Mahamadou Issoufou, sera le premier nigérien démocratiquement élu à passer le témoin à un autre président, lui aussi, démocratiquement élu. C’est désormais, un secret de polichinelle, car, celui qui, avec élégance, va quitter le pouvoir, après avoir rempli les deux quinquennats que lui permet la constitution de son pays, a déjà gagné le pari d’organiser des élections saluées par tous, sauf une partie de l’opposition qui en conteste les résultats. Mais quel est le secret qui entoure ce départ, alors que l’Afrique vit son printemps des 3ès, et même…6è, mandats? C’est sans détour que le chef de l’Etat nigérien, dans un entretien qu’il nous a accordé, le samedi 27 février, au palais présidentiel, s’est lâché. La vérité, il nous l’a dite, tout comme il a accepté nous parler, mon confrère Ousséni Ilboudo et moi, de son dauphin Mohamed Bazoum. Des sujets comme l’insécurité au Sahel, le développement de l’Afrique, la corruption au Niger, le pacte secret qui aurait été signé entre Mahamadou Issoufou et le général Salou Djibo, le bilan et les regrets d’une décennie de pouvoir, etc., étaient également au menu de cette interview.
Wakat Séra: Excellence, comment vous sentez-vous après l’organisation réussie de toutes ces élections (communales, législatives et présidentielle) en l’espace de deux mois?
Président Mahamadou Issoufou: Je suis satisfait et réconforté des conditions dans lesquelles tous ces scrutins se sont déroulés. Il se trouve que c’est conforme aux objectifs de mon programme «Renaissance», pour lequel j’ai été élu, qui comporte huit grands axes. Axes, au nombre desquels, la consolidation des institutions démocratiques et républicaines. Ces institutions, il faut les avoir fortes et stables, or, elles ne sauraient l’être, sans légitimité. Et il n’y a pas de légitimité sans élections libres et transparentes, comme ce fut le cas le 13 décembre 2020 pour les communales, le 27 décembre pour les législatives couplées au premier tour de la présidentielle et maintenant le second tour de la présidentielle qui s’est tenue le 21 février dernier.
Je suis donc, globalement, satisfait. Cela dit, je regrette la mort de sept agents électoraux, suite à l’explosion de leur véhicule qui a sauté sur une mine, le 21 février, ainsi que l’incident survenu dans la région de Diffa qui s’est soldé par la mort d’un autre agent électoral.
La tache noire, c’est quand même les manifestations violentes de ces derniers jours, après la proclamation des résultats provisoires par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), notamment à Niamey…
Je regrette profondément ces violences. Nous sommes un Etat de droit, et s’il y a des contestations, elles doivent s’exprimer de manière légale. L’Etat de droit signifie que tout doit être régi par la loi, les rapports des citoyens ente eux et avec l’Etat. Il y existe des voies de recours, surtout qu’au Niger, nous avons des institutions véritablement indépendantes, qu’il s’agisse de la CENI, quoi qu’en disent les gens, ou de la Cour constitutionnelle, de par leur composition même. Il faut savoir que cette haute juridiction comporte sept membres, soit un désigné par le président de la République, un par le président de l’Assemblée nationale, et les cinq autres, élus par les magistrats, le Barreau, les enseignants de la faculté de droit et de sciences économiques et la société civile. Par conséquent, les acteurs doivent faire confiance aux institutions et non s’exprimer dans la rue.
Alors que l’épidémie du troisième mandat, voire plus, fait des ravages en Afrique francophone, vous avez tenu à respecter la clause limitative du nombre de mandats présidentiels. Comment avez-vous pu résister à la tentation, quand on connait les pressions, souvent exercées par l’entourage immédiat des chefs?
Je crois qu’en politique, il faut avoir des valeurs, une vision, des convictions. Les valeurs qui sont celles de notre parti (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), NDLR) et qui sont les miennes, ne m’autorisent pas à me comporter autrement que ce que j’ai fait en respectant mon engagement et les dispositions constitutionnelles de notre pays. Je voudrais vous rappeler, comme indiqué tantôt, que l’un des objectifs de mon Programme, c’est d’avoir des institutions démocratiques fortes et stables. Cela suppose qu’il faut respecter les règles du jeu et c’est ce que je me suis efforcé de faire.
Par ailleurs je suis convaincu d’une chose, c’est qu’il n’y a pas d’homme providentiel. Le plus important, ce sont les institutions fortes qui permettent de faire fonctionner un pays, quel que soit celui qui est à sa tête et non pas les hommes; on n’a pas besoin d’hommes forts…
On voit que vous avez bien assimilé la leçon de Barack Obama dans son discours d’Accra, devenu célèbre!
