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Liste des territoires à décoloniser: Sankara votait pour l’inscription de la Nouvelle Calédonie en 1986

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Des affiches de campagne pour le «oui» et le «non» à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, dont le référendum s'est déroulé ce 4 novembre

Le 17 mai, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution plaçant la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser, malgré la défaite des indépendantistes aux dernières élections territoriales et les pressions de Paris. L’occasion de revenir sur la prise de position du Burkina de Thomas Sankara pour l’indépendance de la Nouvelle Calédonie et les conséquences qui s’ensuivirent.

Dans la résolution (voir http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/67/L.56/Rev.1&Lang=F) l’Assemblée générale rappelle que « comme les anciens Établissements français de l’Océanie, la Polynésie française faisait initialement partie des territoires considérés comme non autonomes dans la résolution 66 (I) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1946 » et que le « gouvernement français n’a communiqué aucun renseignement sur la Polynésie française depuis 1946 ». Elle affirme « le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l’autodétermination et à l’indépendance », « reconnaît que la Polynésie française reste un territoire non autonome », « rappelle l’obligation de le France de communiquer des renseignements sur ce pays », « demande au comité spécial d’examiner la question de la Polynésie et de faire un rapport, et prie le gouvernement français d’intensifier le dialogue avec la Polynésie française, afin de faciliter et d’accélérer la mise en place d’un processus équitable et effectif d’autodétermination ».

La France n’en a pas fini avec ses colonies

La Polynésie n’est, pour la plupart d’entre nous, qu’une destination touristique et nous n’en connaissons que quelques photos d’hôtels et autres sites de rêve. Mais ce fut aussi un centre d’essais nucléaires français aux conséquences désastreuses. Ainsi selon Wikipédia : « Le rapport d’une commission d’enquête publié en février 2006, montre que chacun des essais de 1966 et 1967 a provoqué des retombées radioactives sur les archipels habités de la Polynésie française; même Tahiti aurait été touché le 17 juillet 1974 par l’essai Centaure (avec des taux de radioactivité de six à sept fois supérieures à la normale). De plus de nombreux récifs coralliens ont été touchés. Une étude de l’INSERMmontre qu’il existerait une relation statistique entre le risque de cancers de la thyroïde et la dose totale de radiations reçues à la thyroïde du fait des 46 essais nucléaires atmosphériques en Polynésie. » (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Essais_nucl%C3%A9aires_fran%C3%A7ais).

 Les indépendantistes sont électoralement très représentatifs en Polynésie française. Leur leader, Oscar Omaru, a dirigé l’assemblée territoriale, avant que les dernières élections ne redonnent la majorité à Gaston Flosse, cofondateur du RPR, un ami de Jacques Chirac. Il n’a pu se présenter que parce qu’il avait fait appel alors qu’il venait d’être condamné à quatre ans de prison avec sursis, 125 000 euros d’amende et trois ans de privation des droits civiques pour prise illégale d’intérêts et détournement de fonds publics dans une vaste affaire d’emplois fictifs. Gaston Flosse n’aura donc pas eu la chance de Jacques Chirac qui a pu éviter les procès.

 Situation tendue en Nouvelle Calédonie dans les années 80

 En Nouvelle Calédonie, autre colonie française, les indépendantistes sont mieux connus pour être passés à l’action, dans les années 1980, afin d‘obtenir l’indépendance, faisant même parfois les titres de l’actualité en métropole. Les premières revendications d’indépendance étaient apparues en 1975. Mais la création le 24 septembre 1984 du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS), rassemblant différentes composantes du mouvement indépendantiste, créée les conditions du développent d’actions mieux structurées et concertées dans l’Ile. La situation politique va se tendre rapidement à l’occasion des élections territoriales en novembre de la même année. Les Kanaks appellent au boycott et l’île connait une situation quasi insurrectionnelle. Les affrontements se multiplient. Elio Machoro, un autre leader indépendantiste, est tué par le GIGN, ainsi qu’un autre Kanak Marcel Nonnaro, par deux tireurs du GIGN en janvier 1985.

