Le philosophe Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè, un citoyen burkinabè, dans les lignes qui suivent, rend hommage à son «très cher aîné» El Hadj Assami Kouanda, décédé le 1er juin 2021 en Côte d’Ivoire.
Très cher aîné El Hadj Assami Kouanda,
Ce mardi 1er juin 2021, mon jeune frère qui vit au Luxembourg m’apprend, vers 14h GMT, ton rappel à Allah, SWT. Une vraie désolation ! Mais pour le musulman que je suis, la mort est le rappel à Dieu de toute créature. A Lui nous appartenons, à Lui nous sommes rappelés. Seule la crainte de Dieu distingue le meilleur d’entre les musulmans. Voilà, une certitude de la foi musulmane. Je relis le dernier texto que j’ai reçu de toi le jour du Ramadan. Tu rappelais à ton jeune frère, les pures joies de la foi inébranlable en Allah, SWT, et dans l’endurance, comment Dieu nous éprouve pour le meilleur. Le meilleur est à venir ! Assurément, bien-aimé frère, cher professeur, cher regretté El hadj. Repose en paix, cher aîné. Repose dans la paix perpétuelle des bienheureux dans la terre libre du Faso, ce pays, nôtre, meurtri parce qu’il s’est mépris gravement dans la collusion perfide entre le religieux et le politique ; des querelles qui ne sont pas nôtres. Les dignitaires religieux des monothéismes (l’Islam au 15e siècle et le début du 20e siècle pour le catholicisme conjoint avec la conquête coloniale) qui se battent entre eux sur les miasmes tandis que la chefferie coutumière oublie de se faire entendre par les politiciens qui ont ruiné la paix ouverte ancestrale. Depuis 1982, la haine a supplanté la fraternité, toute chose qui a oblitéré notre devoir de vigilance en sécurité et stabilité.
L’extrémisme violent, les excroissances dynastiques de la démocratie partisane ont rejoint de vieux soucis tels que la surdétermination du noyau central moaga dans la prise de pouvoir d’Etat et le clergé catholique depuis 1947 avec Monseigneur Johanny Thévenout (arrivé en 1903 à Ouagadougou) qui ont imbibé et impacté négativement le pouvoir d’Etat. Oui l’Evêque du Mossi a appuyé les chemins de reconstitution de la colonie de Haute-Volta. Il suit l’Etat : « Pour stabiliser davantage les populations à évangéliser », tu écris.
Je comprends dès lors le lien incestueux sécularisé entre le haut clergé catholique et son filleul, l’Etat burkinabè. Les relais de la raison ancestrale sont ignorés. Régenter le Burkina, c’est ma conviction, nous impose la restauration de l’ordre moral ancestral, le Faso égal, démocratique, exemplaire, l’Etat efficace. La convivialité sociale ancestrale qui a généré la paix ouverte, le droit afrocosmopolitique, l’équité et la justice comme réparation, autant de recours qui sont advenus des impératifs. Une civilisation humaniste inégalable ! Hélas, de nos jours, nos jeunes ont l’insulte facile, confondent la parole d’un Lauréat du Nobel avec celle des hordes d’imbéciles sur les réseaux sociaux. Umberto Ecco le constatait, déjà, amer. Nos politiciens ? Ils sont abonnés aux jouissances et privilèges. Mais notre vaillant peuple retire brutalement les honneurs. Sa patience légendaire ne tolère jamais les injustices et l’impunité. Tellurique !
La désertion de l’intelligence rend caduques nos capacités africaines de réappropriation de nos lieux de mémoire, de nos dynamiques identitaires et, in fine, de nous-mêmes. Mais la résilience des nôtres est déjà, un motif de lutte. Pondéré comme tes avis, raffiné le choix de tes mots, le diplomate est passé par là, j’attendrais longtemps, fidèle à notre destin de Paix et de liberté. Oui. Assurément, ton point de pondération, importe. Ta piété a rendu ta vie, utile ! Va en paix, vaillant patriote ! La mort féconde toute vie utile aux autres.
Cher Professeur, nous qui avons choisi ce métier par passion, sommes inconsolables. Que font nos autorités coutumières et religieuses puisque pour la restauration de l’autorité de l’Etat, il faudra patienter pour la rencontre de ce citoyen en route qui saura le faire. La restauration de la légalité constitutionnelle ? La République fera corps avec nos us et coutumes et institutions politiques traditionnelles. Alors, l’intégrité retrouvera ses lettres identitaires. Mon pays se meure pour n’avoir pas su incarner le destin libre qu’il s’est assigné : l’Intégrité. Cette injonction morale que les gens de ta génération nous ont notifiée, dès nos berceaux. Tu es parti sans attendre l’âge de raison du Faso. Avec les massacres horribles de Solhan, notre deuil est double.