Je suis totalement d’accord avec lui, sauf que ce n’est pas l’Afrique seulement, mais le monde entier qui a besoin d’institutions solides.
Certains de vos homologues, notamment de la sous-région, dont vous êtes un peu la mauvaise conscience, ne vous ont-ils pas conseillé « gentiment » de continuer?
Non, non, non! Aucun de mes homologues ne m’a donné un tel conseil.
Vous avez choisi comme dauphin Mohamed Bazoum. Etait-ce le choix du cœur ou de la raison? Et pourquoi lui et pas un autre?
C’est le choix des valeurs. Nous avons un parti qui a un programme, une vision et Mohamed Bazoum porte ces valeurs-là. C’était donc tout à fait normal que le PNDS ait décidé d’en faire son candidat. N’oubliez pas aussi que depuis 1995, Bazoum était mon vice-président et quand je suis devenu président de la république en 2011, il a pris la tête du parti. De ce fait, le candidat naturel du parti, ça ne pouvait être que lui. Ce choix vient, du reste, d’être validé par le peuple nigérien, ce qui veut dire qu’il n’était pas mauvais.
On entend souvent parler d’un accord secret entre vous et le général Salou Djibo (le tombeur, par coup d’Etat, de l’ancien président, Mamadou Tandja) à qui vous devriez «faire la passe» après vos deux mandats. Qu’en est-il exactement?
Il n’y a pas de pacte secret. S’il y en avait un, on l’aurait respecté.
Parlons maintenant de votre bilan de ces dix dernières années. De quoi êtes-vous le plus fier?
Je suis fier de l’ensemble du bilan.
Quoi en particulier…
…D’abord sur le plan macro-économique, on avait prévu une croissance de 7% par an, on a réalisé 6% en moyenne. On a une bonne situation macro-économique, et cela se traduit sur le plan sectoriel. Sur le plan, par exemple, des institutions démocratiques et républicaines, chantier qui constituait une promesse que j’avais faite au peuple nigérien, elles sont solides, même si elles méritent d’être consolidées. Au niveau de la sécurité, malgré la multitude des fronts, le Niger se porte relativement bien, comparé à la situation dans d’autres pays. Nous avons le front de menace terroriste aux frontières avec le Burkina, le Mali, la Libye, la Libye où il n’y a pas d’Etat, et le front dans le bassin du Lac Tchad. En dépit de cette situation sécuritaire, nous avons quand même, pu faire l’essentiel dans la sauvegarde de la sécurité des personnes et des biens.
Dans le domaine des infrastructures, nous en avons réalisé beaucoup dans le pays. Des infrastructures routières, de télécommunication, énergétiques, notamment dans l’électrification rurale. Des infrastructures urbaines aussi. Je ne sais pas s’il y a longtemps que vous êtes venus ici (Niger, NDLR), mais regardez le visage de Niamey aujourd’hui. Niamey n’était pas comme ça avant. Les autres grandes villes du pays se sont transformées également, et même en milieu rural, on enregistre beaucoup de changements positifs. Sur le plan ferroviaire aussi, des réalisations ont été faites, même si nous avons un petit regret, qui est celui de n’avoir pas pu réaliser la boucle Cotonou-Niamey-Ouaga-Abidjan. Mais nous avons concrétisé une partie de ce que nous devions faire, en construisant 140 kilomètres de rail.
L’autre promesse que j’ai faite, c’était de parvenir au mieux-être des Nigériens, par le biais de l’initiative 3N, «les Nigériens Nourrissent les Nigériens». J’ai promis que sécheresse ne sera plus synonyme de famine, en mettant en œuvre cette politique agricole audacieuse qui a, du reste, été primée par la FAO.
Ensuite, il y a le capital humain, le développement de l’éducation, l’accès à la santé et à l’eau, ainsi que la création d’emplois pour les jeunes.
Globalement donc, le Niger s’est transformé durant cette décennie, et cette transformation est une amorce qui doit se poursuivre, s’amplifier. Et j’espère que le nouveau président poursuivra cette tâche. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si le Programme pour lequel il a été élu, s’intitule «Renaissance Acte III: consolider et avancer».
Excellence, vous parliez tantôt du péril sécuritaire. A votre avis, qu’est-ce qui manque aujourd’hui aux armées nationales, à Barkhane, à la force conjointe du G5 Sahel et à la MINUSMA pour venir à bout de l’hydre terroriste?
