, l’Afrique se doit de changer la donne pour vivre au diapason des exigences de la digitalisation. Les États africains doivent surmonter la dépendance technologique qui rend l’accès à internet et aux solutions informatiques cher. Par exemple au Niger, le coût moyen de la connexion internet via l’ADSL de 128kbits/s est de 60 000 FCFA alors que le salaire moyen est de 30 000 FCA. Il faudra envisager l’acquisition de matériels informatiques notamment des satellites par exemple qui réduirait les coûts et la dépendance informatique. D’ailleurs les promesses du marché africain suscitent l’engouement des géants du domaine comme IBM, CISCO et bien d’autres qui y voient un nid d’opportunités. Mais si cela semble être une bonne chose, il faut encore libéraliser complétement le marché dominé par quelques opérateurs. Ceci permettrait d’éviter les oligopoles, et éventuellement des abus de position dominante comme ce fut le cas entre Onatel et Celtel en 2002 au Burkina. La libre concurrence, réellement appliquée et contrôlée par des organes de régulation et/ou de surveillance indépendants, permettrait d’aboutir à un bon rapport qualité-prix aussi bien pour le matériel que pour les services informatiques ; chaque acteur du marché cherchant son avantage concurrentiel. Il s’agit surtout de combattre les comportements d’entreprises et les ententes tacites entre entreprises qui limitent la concurrence pénalisant les consommateurs.
Réhabiliter le capital humain
Le renforcement du capital humain dans le processus de digitalisation reste l’un des points les moins satisfaisants. Dans son rapport 2017 sur l’indice de développement des TIC, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) mentionnait déjà que l’Afrique est la dernière région du monde avec un niveau de compétences TIC toujours en dessous de la norme mondiale. Mais, face à cette situation, les initiatives privées doivent prendre le relai pour assurer le développement des compétences nécessaires. En cela, la démonopolisation de l’éducation est susceptible d’enclencher le mécanisme du marché en obligeant les établissements d’enseignement à ajuster l’offre de formation en fonction de la demande réelle. Mais, pour une offre adaptée aux besoins de la digitalisation et particulièrement à l’économie du savoir, il s’agira de mettre en place un cahier de charges qui comprend une formation dès la base et une collaboration franche avec les laboratoires de recherches scientifiques. Le système éducatif devrait être réactif voire proactif pour une adaptation à l’évolution rapide que connaît l’économie numérique.
Renforcer le cadre juridique
La digitalisation de l’Afrique, loin d’être du ressort uniquement des gouvernements, exige une grande implication du secteur privé et l’apport des investissements nécessaires à l’essor d’une économie du numérique rentable. Mais cela dit, il faut encore créer les conditions nécessaires de confiance et de coopération entre les acteurs. Pour cela, la mise à jour du cadre juridique au niveau supranational s’avère important. En ce sens, et s’inspirant du succès de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA), il serait bénéfique d’élaborer un code africain de l’investissement pour simplifier les règles et assouplir la réglementation en matière d’investissement.
Par ailleurs, les droits de propriété intellectuelle doivent définir un cadre juridique sûr pour l’investissement dans l’innovation, la créativité et la commercialisation des résultats. En ce qui concerne les droits d’auteurs, les bureaux de droits d’artistes peinent, par exemple, à tracer l’utilisation des œuvres sur les plateformes numériques. Cela fait donc de la digitalisation un fardeau pour les acteurs plutôt qu’une opportunité. L’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) doit donc intégrer les spécificités liées à l’économie numérique, notamment la lutte contre la contrefaçon et les abus d’usage pour protéger l’esprit d’innovation.
Au demeurant, la digitalisation de l’Afrique est appelé de tous les vœux, mais il faudrait faire attention à ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Pour cela, il s’avère incontournable de respecter les préalables liés à l’ouverture des marchés, la formation du capital humain et le renforcement du cadre juridique. Moyennant ces fondations, il est possible de construire une digitalisation bénéfique pour tous.