Cher Assami, cher ainé. Patriotes, nous devons dormir Debout pour caresser la liberté à l’aube. Tel est le destin de l’étalon ! Tu es parti au moment où ta patrie doit rassembler ses fils et filles, tes camarades du CDP, du MPP, de l’UPC, pour les réconcilier. Mais êtes-vous assez conciliés avec la Réconciliation ?
Que de chantiers ! En ruine, surtout. Que de problèmes, d’inculture, de haines sédimentées par la société politique. Inoxydable est notre foi en Allah, SWT, et notre appartenance à nous-mêmes. Je te disais que les gens de ta génération se sont contentés de gérer les problèmes par la mobilité politico-tactique. Notre génération devra les régler. Tu me rappelas qu’il n’existe point de génération close. J’ai concédé en précisant que l’intergénérationnel était une catégorie politique qui subsume les intersectionnalités humaines, professionnelles et sociales pour que la claire conscience de nos concitoyens burkinabè et africains le vive comme des solidarités transversales. Nos ancêtres savaient protéger l’enfance de l’homme comme sa vieillesse, les vaillants à la tâche et l’oisiveté que punissait sévèrement l’Empereur du Mandé, Soundiata Kéita. Ce Mandé multiconfessionnel et multiethnique, des Tamasheq aux Ardos, des Bamana aux Peuls, des Soninkés aux Marka et San etc. Ce Mandé de liberté et de sécurité pour tous au point de générer la prospérité avec le commerce Transsaharien, cette paix conviviale à laquelle toi et moi sommes si attachés. L’évidence est que cette tâche est la plus aisée si nous répondons avec dignité et fierté à notre concept baptismal : Pays des hommes intègres ! L’audace de répondre à notre vocation. Ce pas franchi – j’osais dire- permettrait de s’attaquer à ceux du développement endogène que Ki-Zerbo aimait exposer et pourquoi pas, de justice, de représentativité des hommes et des femmes, de la justice. Les lumières de la tolérance religieuse que tu portais viennent de la force prégnante de cette laïcité de facto, vécue dans le Moogo et dans le Mandé. Voilà, le monde raffiné parce que civilisé de nos ancêtres dans lequel nul n’était humilié, pas même l’ennemi. C’est bien en son nom que le Pape fut accueilli en mai 1980 par El Hadj Sangoulé Lamizana, ce président intègre et citoyen, ce musulman pratiquant et le Pape Jean-Paul II, ce souverain pontife qui fut acclamé en 1989 à la gare de Bobo-Dioulasso par plus de musulmans que de chrétiens. Tolérance ancestrale millénaire oblige. Hélas, les externalités toxiques sur les différentes confessions au Faso ont généré de la violence gratuite, détruit la cohésion sociale, ruiné la Pax Religare ancestrale. Les meurtres gratuits de nos jours sont ce nom. Mais l’espérance est plus forte.
La dernière fois, je te disais que j’avais mon manuscrit de 200 pages sur ce sujet brûlant puisque sans la Paix et la stabilité, la démocratie libérale représentative est un leurre. Nos amis extérieurs prétendent que c’est plutôt la paix libérale de la démocratie qui est au bout du fusil. Le Tchad et le Mali témoignent que la paix libérale est celle du soldat. Pour nous, la guerre est déjà une dévastation transversale. Et, bien sûr, puisque nous ne sommes pas les seuls au monde, le progrès de l’homme d’ailleurs est fécond de celui de cet Africain d’ici. Alors, l’autre voie développementiste comme le Président Lula du Brésil avait su l’incarner pour vaincre l’extrême pauvreté de plus de 20 millions de ses compatriotes, demeure une terre d’espérance, celle promise à l’Humanité depuis le lac de Tibériade et la Judée-Samarie par Dieu à Moïse. Lula sera de retour, très bientôt, pour les siens contre les violents populistes accoquinés avec la nomenklatura néolibérale qui, ensemble, incarnent les inégalités.
J’aurais tant aimé partager un dernier café avec toi pour penser cet espoir et rédiger ce bonheur de participer à la construction de la grandeur de notre patrie et de notre continent, enrichi par toutes les expériences du monde progressiste. En attendant, tu es parti. Notre patrie va mal, de Yirgou à Déou. Dans un de tes échanges intellectuels dont je garde copie, tu écris le péril :
« Dans un contexte général, de délitement de l’Etat, et d’incivisme grandissant, deux extrémismes s’affrontent dans la manipulation des populations. D’un côté, le sentiment d’injustice et de marginalisation pousse les musulmans à la revendication d’une place conforme et la volonté de contrôle du pouvoir d’Etat par l’Eglise et la chefferie coutumière du centre se manifestent fortement ».