Rien ne manque, tout est en place. Les conditions de la victoire sont réunies. Les armées nationales sont montées en puissance, et cela doit se poursuivre. Je pense que nous avons fait le bon choix, de mutualiser les capacités entre les pays du G5 Sahel. Cette mutualisation doit se renforcer. Nous avons besoin d’alliances et nous les avons avec Barkhane, la force européenne Takuba. Nous avons les Américains qui sont là, et il est prévu aussi l’arrivée d’un contingent de l’Union africaine. Tous les instruments de la victoire sont donc là et ma conviction est qu’on vaincra cet ennemi qui crée la désolation au Sahel.
Vos contempteurs parlent souvent d’un autre cancer qui ronge le Niger, en l’occurrence, la corruption qui aurait pris l’ascenseur sous votre règne, avec comme exemple emblématique, le dossier des achats d’armes au ministère de la Défense. En avez-vous vraiment suffisamment fait dans la lutte contre la corruption?
Croyez-moi, on a beaucoup fait. La preuve, c’est que l’efficacité de la dépense s’est accrue et s’il n’y avait pas eu cela, on n’aurait pas pu faire toutes ces réalisations que je viens de vous citer. Le fait aussi que j’ai fait auditer le secteur de la Défense et de la Sécurité est suffisamment illustratif, car c’est assez rare, que ce soit en Afrique ou ailleurs. Personne ne m’y a obligé. Ensuite, j’ai transmis les résultats de l’audit à la justice, ce qui montre bien notre volonté d’assainir les finances publiques et de lutter contre la corruption. Il y a encore du travail, j’en conviens, mais la lutte contre ce fléau est permanente, il n’y a pas de fin. Tant qu’il y aura des hommes et sociétés, il y aura toujours des gens qui chercheront à ruser avec les règles.
Vous avez toujours porté la casquette du panafricaniste convaincu. Dites-nous, que faut-il, aujourd’hui, au continent pour amorcer véritablement son essor social et économique?
Nous avons juste besoin de temps. Là aussi, c’est comme la sécurité dont nous parlions, tous les instruments sont là. Nous avons l’Agenda 20-63 dont l’un des projets-phares est la Zone de libre échange économique(ZLEC) que l’ai eu l’honneur de piloter et qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Il faut poursuivre sur cette voie, ainsi que la mise en oeuvre des infrastructures ferroviaires, routières, énergétiques, de télécommunications, ainsi que le Plan de développement industriel de l’Afrique. Parce que l’une des faiblesses de l’Afrique, c’est qu’elle continue d’être un réservoir de matières premières. C’est une espèce de continuation du Pacte colonial qui spécialisait le continent dans ce domaine et les autres dans les produits finis. Les Africains doivent donc s’efforcer de transformer leurs matières premières, pour avoir le maximum de valeur ajoutée, pour développer des chaines de valeurs, et ainsi de suite. Moi je suis très confiant, car, il y a une nouvelle génération de chefs d’Etat, convaincus de la nécessité de l’intégration pour faire progresser et prospérer l’Afrique.
Au moment où vous vous apprêtez à passer la main, si vous aviez un regret, quel serait-il?
Mais si je n’en n’ai pas?
…Tout baigne donc… Quelque chose par exemple que vous n’avez pas pu faire pendant vos deux mandats et qui vous turlupine?
C’est sûr, j’aurais voulu faire plus. J’aurais voulu que le Niger et l’Afrique soient plus prospères, qu’il y ait moins de pauvreté, que l’intégration soit plus avancée, notamment au sein de la CEDEAO où j’ai beaucoup travaillé sur le dossier de la monnaie unique. J’aurais tant aimé que la monnaie unique fût effective, comme prévu, au mois de juin 2020. Ça n’a pas été le cas, en partie à cause de la COVID-19 qui a fait exploser le pacte de convergence au sein de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, NDLR). J’aurais également voulu que tous les projets de l’Agenda 20-63 soient à un niveau d’exécution plus avancé…Voilà, si je dois avoir quelques regrets, ce serait ceux-là par exemple.
On dit souvent à l’endroit de ceux qui s’accrochent au pouvoir qu’il y a une vie après la présidence. Quelle sera la vôtre?
Pour l’instant je suis toujours président de la république, je continue de travailler pour le Niger. Le 2 avril, je passerai le témoin à mon successeur. Le 2 avril donc, je répondrai à votre question.
On vous sait très attaché au Burkina et à ses dirigeants, tout comme votre successeur du reste. Quel est le ciment de cette relation si particulière?
Il y a, bien sûr, les facteurs géopolitiques, humains, topographiques, liés à notre voisinage. Nous avons une communauté de préoccupations, sans oublier qu’au niveau politique, nous avons, au PNDS, une tradition de relations avec un certain nombre de responsables burkinabè avec qui nous partageons les mêmes visions et les mêmes valeurs.
Propos recueillis par Morin YAMONGBE, à Niamey