 Le Burkina demande l’indépendance de la Nouvelle Calédonie dès 1984

 Dans un communiqué, envoyé par Thomas Sankara à Paris, pour justifier sa non-participation au sommet franco-africain de Bujumbura en décembre 84, il affirme « être aux côtés du peuple kanak en lutte pour son indépendance totale» et ajoute « Là où la France a refusé l’indépendance, les armes l’ont arrachée »[1].  Le Burkina avait été élu membre du conseil de sécurité pour deux ans en novembre 1983. Sankara profite de cette position de son pays pour exprimer haut et fort sa solidarité avec les palestiniens et les militants anti-apartheid d’Afrique du Sud, appelant les autres pays à faire de même. Lors d’un échange, devenu  mémorable, avec François Mitterrand en novembre 1986, (voir www.thomassankara.net/spip.php?article32) il dénonça la complaisance de la France avec  les dirigeants d’Afrique du sud en des termes particulièrement sévères : « Nous n’avons pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours. » Un premier incident qui, s’il peut sembler avoir amusé un temps François Mitterrand, selon les images, a très certainement été bien mal pris par son entourage. Notamment M. Guy Penne, tout juste débarqué de son poste de Monsieur Afrique de l’Elysée, au profit de Jean Christophe Mitterrand. Guy Penne a toujours voué un haine farouche pour Thomas Sankara, avant de se transformer en tête de file du lobbying pro Blaise Compaoré, après l’assassinat de Thomas Sankara. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir sur notre blog. Sans parler des diplomates et autres réseaux françafricains de droite, Jacques Foccart en tête, tout juste revenu aux affaires à la faveur de la première cohabitation.

 L’indépendance de la Nouvelle Calédonie à l’ordre du jour à l’ONU

  En décembre 1986, la résolution 41/41 de l’ONU, qui inscrit la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires non autonomes et reconnaît ainsi son droit à l’indépendance, est mise en débat au sein de la commission de décolonisation de l’ONU. Non seulement le Burkina vote pour la résolution, mais Thomas Sankara, fait campagne pour son adoption. Sans succès pour ce qui concerne les pays du « pré-carré » ! De son côté, la diplomatie française s’est en effet employé à s’assurer l’opposition à ce texte de ses anciennes colonies, sans trop de difficulté d’ailleurs.

 Basile Guissou, alors ministre des affaires étrangères du Burkina écrit à ce propos : « … dans ce cadre des relations africano-françaises, le comble de l’audace fut le vote du Burkina Faso à la commission de décolonisation de l’Organisation des Nations Unies pour le droit à l’autodétermination de la Nouvelle Calédonie en 1986. On connait la suite : une note du premier ministre français à son ministre de la coopération exigeant des représailles économiques contre le Burkina. Ce problème de la nouvelle Calédonie avait été jusque là un tabou pour lequel la France avait obtenu le silence total des pays africains de son pré carré. Et pourtant pour le gouvernement burkinabè, c’était le moins que l’on pouvait faire pour les frères Kanaks. Jean Marie Tjibaou, le leader kanak, en a été profondément ému »[2].

 Les réactions de la droite française, revenue au pouvoir  après une victoire aux législatives et la nomination de Jacques Chirac comme premier ministre par François Mitterrand en mars 1986 sont particulièrement vives. Les députés de droite expriment leur colère au cours d’un débat à l’Assemblée nationale. Ainsi Jean-Louis Masson, député RPR,déclare en décembre 86, à l’occasion du débat à l’Assemblée nationale française sur la convention de coopération avec le Burkina: « Sans s’immiscer dans les affaires intérieures, il faut exiger le respect d’une solidarité bilatérale. »[3].  René Dumont écrit à ce propos: « Quand en janvier 1987, j’ai donné à Ouagadougou une conférence sous la présidence du ministre de l’Agriculture, l’ambassadeur de France, aurait (m’a-t-on dit) demandé à tous le français sous ses ordres de n’y point assister. Paris ne pardonnait pas à Sankara d’avoir, à l’ONU, voté pour l’indépendance immédiate de la Nouvelle-Calédonie »[4]

François Xavier Verschave, l’ancien président fondateur de l’association SURVIE, auteur de nombreux ouvrages sur la Françafrique  écrit : « Chirac, alors premier ministre écrivit à Aurillac, ministre de la Coopération : « Trop c’est trop. Il convient d’en tirer les conséquences et d’aller au-delà de ce que nous avions envisagé pour ce qui concerne la réduction de l’aide à ce pays pour 1987. » (Canard Enchaîné oct-nov 87, qui souligne l’hypocrisie des regrets de Chirac pour la mort de Sankara)[5]».