J’ai connu El Hadj Assimi Kouanda durant ses années d’exil abidjanais. Un burkinabè pieux, un musulman sincère et un fidèle pratiquant que je rencontrais, parfois les vendredis à la Mosquée de la Riviera III. Lorsque j’eus le privilège de le rencontrer autour d’un café, il vint au rendez-vous, ponctuel. Je constate immédiatement qu’on pouvait s’entendre. Ma faiblesse est de mépriser les retards. Nous parlions de l’Islam au Burkina, du Cheick Doucouré, des problèmes internes à la communauté musulmane du Faso. Et puis, il parla de mon arrière- grand-père, l’Emir Bèrè Djibo, proclamé chef d’Etat de Kougny par le conquérant français vers 1890, reconnu ainsi comme l’un des grands chefs du Nord- Ouest du Burkina au côté de Naba Bulli de Ouahigouya et de son ami, le chef Ouoba Sidibé de Barani. J’ai réalisé qu’il connaissait l’histoire de l’Islam au Burkina Faso et de ses figures tutélaires. J’expliquai comment à la mort de mon arrière-grand-père, mon grand -père Amirou Yacouba Djibo fut intronisé et comme son père avait désigné, notre ville la plus au nord, Toma pour que les Pères Blancs s’y installent, leur lien fut désigné : Issa Paré. De la sorte, le vieux Diban, le père du Professeur Ki-Zerbo devint par la facilitation et la tolérance de ma famille, l’un des premiers baptisés du Faso. L’Emir Yacouba Djibo fut contesté ensuite par le séparatiste Paré. Par un complot, une conspiration mijotée et par le clergé et par l’administration coloniale pour soustraire Toma, la désormais catholique de l’intégrité territoriale de l’Emirat de Kougny. Mon grand-père fut déporté à Tenkodogo pour que le démantèlement de son Emirat fut total, réduit à dix villages comme ça l’est jusqu’à nos jours. Pendant ce temps, Issa Paré fut intronisé à Toma. Mais les complots ne sont jamais parfaits. Les tensions persistèrent. L’administration constata l’imposture de la chefferie des Paré de Toma. Mon grand- père fut réhabilité et Issa Paré fut exilé à Odienné en basse Côte d’Ivoire, d’où il ne revint jamais. Je te rappelai que ces mentions sont dans l’histoire officielle du Burkina précolonial et deux thèses de Doctorat y avaient été consacrées par des Burkinabè à l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. C’est ce jour-là, cher aîné que j’ai appris que tu avais aussi fait ton Doctorat à la Sorbonne, Panthéon, moi ma Maîtrise et mon DEA à Paris-IV Sorbonne et mon Doctorat à Ottawa. Et notre passion commune des chevaux demeure le lien ombilical avec la noblesse de nos aïeux.
Repose en paix, cher compatriote. Le Président du Faso, notre président à tous, monsieur Roch Kaboré a bien voulu donner des instructions pour le rapatriement de ta dépouille. Il n’a point dérogé à la règle ancestrale. Oui, nous sommes les grains du même grenier comme il aime le souligner. Qu’il soit très respectueusement remercié pour cet acte de grandeur morale ancestrale.
La mort réconcilie. Mais qu’en est-il de la vie sans amour du prochain ? Nous sommes condamnés à nous réconcilier comme citoyens, compatriotes et républicains. Le contexte actuel d’insécurité généralisée sur la terre de nos ancêtres interpelle chacun. Collectivement, nous devons incarner l’intelligence du contexte et donner une chance à la paix fraternelle. Car toute autre décision ou initiative partisane témoigne de la « Damnatio Memoriae » que méconnaissent nos anciens, eux si prompts à faire respecter l’honneur des morts. Brillant islamologue, accepte de transmettre mes soucis nés de l’intolérance et de l’inculture de nos dirigeants, à nos devanciers. Nos partenaires, qui veulent tenir nos mains, nous, vieilles nations, sont-ils lucides ou prétendent-ils nager entre deux eaux troubles ? La laïcité comme modèle français que même les catholiques contestent de plus en plus et qui veut supplanter la laïcité de facto et mémorielle que nous vivons depuis près de 1000 ans. La paix fraternelle, seule cette évidence est apodictique. Toute autre décision est une conjecture lamentable. Le Faso est en deuil.
Les Africains au sud du Sahara ont dans leur passé, été les acteurs rationnels de leur devenir. Il suit de là qu’ils ont administré déjà, à moult occasions, qu’ils pouvaient être des acteurs capables de faire des choix rationnels. Le Burkina, havre de paix que tu as construit avec d’autres patriotes est en feux. La violence terroriste monte en sauvagerie. La mort tombe dans un matin calme sur Solhan. 132 civils tués. Ce samedi 5 mai 2021 dans ce village, la barbarie règne. Le lucide sait que la Réconciliation est supérieure à la raison d’Etat judiciarisée par le clientélisme comme les droits humains le sont à la raison d’Etat selon Mandela. Ce deuil nous interroge sur ce que nous avons fait du Salut ancestral par la Concorde. Va en Paix, cher aîné. Allah, SWT, fait Miséricorde à ceux qui ont vécu dans Sa crainte. RIP !