L’étrange destin de Wangrin a été célébré, le samedi 27 janvier 2024, à l’Institut français de Ouagadougou à travers une soirée de lecture théâtralisée avec l’enseignante burkinabè de théâtre, Odile Sankara.
Il est sans doute et de loin l’un des meilleurs classiques de la littérature contemporaine de l’Afrique noire. L’étrange destin de Wangrin ou Les roueries d’un interprète africain de l’écrivain malien, Amadou Hampâté Bâ a été présenté, le samedi 27 janvier 2024, à l’Institut français de Ouagadougou lors d’une cérémonie littéraire titrée Et si j’étais à la nuit de la lecture…
Pour ce rendez-vous culturelle dans la capitale du Faso, la 3è édition du genre, en effet, l’enseignante burkinabè de théâtre, Odile Sankara a su dompté, dès son entame de présentation de ce grand-écrit du monde noir, le cœur d’un public qui était déjà en terrain de passion. Un évènement fort bien déroulé et tenu dans le cadre d’une soirée de rencontre, partage et d’échange littéraire, au niveau de la terrasse supérieure de la Ruche en occurrence, une médiathèque pleine d’ouvrages africains, notamment, et animée par des bibliothécaires nationaux.
«C’était l’époque la plus chaude de l’année. Et il faisait chaud ce dimanche là qu’en aucun des jours précédents. Aussi, quand le soleil atteignit le plein milieu du ciel, toutes les ombres se rétractèrent. Chacune se retranchant sur les pieds de l’objet dont elle était issue. Au maximum de son ardeur, le soleil brillait, luisait et aveuglait hommes et bêtes. Il fut bouillir comme une marmite la couche gazeuse qui enveloppait la terre. Les hommes buvaient à long trait et souillaient à grosses gouttes. Non loin de ces pauvres bêtes, une femme se débattait dans les douleurs de l’enfantement. C’était la mère de Wangrin en travail de parturition», a introduit la dramaturge, Odile Sankara en citation du roman publié en 1973, à Paris, aux éditions 10/18.
Ainsi, à l’image de nombreux d’invités du soir de la médiathèque franco-burkinabè, la spécialiste du théâtre n’a guère eu de la peine à appeler la jeune génération à s’adonner à la lecture afin de s’enrichir spirituellement, intellectuellement, humainement.
«J’ai lu L’Étrange destin de Wangrin, une œuvre de Ampâté Bâ que tout le monde connaît et que beaucoup ont lu même si c’était il y a bien longtemps. Mais là, j’appelle les jeunes ainsi que les moins jeunes à lire et/ou à relire le romancier Bâ dans tous ses ouvrages d’ailleurs. Pas seulement que ce livre-là car je pense que c’est important aussi d’avoir des instants où l’on peut faire voyager l’esprit à travers des auteurs. Bref, je les invite à pousser des pratiques qui, quotidiennement, aboutissent à nourrir les pensées», a conseillé l’ancienne étudiante à la faculté des Lettres de l’Université Joseph ki-Zerbo de Ouagadougou.
Redonnant la voix au roman issu de faits réels qui remontent de l’époque de l’Afrique occidentale française (AOF), la comédienne a révélé à son public l’une des divinités, sinon le dieu, qui a façonné le charismatique Wangrin, principal personnage de cet ouvrage énigmatique.
«Je me procurait un poulet aux plumes mélangées de blancs et de noirs. J’invoquai l’esprit du dieu et me proposai à son patronage. J’avais appris la formule sacramentelle appropriée. Je devais la réciter, sectionner la gorge de mon poulet puis laissa couler son sang sur une pierre symbolisant la demeure du dieu. Je devais ensuite abandonner le poulet avant qu’il n’expira dans mes mains. Après avoir ainsi procédé, j’abandonnais l’oiseau qui lutta contre la mort en faisant des bonds en l’air. Mon cœur battait fort. Je souille à grosses gouttes de peur d’être refusé par le dieu. Qu’elle ne fut ma joie quand mon poulet retomba pour la dernière fois sur son dos, ailes ouvertes et pattes en l’air. C’était le signe que Gonglomassoké m’adoptait», a psalmodié non sans gestes l’enseignante burkinabè en art théâtral, dame Sankara.
«Si un jeune s’expatrie à l’étranger et qu’il ne trouve pas un père et une mère, c’est qu’il ne saura pas être le fils qu’il faut», a-t-elle répété en guise de conseils à l’endroit des moins vieux qui, de vue étaient tous médusés à l’entendement de cette maitresse en posture de grand-mère.
L’animatrice culturelle était, en effet, face à une assistance qui a presque bu le livre fantasmagorique de celui qui fut successivement commis dans des villes de l’Afrique pré-indépendances.
«Si la justice tarde à venir, c’est qu’elle est allée loin pour chercher un bâton vert et flexible pour mieux châtier les coupables», a, de suite lancé la matrone de la cérémonie. Cette fois-ci, sans doute qu’elle titillait en arrière-plan son auditoire avertie à travers ce livre à la fois évasif et pédagogique. Parmi les présents, on compte Jean-Baptiste Ilboudo, ex-ambassadeur de la Haute–Volta (actuel Burkina Faso) au Canada et au Brésil, entre autres, qui a témoigné avoir connu l’écrivain Hampâté Bâ.
Pour avoir délibérément ignoré cette sagesse sous forme de sentence, en effet, le personnage hors-pair du l’ouvrage, Wagrin a, au soir de sa vie, dû l’apprendre à ses dépens. De toutes les façons, a prévenu la narratrice, «dans ce monde déroutant où chacun vit au prix de mille et une dispositions, personne ne sortira vivant». Cet héro fictif qui, sans jamais manqué de parade pour venir à bout de son adversaire, n’avait guère cessé de ruses vis-à-vis de ses semblables, a témoigné la lectrice du soir.
En rappel, le commis de l’administration coloniale de l’époque de l’Afrique occidentale française (AOF), Amadou Hampâté Bâ, de son vivant, fut missionnaire au compte de la métropole. Une carrière qui lui a conduit successivement à Bamako, Bandiagara, ville où il est né, Kayes (l’ancien Soudan et Mali actuel), Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya (le Burkina Faso d’aujourd’hui), Abidjan, Dakar pour ce qui relève de la Côte d’Ivoire et le Sénégal, entre autres. Interprète africain de renom puis secrétaire colonial, courrier et confident des patrons blancs en terre africaine au siècle dernier, en effet, l’auteur de L’étrange destin de Wangrin a su, de façon pérenne, se faire une place de dieu dans la littérature négro-africaine. Outre cet ouvrage de 385 pages et sous-titré Les roueries d’un interprète africain, l’auteur Bâ du Mali compte dans sa bibliographie Amkoullel l’enfant peul (Mémoires), Oui Mon Commandant!, Aspects de la civilisation africaine (personne, culture, religion), entre autres.
Né en 1901 à Bandiagara, l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ est décédé le 15 mai 1991 à Abidjan en Côte d’Ivoire.
Par Lassané SAWADOGO (stagiaire)