 Thomas Sankara est assassiné en 1987

 Thomas Sankara est assassiné le 15 octobre 1987, par des hommes sous les ordres de Gilbert Diendéré, aujourd’hui, chef d’Etat Major particulier de Blaise Compaoré, élevé au rang de chevalier dans l’Ordre national de la légion d’honneur française lors d’un séjour en France en mai 2008.

Plusieurs témoignages d’anciens compagnons de Charles Taylor, ancien chef de guerre au Libéria, accusent la France d’avoir participé à un complot visant à l’assassiner (voir la retranscription à http://www.thomassankara.net/spip.php?article794 et la vidéo à  http://www.thomassankara.net/spip.php?article1085). Ils affirment avoir été présents sur les lieux. C’est justement pour éclaircir le rôle de la France qu’une demande d’enquête parlementaire sur l’assassinat de Thomas Sankara a été déposée auprès du parlement français ( Voir http://www.thomassankara.net/spip.php?article1390  et http://www.thomassankara.net/spip.php?article1460 ).

 L’hommage de Jean Marie Tjibaou

 On ne s’étonnera donc pas que Thomas Sankara soit resté dans le cœur des indépendantistes kanaks. Parmi eux, Jean Marie Tjibaou, leader du FNLKS (Front national de libération Kanak socialiste) de l’époque, qui fut assassiné le 4 mai 1989 par un indépendantiste opposé aux accords de Matignon. Ces accords signés en 1988, qui prévoyaient un référendum sur l’autodétermination, qui ne s’est toujours pas tenu, allaient cependant contribuer à rétablir le calme en Nouvelle Calédonie.

 Jean Marie Tjibaou écrit : « J’ai eu la chance de rencontrer Sankara. C’est un petit frère, mais c’est un grand. C’est le seul homme d’État africain dont on ait ressenti avec tristesse la disparition. Parce qu’on ne connaissait pas les autres, c’est vrai, mais surtout parce que Sankara apparaissait avec un message. Il était jeune, il incarnait une espérance pour une Afrique au lendemain de la colonisation. Pour nous qui sommes extérieurs, il semble qu’il n’y ait pas eu de transfert du pouvoir en Afrique, des mandarins vers le peuple. On ne voit pas se dégager une spécificité économique, des projets urbains, des projets écologiques et sanitaires originaux. On dit que tout cela coûte cher. Pourquoi cela coûte cher ? Je ne sais pas.

En 1986, à l’ONU, lors du vote pour l’inscription de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des pays à décoloniser, le représentant du Burkina Faso a dit : « J’étais venu ici avec l’ordre de Sankara de soutenir Jean- Marie Tjibaou ; maintenant qu’il est mort, les ordres sont différents ». (NDLR : sans doute y-a-t-il une confusion sur les dates, car un vote de l’ONU a eu lieu en 1987 où le représentant du Burkina « rectifié » s’est abstenu)

 Nous étions très tristes…

 …  On a eu beaucoup d’admiration pour Sékou Touré et Sankara. Mais au moment des Accords de Matignon, j’ai repensé à ces pays africains et à leur expérience de décolonisation : le pouvoir politique ne peut être maîtrisé que si l’on est organisé économiquement et financièrement. Sankara a crié un peu dans le désert. Les pays africains ont été asphyxiés par l’Occident, et leurs dirigeants n’ont plus le courage de marcher à pied aux côtés de leurs peuples. Ils font l’expérience d’une nouvelle forme de colonisation, peut-être plus insidieuse : les pays se vident de leurs richesses, se désorganisent par la volonté des États-Unis, de l’Occident dont le système monétaire, commercial et surtout financier orchestre systématiquement l’appauvrissement. Ce qui est insidieux, c’est que ce sont les Noirs eux-mêmes – qu’ils soient Africains ou Océaniens – qui sont maintenant les agents de la paupérisation de leurs peuples. »[6]

Bruno Jaffré