La Libye est en proie aux ingérences contradictoires et changeantes de l’Occident. Cette situation inscrit le trouble dans la continuité au détriment des populations prises en otage de toutes parts. Leur avis semble bien insignifiant dans ce marasme d’intérêts. Dans son article publié en collaboration avec Libre Afrique Ted Galen Carpenter, analyste senior au Cato Institute, auteur de dix ouvrages sur les affaires internationales. ( version élaguée), décrit les influences diverses et les conflits d’intérêts internationaux autour de la Libye avec au cœur des acteurs : les Etats-Unis.
Lorsque le maréchal Khalifa Hafter a lancé son offensive militaire début avril pour se saisir de Tripoli, capitale de la Libye, les États-Unis et ses alliés européens semblaient unis quant à la politique à adopter : s’opposer catégoriquement à son initiative. L’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar est le bras militaire d’un gouvernement rival sis à Benghazi qui s’oppose au Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli, que les Nations Unies et la plupart des pays occidentaux considèrent comme le gouvernement légitime de la Libye.
Les hésitations des Occidentaux
Les puissances occidentales, en particulier la France, s’emploient depuis des années à faciliter des élections nationales acceptées par le GNA et Haftar. Le président français Emmanuel Macron a réussi à négocier un accord de cessez-le-feu entre les parties belligérantes en 2017 et a obtenu un accord pour organiser des élections en décembre 2018. Lorsque des désaccords persistants ont empêché l’élection de décembre, les parties ont convenu de la reporter au printemps 2019. Avec la dernière offensive de Haftar, la nouvelle échéance ne sera pas respectée non plus.
Clairement les États-Unis ainsi que leurs alliés européens n’ont pas apprécié la décision de Haftar de rechercher une victoire militaire plutôt qu’une résolution politique. Le secrétaire d’État Mike Pompeo a clairement indiqué que le gouvernement Trump s’était opposé à l’offensive de l’ANL. L’Union européenne a demandé aux forces de Haftar de cesser leur avance sur Tripoli. Cependant, il existe de nombreuses indications selon lesquelles la politique américaine pourrait évoluer en faveur de Haftar. Washington a rompu avec la Grande-Bretagne et la France à propos d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU critiquant Haftar et appelant à un cessez-le-feu immédiat.
Au lieu de cela, les États-Unis se sont joints à la Russie pour refuser d’appuyer la résolution. Puis, le 15 avril, le président Trump a appelé Haftar et leur conversation était très cordiale. Selon la lecture officielle de l’appel de la Maison Blanche, publiée quelques jours plus tard, le président «a reconnu le rôle important du maréchal Haftar dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de la Libye. Les deux hommes ont discuté d’une vision commune de la transition de la Libye vers un système politique démocratique et stable». Bien que Trump n’ait pas appuyé l’offensive militaire, une telle déclaration laissait présager un changement notable dans la vision précédemment hostile de Washington à l’égard de Haftar.
Haftar : pion des États-Unis ?
Le possible changement de politique de Trump ferait boucler la relation entre Washington et Haftar. Dans les années 80 et 90, Haftar était un agent de la CIA qui résidait à quelques kilomètres seulement du siège de l’Agence à Langley, en Virginie. Washington l’avait soutenu dans une tentative de coup d’État contre le dictateur libyen Mouammar Kadhafi en 1988. Apparemment, la relation se détériora car les États-Unis ne l’avaient notamment pas soutenu à la suite de la révolution assistée par l’OTAN qui avait renversé Kadhafi en 2011. Au lieu de cela, les États-Unis ont soutenu d’autres acteurs qui ont finalement formé le GNA. Il est cependant possible que l’administration Trump ait décidé de sauvegarder l’ancien agent de Washington, bien que cette mesure puisse contrarier certains alliés étrangers essentiels.
Mais les divisions occidentales concernant la politique libyenne sont peut-être plus larges et plus complexes qu’un simple clivage entre les États-Unis et l’Europe sur cette question. L’Italie et la Grande-Bretagne sont à l’avant-garde de l’opposition à Haftar, considérant ses actions comme perturbatrices et contre-productives pour les perspectives de paix en Libye. La plupart des membres de l’UE adoptent également cette attitude. La France semble toutefois adopter une attitude beaucoup plus ambivalente et neutre à l’égard des factions libyennes en conflit, ce qui pourrait rapprocher la position de Paris de celle de Moscou et (éventuellement) de Washington.
Les États-Unis sont également confrontés à une scission entre leurs alliés du monde arabe. L’Égypte fournit depuis longtemps une assistance financière et même militaire à Haftar. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis le soutiennent également sur le plan politique, bien qu’ils se soient montrés plus prudents que le Caire jusqu’à présent. Le Qatar, en revanche, exprime son soutien officiel au GNA.
Ironiquement, Trump a peut-être changé de camp juste au moment où la fortune militaire de Haftar a atteint son apogée. Début avril, il semblait que ses forces étaient au bord de la victoire, une évolution qui aurait pu mettre fin au chaos sanglant de la Libye. Cependant, les troupes de la GNA semblent avoir mis fin à l’offensive de Tripoli, du moins dans un secteur situé au sud de la ville, provoquant le retrait des forces de Haftar. L’issue de la dernière phase des luttes internes en Libye demeure très incertaine.
Une Libye cernée d’influences extérieures discordantes
Les puissances extérieures, y compris les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, devraient résister à la tentation d’ingérence. Il en va de même pour les puissances arabes. L’engagement de Haftar envers les principes démocratiques est incertain, mais les factions nationales qui le soutiennent semblent plus laïques et moins islamistes que certains de ses opposants, tant au sein de la GNA que d’autres milices indépendantes. Les pays occidentaux préféreraient un accord négocié, aboutissant à des élections libres pour choisir un nouveau gouvernement uni. Mais cet idéal pourrait ne pas être réalisable étant donné les divisions politiques et idéologiques radicales en Libye.
Surtout, Washington et ses alliés européens devraient éviter de prendre des initiatives qui pourraient, même par inadvertance, amplifier et exacerber les souffrances de la Libye. Les puissances de l’OTAN ont déclenché la tragédie de ce pays lorsqu’elles sont intervenues en 2011 pour aider les insurgés à renverser Kadhafi. Leurs attentes concernant une transition rapide et orientée vers un nouveau système démocratique étaient scandaleusement naïves et les Libyens ont payé le prix fort pour cette gaffe, y compris des milliers de morts et des millions de réfugiés. Les gouvernements occidentaux doivent éviter la tentation de s’immiscer davantage dans les affaires intérieures du pays en difficulté, et ne pas se ranger ni du côté du GNA ni de celui de l’ANL.